Tel père, tel fils ?  Un autre Bach en concert à Budapest

Tel père, tel fils ?  Un autre Bach en concert à Budapest

CPEBach

Carl Phlipp Emmanuel : concertos pour clavecin

Qui était-il ? Cinquième enfant (second survivant) de Jean Sébastien et de sa première épouse Maria Barbara, Carl Philipp Emmanuel Bach reçut ses premières leçons de son père. Dès son plus jeune âge, il jouait de mémoire au clavecin les œuvres entendues à la maison.  Après de solides études et une formation juridique, Carl Philpp fut engagé à la cour du roi de Prusse Frédéric le Grand où il passa près de trente années. Pour rejoindre ensuite Hambourg où il succédera à Telemann (son parrain) au poste de Directeur de la musique. Il était alors connu pour son ouvrage sur „l’art de jouer du clavier” (1), Mozart lui-même reconnaissant lui devoir beaucoup. Au demeurant apprécié, outre Mozart, de Haydn (qui lui rendit visite à Hambourg) et de Beethoven. Jouissant de son vivant d’une certaine renommée (on l’appelait „le Bach de Hambourg”), il fut par la suite en partie relégué dans l´ombre face à la redécouverte des œuvres de son père. Ne relevant ni du baroque tardif, ni de l’école classique viennoise, son œuvre est considérée par certains comme annonçant le romantisme. („Une sensibilité préromantique, un goût marqué pour la recherche de l’élément mélodique qui en font un précurseur. C’est peut-être le premier compositeur romantique”, R. de Candé.)  Jugement un peu rapide, mais il est vrai que sa production témoigne d’un style très particulier, en fait difficile à classer. Production abondante réunissant entre autres non moins de 50 concertos, 20 symphonies, six recueils de sonates. Il est probablement, avec son demi-frère Jean-Chrétien, le plus talentueux des enfants Bach dont le nom soit parvenu jusqu’à nos jours (2). A cet égard, nous citerons le compositeur et musicologue Charles Burney qui écrivait à son sujet : „ He is not only the greatest composer for keyboard instruments who ever lived, but also, with regard to expression, the best player.”

CPEBach

Au programme de notre concert : trois concertos pour clavecin longtemps restés dans l’oubli, récemment remis à l’honneur. Pour les interpréter, le Concerto Armonico, formation fondée en 1983 par des élèves du Conservatoire (Académie Franz Liszt). Ensemble spécialisé dans le baroque tardif, consacrant notamment ses programmes aux œuvres de la famille Bach. Dirigé par le claveciniste Miklós Spányi. Au programme, les concertos en sol majeur, ré majeur et fa majeur. (Une précision, nous devrions en fait parler de „concertos pour clavier”, le compositeur ayant sur la fin exprimé sa préférence pour le pianoforte. Mais c’est généralement au clavecin qu´on les joue de nos jours.)

Si le besoin d’épanchement et l’expression des passions est le fait des romantiques, alors peut-être pourrait-on en effet décrire dans une certaine mesure CPE Bach comme un de leurs lointains précurseurs. L’impression que nous retenons à l’audition de ces concertos est celle d’un flux d’énergie, d’un dynamisme qui ne laisse pas l’auditeur indifférent, du moins dans les mouvements rapides, offrant tantôt des thèmes entraînants, tantôt dégageant au contraire une certaine tension. A l’opposé, des mouvements lents plus mesurés, mais souvent empreints d’une certaine gravité, voire d’une atmosphère sombre. Du moins pour les deux premiers concertos (en sol et en ré), œuvres de jeunesse, le troisième (en fa) offrant une structure plus classique, que l’on pourrait presque, à la limite, rapprocher d´un Haydn. Un style très personnel, donc, difficile à classer, mais qui révèle chez son auteur un réel talent.

Pour le servir, une formation réduite (3), mais quel brio ! Des cordes qui sonnaient admirablement, notamment sous l’archet du premier violon (Gábor Homoki). Et le clavecin… Contrairement à ce qu’il nous est trop souvent donné d’entendre, Miklós Spányi a choisi ici un instrument d’une grande clarté, aux sonorités franches. Et quel jeu ! Servi par une partition exigeant une grande virtuosité, Miklós Spányi trouva ici l’occasion de faire valoir ses talents de claveciniste, au demeurant largement reconnus.

Pour terminer, nous laisserons la parole au claveciniste : „Ses concertos peuvent être considérés comme la colonne maîtresse de son œuvre. Leur richesse, leur dynamisme, la variété infinie de leurs éléments dramatiques et de leurs finesses interpelle tant l’auditeur que l’interprète. Venez découvrir avec nous un monde merveilleux haut en couleurs”

Certes, le fils n’est pas le père. Néanmoins, nous avons découvert ce soir un compositeur qui mérite sa place, sinon parmi les tous premiers, du moins parmi les noms marquants de son époque.

Une découverte de plus, en attendant la suite…

Pierre Waline

(1): „Vesucht über die währe Art das Klavier zu spielen”

(2): Jean-Chrétien qu´il recueillit un moment à la mort de leur père, et à qui il donna des leçons.

(3): trois violons, deux altos, un violoncelle, une contrebasse.

 

Catégorie