Budapest : „Le retour de Tobie”, oratorio inédit de Haydn au Palais des Arts

Budapest : „Le retour de Tobie”, oratorio inédit de Haydn au Palais des Arts

Tobia

De Joseph Haydn, les mélomanes connaissent ses deux grands oratorios que sont la Création et les Saisons, véritables chefs d’œuvre, créés à Vienne respectivement en 1799 et 1801 avec le succès que l’on sait. Mais qui sait que vingt-cinq ans plus tôt, un autre oratorio de sa composition avait été donné à Vienne ? C’était les 2 et 4 avril 1775. Haydn, alors employé chez le prince Nicolas Esterházy, avait quarante-trois ans, en pleine maturité et en pleine possession de ses moyens. Son titre : „Il Ritorno di Tobia” („Le retour de Tobie”). Représentation donnée avec le soutien de la Tonkünstler Societät (société de bienfaisance) qui remporta un grand succès, rapportant à la Société une recette substantielle (1). Mais ne connut par la suite que deux reprises du vivant du compositeur, en 1784 (version remaniée) toujours avec succès, puis en 1808, ce qui fut cette fois un demi échec (2). L’œuvre fut également donnée en 1777 à Berlin, en 1783 à Rome, enfin en 1784 à Lisbonne et en 1787 à Leipzig. Mais elle fut peu rejouée par la suite. Ce n’est que tardivement que l’oratorio fut révélé au grand public par les enregistrements des Hongrois Ferenc Szekeres (1972) et Antal Dorati (1979). Le livret est d’un certain Giovanni Boccherini, frère de Luigi, le compositeur. Il est inspiré du Livre de Tobie, texte apocryphe de l’Ancien Testament, légende issue de la mythologie orientale. Tobit, Juif pieux déporté à Ninive est atteint de cécité et réduit à la misère. Son fils Tobie part pour un long voyage au cours duquel il rencontrera Sara, sa future épouse, victime d’un démon (monstre marin) qui fait périr ses fiancés successifs. Au retour de son fils, Tobit sera guéri de sa cécité et Sara délivrée du démon grâce à l’intervention de Tobie qui terrasse le monstre (une baleine dont le fiel servira à guérir Tobit) et de l’ange Raphaël (cachant son identité sous le nom d’Azarias) qui l’avait guidé tout au long du chemin. (3)

Une œuvre, qui, par rapport à sa forme originale, jugée trop longue et ralentie par de longs récitatifs, subit de profonds remaniements, essentiellement par des coupures et ajout de chœurs (au nombre de cinq). Chœurs, généralement loués, qui en constituent, dit-on, le point fort. Une œuvre où alternent constamment les tonalités, ce qui en atténue la monotonie et enrichie d’un orchestre au grand complet (percussions, cuivres, bois, vents). Quant au livret de Boccherini (inspiré de Métastase), plutôt que d’exploiter les éléments dramatiques du récit, il met davantage en avant des considérations moralisantes et philosophiques. Divisée en deux parties, l’œuvre, basée sur le modèle de l’oratorio italien, constitue, outre ses cinq chœurs (deux au départ), une suite d’airs et récitatifs entrecoupés seulement de deux duos. Voilà en résumé ce que l’on en dit.

Toujours à la recherche d’inédits, György Vashegyi, à la tête de son orchestre Orfeo et du chœur Purcell, a choisi, pour nous présenter l’œuvre, de se faire accompagner d’une équipe internationale. Le ténor suédois Anders Dahlin en Tobie, le baryton biélorusse Nicolaï Bortchev pour incarner son père et la mezzo-soprane hongroise Eszter Balogh, sa mère (Anna), Sara étant incarnée par sa compatriote, la soprane Réka Kristóf et l’archange Raphaël (Azarias) par la soprane italienne Roberta Invernizzi.

Venons-en au concert.

D’emblée, une œuvre qui débute sous les meilleurs auspices. Dès l’ouverture qui, après une lente introduction, se déroule sur un tempo vif et enlevé, digne des grandes symphonies. Ouverture qui enchaîne sur un merveilleux chœur accompagnant le duo Tobit-Anna déplorant le départ de leur fils („Aie pitié de la douleur d’une mère”). La suite à l’avenant avec un long air de bravoure d’Anna où Haydn déploie toute sa science dans la maîtrise du chant. Le tout soutenu par un orchestre très présent. Nous mentionnerons encore un peu plus loin ce long air de Raphaël (soprane) d’une haute virtuosité exigeant un large registre de la voix. Suivra un air délicieux d’Anna conçu dans un style populaire, bien typique de Haydn, enchaînant sur un chœur „annonçant de près, par sa fougue, son élan et le rôle important de l’orchestre, la Création et les Saisons” (Marc Vignal). Un début prometteur, donc. La suite ? Une longue suite d’airs et récitatifs, mais nullement ennuyeuse, par moments soutenus par un fort beau chœur, tel ce merveilleux final de la première partie. Autre temps fort, le dernier final, qui, entamé par les solistes sur un ton d’humilité, débouchera sur un chœur majestueux et triomphant introduit par une longue fugue, où l’on retrouve le Haydn des grands oratorios. Pour la seconde partie, nous citerons encore cet air de Sara si délicieusement accompagné par les bois („Il me semble que je suis… parmi les anges” ). Du pur Mozart ! Et aussi, sur la fin, ce merveilleux duo entre la mère et le fils introduit par les cordes en sourdine.

Avant de parler du chœur et des solistes, un mot, tout d’abord sur l’orchestre. Qui, comme à son habitude, sonnait ce soir de façon merveilleuse, servi par une partition mettant particulièrement en valeur ses différents pupitres, notamment dans les rangs des cuivres et des bois. Dans un répertoire, il est vrai, qui lui est familier. Pour le chœur, particulièrement brillant ce soir (Haendel n'est pas loin...). Rien à redire sinon par moments cette domination des voix féminines sur les voix masculines.

Tobia

Mais c'est surtout des solistes qu’il nous faut ici parler. On sait que, pour les premières représentations, Haydn disposait des meilleurs chanteurs du moment (4). Aussi s’était-il appliqué à leur confier des airs les mettant particulièrement en valeur. Des airs généralement longs et faisant appel à des prouesses vocales, notamment chez les femmes. Mais sans jamais se départir du bon goût. Pour les servir ce soir, le chef a su s’entourer d´une équipe parfaitement rodée, la plupart ayant déjà interprété, voire enregistré, cette œuvre par le passé. Tous les cinq excellents, sur lesquels nous n’avons rien à redire. Sinon pour mentionner plus particulièrement Eszter Balogh que nous découvrions soir dans le rôle d’Anna. Une Anna qui constitue finalement le personnage central de la pièce, nous accompagnant pratiquement d’un bout à l’autre de l’action. Une belle voix de mezzo claire, chaude et puissante pour exprimer toute la gamme des sentiments traversés par cette mère angoissée et cette épouse aimante, mais décidée. Avec elle, nous découvrions probablement l’une des plus belles voix entendues sur la scène hongroise. De plus, servie par un physique collant au personnage : grande prestance et beaucoup de présence. Mais n’oublions pas non plus les autres, répétons-le, tous excellents, chacune et chacun à sa place.  Autre belle voix, le baryton Nicolaï Bortchev dans le rôle du mari Tobit. Ici aussi, une voix claire, chaude et puissante, bien que moins sollicitée.

Pour conclure ? Loin de prétendre aux sommets que seront sa Création et ses Saisons, Haydn nous offre ici une œuvre de longue haleine (plus de trois heures d’écoute…), mais qui vaut largement la peine d’être entendue ou réentendue. Plaisir qu’une fois de plus, le chef hongrois Vashegyi et ses musiciens nous auront offert ce soir. Seule ombre au tableau : le public clairsemé dans une salle aux trois-quarts vide. Mais un public apparemment satisfait au vu des applaudissements nourris dont il ne s’est pas montré avare. Dommage pour les absents (5)...

Pierre Waline


(1): selon un critique de l’époque: „L’auteur a si finement tissé expression de la nature et art dans son œuvre que l’auditeur ne peut qu’aimer celle-ci et admirer celui-là, surtout ses chœurs qui sont embrasés d´un feu qui ne brille que chez Haendel”.

(2): demi échec dû à la concurrence de ses propres  dernières œuvres et de Beethoven dont était donné un concert ce même jour (Ve et VIe symphonies, concerto en sol).

(3): Tobie, un sujet qui semble avoir été en vogue au XVIIIe siècle. Marc Vidal dénombre non moins de 35 oratorios ou opéras composés sur le sujet…

(4): telle, dans le rôle d’Anna, la célèbre Nancy Storace, amie de Mozart (la Suzanne des Noces).

(5): concert retransmis en direct sur les réseaux.

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