Budapest : deux formations réunies sur scène pour célébrer Haydn

Budapest : deux formations réunies sur scène pour célébrer Haydn

Haydn

„Haydn à Londres”, concert d'ouverture du festival Haydneum

Institué à l'initiative du chef hongrois György Vashegyi sous le nom de Haydneum, un centre hongrois de musique ancienne et classique est voué à la diffusion des productions de Joseph Haydn (et de son frère Michael) et à la promotion d'œuvres de leurs contemporains (plus largement du répertoire baroque en lien avec la Hongrie). Quoi de plus normal quand on sait que Joseph Haydn passa une grande partie de sa vie au service de princes hongrois, les Esterházy. Au-delà des concerts, le centre, inspiré du Centre de Musique baroque de Versailles, propose des débats, conférences et formations. Pour ce qui concerne les concerts, il offre au public hongrois deux temps forts par des festivals montés chaque automne et chaque printemps. 

Cette année, en ouverture du festival, s'est tenu un concert placé sous le titre „Haydn à Londres” rassemblant deux symphonies du maître autrichien complétées par deux ouvertures de Salieri et Cherubini. Une originalité : concert rassemblant sur scène deux formations. Aux côtés de l'orchestre Orfeo, le Concert de la Loge, le tout placé sous la direction de Julien Chauvin. Au programme : les symphonies no 100, „Militaire” et 101 „L'Horloge”, et les ouvertures „Les Horaces” de Salieri et „Démophon” de Cherubini.

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Haydn effectua deux séjours à Londres (1791-92, 1794-95). C'est lors du second séjour qu'il donna les deux symphonies inscrites au programme ce soir. Séjours effectués sur l'invitation d'un certain Salomon, impresario (et lui-même compositeur) qui dominait alors la vie musicale londonienne.

Figurant parmi les plus connues et probablement les plus réussies du maître autrichien, la symphonie Militaire (no 100 en sol) doit son nom à l'importante percussion „turque” (triangle, cymbale, grosse caisse) utilisée dans le deuxième mouvement (et dans la coda finale). Elle connut dès sa création un vif succès et demeura longtemps la préférée du public londonien. Créée en ce même mois de mars 1794, la symphonie dite „L'Horloge” (n0 101 en ré), doit son surnom, ici encore, à son deuxième mouvement (andante en sol majeur), demeuré tout aussi célèbre. C'est quelques années plus tôt (1786-1788) que Salieri et Cherubini nous laissèrent les ouvertures inscrites au programme, toutes deux sur commande de l'Opéra de Paris.

Ayant célébré l'année dernière son trentième anniversaire, l'orchestre Orfeo, fondé et dirigé par le chef hongrois György Vashegyi, joue sur instruments anciens. Plus récent, le Concert de la Loge, basé à Metz, fut créé en 2015 par le violoniste Julien Chauvin. Également spécialisé dans la musique baroque et jouant également sur instruments anciens. Deux formations réunies ce soir sous la baguette du chef français. Une heureuse initiative (qui laisse supposer une bonne connaissance mutuelle et une bonne entente entre les musiciens).

Les œuvres

Lorsqu'elles furent données à Londres, les symphonies de Haydn bénéficiaient d'un orchestre de grande taille correspondant quasiment au double de nos orchestres généralement sollicités dans ce répertoire, notamment dans le rang des vents, ce qui justifie la juxtaposition ce soir des deux formations. C´est l'Horloge qui, malgré sa numérotation, fut donnée la première. Écrite en quatre mouvements (Adagio-Presto, Andante, Allegretto, Vivace), elle fut créée le 3 mars 1794 sous la direction du compositeur. Les trois derniers mouvements avaient été composés en Autriche. Seul le premier fut terminé à Londres. Que dire ? Outre son célèbre andante avec ce mouvement de balancier évoquant le tic-tac d'une horloge, on retiendra sa lente introduction confiée aux seuls bois et cordes suivie d´un brillant presto présentant des sommets d'intensité dramatique avec ses passages „en terrasse”, c'est-à-dire alternant en courts motifs crescendos et decrescendos (Marc Vignal). On retiendra également le menuet de son allegretto, plus long que de coutume. Quant au vivace, certains (Marc Vignal) y voient une certaine proximité avec Beethoven. Une œuvre qui figure parmi les plus achevées du compositeur et fut d'emblée favorablement accueillie.  

Créée le 31 mars suivant, la symphonie en sol (Militaire) fut entièrement composée à Londres. Dans le manuscrit conservé à Budapest manque le deuxième mouvement. Elle offre la forme classique des quatre mouvements (Adagio, Allegretto, Menuetto moderato, Presto). Comme la précédente, l'œuvre débute par une longue introduction, dont les premières mesures sont confiées aux seules cordes avant de faire intervenir l'orchestre au complet, notamment dans le rang des vents (flûte). Une longue introduction particulièrement soignée où certain, non dépourvu d'imagination (Hermann Kretzschmar) croit voir l'annonce de la Marche de Radetzky. Pour obtenir le deuxième mouvement avec percussion, Haydn réorchestra un original de 1787, y ajoutant une imposante coda.

Haydn
Cherubini

Établis respectivement à Vienne et Paris, Salieri et Cherubini avaient eu l'occasion de rencontrer Haydn dont ils subirent sans nul doute l'influence. Tous deux auteurs prolixes d'opéras (plus de trente). C'est encouragé par le succès des Danaïdes que Salieri composa les Horaces, inspirés de Corneille. Créé à l'Académie royale de Musique en décembre 1786, l'œuvre ne reçut pas l'accueil escompté, en partie en raison, dit-on, de la faiblesse des interprètes. Créé deux ans plus tard (décembre 1788) en cette même Académie royale de Musique, d'après Métastase, l'opéra de Cherubini eut un sort plus heureux, notamment loué par Gluck.

L'interprétation

Nous connaissions Julien Chauvin et son ensemble pour les avoir vus et entendus à plusieurs reprises sur la chaîne Mezzo (1). Un violon et un ensemble aux belles sonorités, de taille relativement réduite, excellant dans le répertoire baroque. Mais ici, il en allait tout autrement. Alors ? A première vue - ou écoute… -, la greffe a pris, la fusion entre les deux orchestres semble s'être fort bien passée. Grâce à un minutieux travail de préparation et de répétitions. Notre première impression : des interprétations roboratives à souhait, débordant d'énergie, extraverties, fidèles à l'esprit du compositeur. Et des tempos soutenus, ce qui est essentiel chez Haydn, y compris les silences bien marqués avant les reprises. Le tout, malgré la taille de l'orchestre (70 musiciens), offrant des sonorités claires, chaque pupitre étant bien distinctement audible, Des sonorités claires ... et brillantes, notamment dans le rang des cuivres. A cet égard, je mentionnerai les bois omniprésents et sonnant à merveille. Sans oublier les percussions. Tous à l'unisson sous la baguette inspirée d'un chef en grande forme ce soir. Visiblement motivé par le défi qui lui était lancé, Julien Chauvin, qui jouait la partie de violon tout en dirigeant, dansait pratiquement sur son petit podium tout en lançant aux musiciens des gestes clairs et précis. Entendues et enregistrées à maintes reprises par les plus grands chefs, l'interprétation qui nous était donnée ce soir de ces œuvres ne m'aura peut-être jamais paru si probante. Le chef et ses musiciens ont cherché à restituer ce qu'avait pu entendre et ressentir le public de l'époque, apparemment avec succès. De plus, des musiciens jouant sur instruments d'époque, ce qui ne gâte rien.                     

Haydn
Salieri

Voilà pour Haydn. Et les deux autres ? Entendues pour la première fois, les deux ouvertures frappent d'emblée par leur contraste. Vive, enlevée chez Salieri, dramatique - non sans quelque emphase - chez Cherubini. Si ma préférence est ici allée un chouia à Salieri, il faut néanmoins reconnaître chez son rival un sens aigu du drame et une certaine profondeur qui ferait presque penser, par son climat tendu à l'ouverture de Don Juan et annonce déjà de loin les romantiques. Cherubini, dont Beethoven, rappelons-le, admirait tant les opéras. Tout le contraire chez Saleiri dont l'écriture se révèle, dans l´ouverture entendue ce soir, habile et offrant un entrain, un charme bien séduisant. Bref, deux découvertes qui nous ont enchantés. En bis, le chef et ses musiciens nous ont offert une scène extraite de l'Orphée de Gluck, les Furies. Ici encore dans une interprétation brillante s'accordant bien avec les œuvres précédemment entendues.

Le public

Enthousiaste est un faible mot. Applaudissements nourris et bravi, agrémentés de petits cris (!), chose rare en ce lieu. Il faut dire que notre ami, aussi talentueux comédien que musicien, fit tout pour séduire son public, auquel il s'adressa à plusieurs reprises, accompagnant ses explications de petites pointes d'humour provocant rires et sourires dans la salle. Seule déconvenue, cette agaçante manie d'applaudir entre les mouvements.

Une visite qui ne sera pas passée inaperçue et une soirée que nous ne sommes pas prêts d'oublier.   

Pierre Waline

(1): notamment dans un merveilleux récital Vivaldi avec la soprane hongroise Emőke Baráth.

 

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