Un film freudien
Le film Outsider.Freud réalisé par l’Israélien Yair Quedar a été projeté au Bem Cinema de Buda le 24 avril 2025 lors de l’avant-première hongroise qui était suivie d’une rencontre avec le réalisateur. Ce film, d’une durée de 66 minutes, retrace la vie de Sigmund Freud, fondateur autrichien de la psychanalyse, en adoptant une approche originale, délaissant le récit biographique linéaire au profit d’un portrait psychanalytique de Freud et d’une exploration de nouvelles dimensions de l’héritage freudien.
De nombreux films existent sur Freud, mais, pour se démarquer, Yair Quedar a choisi d’axer le film autour de deux aspects: d’une part, l’animation de l’appartement viennois de Sigmund Freud, situé au 19, Berggasse et d’autre part la mise en scène onirique de certains des rêves, tirés de ses écrits. La couleur rouge est présente dans le film telle un fil rouge, nous faisant voyager de la couleur des murs du cabinet de thérapie psychanalytique de l’appartement de Freud à ses rêves («ces voies royales menant à l’inconscient») où le paysage défilant devant la fenêtre du train est son tapis oriental d’un rouge-sang.
Le film se divise en 4 actes. Le premier acte intitulé «1878. The Jew» a vocation à montrer Freud sous l’angle de l’homme appartenant à une minorité, la minorité juive, qui est marginalisée dans l’Autriche de la seconde moitié du XIXe siècle, avec un climat antisémite déjà très présent. La seconde partie du documentaire intitulée «1900. When Freud becomes Freud» aborde la mort du père de Freud, Jakob Freud, à l’âge de 81 ans. Le film montre le véritable tournant que représente cette mort pour Sigmund Freud, qui n’avait jamais pensé être aussi attaché à son père. Dans le troisième chapitre du film intitulé «1923. Love/Death», le réalisateur s’attelle à mettre en avant les grands drames successifs qui ont marqué et fortement influencé Sigmund Freud, notamment la mort de sa fille préférée Sophie en 1920, puis la mort de son petit-fils adoré, Heinz Freud, en 1923 des suites de la tuberculose. Freud commence alors à s’intéresser plus en profondeur à la question de la mort, après avoir énormément souffert de ces deuils. En 1920, Freud développe l’idée de pulsion de mort (Thanatos) en affirmant ainsi que tout organisme tend non seulement à rechercher le plaisir et à éviter la douleur (pulsion de vie, Eros) mais aussi à revenir à un état inorganique, c’est-à-dire la mort. Il écrit alors «Le but de toute vie est la mort» dans Au-delà du principe de plaisir en 1920. Le quatrième chapitre du film nommé «1938. The Exile» revient sur le départ contraint de Freud vers le Royaume-Uni, forcé de quitter Vienne en raison de la traque juive par la Gestapo. Ce dernier acte de sa vie met en lumière la manière dont Freud dépasse le stade de vie et meurt, en 1939, à l’âge de 83 ans.
Après la projection du film, a eu lieu une table ronde réunissant le cinéaste Péter Forgács, la psychanalyste Dóra Lőrik et Yair Quedar, le réalisateur du film, modérée par la psychologue Noémi Ford. Péter Forgács partage son opinion sur le film et décrit le personnage de Freud «Nous ne savons pas à quel point il a réussi en tant que thérapeute, mais il était à côté de cela un génie, un philosophe» et affirme également que «nous méritons tous ce film et j’aimerais que chacun puisse le visionner dans une perspective éducative». Le réalisateur du film Yair Quedar a ensuite expliqué les étapes ayant mené à la construction du film, la première étant la création du script qui fut rythmée par trois années d’échecs, de crises et de passages sur le divan d’un psychanalyste quatre fois par semaine. La seconde étape est l’extraction de passages de certaines des quelques 20 000 lettres écrites par Freud et qui seront utilisés dans le film. Le réalisateur a ensuite tiré parti de l’ouverture récente des archives de Freud —composées principalement de vidéos capturées par son amie fidèle Marie Bonaparte, où on le voit se promener dans son jardin ou lire aux côtés de son chien—. Des images d’archives de Vienne et de danseurs insufflant une atmosphère joviale au film ont également été utilisées. Yair Quedar explique que le train fut la dernière étape de la construction du film car ce thème est central dans la vie de Freud. A l’époque, les trains étaient très modernes et constituaient un thème récurrent dans les déambulations oniriques de Freud.
Un spectateur dans l’audience questionna le réalisateur sur l’origine du nom du film Outsider.Freud, ce à quoi il a répondu que ce nom est paradoxal car Freud est à la fois un insider —celui «à l’intérieur», dans la pensée et la conscience—et un outsider, du fait de son identité juive dans la société antisémite autrichienne de la fin du XIXe siècle. En résumé, ce film est très intéressant à visionner autant d’un point de vue cinématographique que d’un point de vue psychanalytique et historique. Ainsi, Yair Quedar nous montre —littéralement— une nouvelle image de Freud, celle d’un «Freud cosmopolite qui appartient à l’univers», philosophe mais avant tout humain.
Cassandre Marigny