Olivier Guez et Gábor T. Szántó à l'Institut Français de Budapest

Olivier Guez et Gábor T. Szántó à l'Institut Français de Budapest

Olivier Guez et Gábor T. Szántó.

Au début du mois de mai, l’Institut Français nous a convié à une table ronde accueillant deux écrivains, l’un français et l’autre hongrois, Olivier Guez et Gábor T. Szántó. Tous deux connus pour avoir écrit sur le nazisme, leurs abjects dignitaires ainsi que sur la question juive, ils ont accepté de parler de leurs récits et de répondre à nos questions le temps d’une soirée.

Olivier Guez est à la fois journaliste, essayiste et écrivain, et s’est fait connaitre du grand public en 2017 via la publication de son roman biographique « La Disparition de Josef Mengele », qui a été récompensé par le prix Renaudot. Gábor T. Szántó est quant à lui écrivain, ainsi que rédacteur en chef du magazine politique et culturel juif « Szombat ». Récemment, Ferenc Török, réalisateur hongrois, a produit un long métrage intitulé « 1945 », qui est directement adapté de l’un de ses récits.

Tous deux ont donc écrit sur la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste, mais d’une manière indirecte, sans réellement se plonger au coeur des événements ayant eu lieu entre 1939 et 1945. En effet, ils sont convaincus que les témoignages suffisent, et ne se sentent pas assez à l’aise avec le fait d’écrire une fiction sur ces moments de l’Histoire, notamment car des oeuvres majeures et réalistes existent déjà. Lorsque Guez écrit sur Mengele, cela commence en 1949, quand le médecin fou d’Auschwitz part en Amérique du Sud refaire sa vie. Il se permet donc d’imaginer comment cet homme a pu vivre après la Shoah et ses massacres, mais ne parle pas de ses expériences dans les camps. Ainsi, ce qui intéressent ces écrivains, ce sont les répercussions, les rapports entre les survivants et la société, et comment ces derniers se sont reconstruits tout en portant leur parole auprès des nouvelles générations.

Afin d’écrire sur ces sujets, ils se sont évidemment documentés, via des archives et des rapports, mais également par le biais de la littérature, qui leur a donné envie de se plonger dans cette époque. Le livre « Etre sans destin » d’Imre Kertész, est celui qui a le plus marqué Gabor. Ce roman autobiographique, paru en 1997, met en avant la parole d’un jeune homme de 15 ans, dont le père est envoyé dans un camp de travail. Cependant, il semble totalement détaché de cela, et les descriptions tournent à l’absurde, notamment lorsqu’il est pris dans une rafle, et qu’il continue d’en rire. Malgré tout, ce récit poignant permet de dresser un tableau précis et réaliste de la situation des juifs en Hongrie, et particulièrement à Budapest. Guez a quant à lui décidé de nous parler de « Par delà le crime et le châtiment » de Jean Amery, qui est un essai sur le génocide juif, considéré comme une oeuvre majeure de la littérature de la Shoah. Ces oeuvres ont donc donné aux deux écrivains l’envie d’aborder ce sujet à travers leurs propres ouvrages, en s’interrogant sur la façon dont l’Europe était passée d’un continent meurtrier, à celui de terre d’accueil des juifs. En effet, le début des années 2000 a vu une immigration juive majeure, notamment en Allemagne, ce qui pousse à se questionner. De plus, l’ouverture des archives, la libération de la parole, ainsi que la mort des anciens hauts dignitaires nazis leur a donné envie de se plonger dans les tréfonds de cette ère.

Le phénomène d’attraction et d’interrogation autour de l’Holocauste et de ses personnages n’est pas nouveau : malgré les nombreux récits, certaines zones d’ombres sont toujours présentes, et c’est ce qui a poussé Guez à écrire son roman. En effet, le personnage de Mengele est un mystère à lui tout seul : bourreau d’Auschwitz, auteur de nombreuses expériences, notamment celles sur la gémellité, il a mystérieusement disparu en Amérique du Sud en 1949, et a été retrouvé mort sur les plages brésiliennes en 1979. Il n’a pas été jugé ou arrêté, ce qui fait de lui un des personnages les plus secrets de cette époque. Comment vivre avec des crimes pareils, et comment faire une fois que le système qui vous a poussé à commettre ces crimes nexiste plus ? C’est ce sur quoi l’écrivain s’est interrogé tout au long de son roman, qui mêle la fiction à la réalité.

Cette table ronde a été suivie par la diffusion d’un film adapté des écrits de Gabor, intitulé « 1945 », ou « La Juste Route » en français. On y suit l’histoire d’un petit village hongrois, où plusieurs destins s’emmêlent lorsque des Juifs orthodoxes arrivent, chargés de bagages. Petit à petit, le bruit va se répandre et chacun va devoir faire face à ses exactions durant la guerre. Ce film met en exergue la culpabilité de chacun, et permet de voir que même sans être rattaché au nazisme, tous ont commis des actes répréhensibles et égoïstes.

Ainsi, cet échange a permis de dialoguer sur les méthodes de travail de ces écrivains, d’apporter leur point de vue quant à la manière de traiter les informations, tout en parlant de cette période sombre, qui malgré un nombre infini d’ouvrages, reste une source intarissable de création et de témoignages.

Louise Damin

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