Hongrie : 14, 15, 16 octobre 1944, des journées à marquer d'une pierre noire

Hongrie : 14, 15, 16 octobre 1944, des journées à marquer d'une pierre noire

Ungvary

Présentation et débat à la Maison de la Presse hongroise

„Soldats ! Après tant de souffrances endurées par notre patrie, il est temps de tourner une page. C'est pourquoi j'ai décidé de demander un armistice. Je vous invite, fidèles à votre serment, à suivre mes ordres transmis par votre commandement”. Ainsi s'exprimait le régent Horthy sur l'antenne de la radio hongroise ce dimanche 15 octobre 1944. (Extrait résumé, librement traduit). A peine son allocution terminée, les troupes allemandes investissaient le Palais, le forçant, par un odieux chantage, à démissionner et nommer au gouvernement un nazi, Ferenc Szálasi, chef du mouvement des Croix fléchées („Nyílasok”)

Que s'était-il donc passé ? Quel contexte avait poussé le Régent à cette démarche de dernière heure et pourquoi fut-ce un échec ? C'est ce qu'a tenté d'analyser l'historien Krisztián Ungváry dans un ouvrage intitulé „Sortie de l'Histoire” („Kiugrás a történelemből”). Introduisant ainsi son propos : „Le 15 octobre 1944 marque une des journées les plus dramatiques de l'Histoire hongroise, influant le sort de centaines de milliers de nos compatriotes, voire déterminant pour la suite du conflit”. Ouvrage présenté et commenté à la Maison de la Presse hongroise, agrémenté de la présentation d'un film réalisé par le Franco-Hongrois André Libik, mis-en-scène par András Kovács. Le tout animé par l'historienne Éva Ring.

UngvaryUn véritable imbroglio dont l'auteur nous révèle les dessous grâce à un long et minutieux travail de recherches (archives inédites, témoignages et recoupements).

Au moment où Horthy prenait la parole, les troupes soviétiques occupaient déjà une part du pays, menaçant à terme la capitale. Se rendant à l'évidence d'une défaite proche de son allié allemand, Horthy avait d'abord envisagé de solliciter un armistice auprès des Anglais (misant à tort sur un hypothétique débarquement dans les Balkans) qui rejetèrent sa demande. Surmontant son aversion viscérale envers le communisme, il envoya une délégation à Moscou où l'armistice fut signé, moyennant une condition impérative : que les troupes hongroises se joignent aux troupes soviétiques pour combattre ensemble l'occupant allemand. Et c'est là que le bât blesse : faisant preuve de dilettantisme, trop sûr de lui et mal informé, le Régent avait cru bon de passer sous silence l'intervention aux côtés des troupes soviétiques, persuadé que sa démarche suffirait à elle seule, comme cela s'était produit en Finlande (mais dans un contexte différent) à pousser les Allemands à quitter le pays. C'était sans compter avec la détermination de ces derniers - qui avaient été prévenus - pour qui la Hongrie (sur la route de Vienne) constituait un enjeu stratégique, ni avec la réaction d'une grande partie des cadres de l'armée - et une part non négligeable de la population - plaçant au-dessus de tout la lutte contre le communisme (1). (Des troupes russes qu'ils venaient de combattre en Roumanie). Probablement inspiré par le récent volte-face opéré en Roumanie, mais où, à la différence des Hongrois, le peuple plaçait en priorité la lutte contre l'Allemagne nazie.

Le chantage, face à un Horthy réticent : l'enlèvement de son fils (imprudemment sorti pour rencontrer – en principe... - une délégation de partisans yougoslaves), déporté en Allemagne dans un lieu tenu secret. Craignant pour sa vie, Horthy se vit donc contraint de céder. A partir de là se déroula l'une des périodes les plus sombres de l'Histoire : persécution implacable des Juifs de la capitale et des résistants.

Parmi les motivations qui incitèrent Horthy à faire volte-face, figurait probablement aussi l´espoir d'adoucir une condamnation éventuelle des alliés pour son attitude passée : passivité face à la déportation des 435 000 Juifs de province, envoi de dizaines de milliers d'entre eux sans défense sur le front où nombre périrent ou encore expulsion en Ukraine - dans les mains des SS - de Juifs déchus de leur nationalité… Avec néanmoins à son actif le sauvetage in extremis des Juifs de la capitale.

Un épisode particulièrement douloureux, aujourd'hui encore sujet à polémique, sur lequel les conférenciers ont tenté de jeter ce soir un éclairage nouveau, encore que nombre de points demeurent à élucider, et que nombre d'hypothèses continuent à être avancées.

Exposé suivi de la projection d'un film émouvant mettant en scène les principaux protagonistes du drame. 

Remontant à maintenant quatre générations, voilà qui fait encore débat, véritable traumatisme pour certains. Tel fut le cas ce soir….

Pierre Waline

 (1): sans compter que c'eût été par-là renoncer aux territoires perdus à Trianon, dont il venait de récupérer une partie avec l'aide des Allemands, raison principale de son alliance. Bref, mettre fin au rêve de la „Grande Hongrie”.

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