Une concertation inefficace dans le domaine de l’éducation

Une concertation inefficace dans le domaine de l’éducation

C’est un fait, l’éducation hongroise est en crise. Avec un système éducatif à trois vitesses et un déficit démographique déjà perceptible, la Hongrie met en péril son avenir économique. Pour faire un rapide état des lieux, le JFB a rencontré Ivan Bajomi, maître-assitant de sociologie à l’Université d’ELTE et spécialiste des questions d’éducation.

 Le JFB : Comment expliquer la situation inquiétante du système éducatif hongrois ?

Ivan Bajomi : Tout d’abord le fait que les choses ne soient pas suffisamment réfléchies, le nombre des réformes, la vitesse de ses changements en sont grandement responsables. Depuis la chute du mur, les gouvernements successifs ont tous voulu réformer d’une manière ou d’une autre le fonctionnement du système éducatif, mais toujours sans concertation globale. Comme les objectifs et les solutions adoptés par les différents gouvernements en matière d’éducation étaient souvent diamétralement opposés, de forts mouvements de balancier caractérisent les transformations observables dans ce secteur. Pourtant il s’agit d’un domaine où les résultats d’une décision ne se font sentir qu’au terme de dix ou quinze ans. Les différents acteurs de l’éducation se réunissent mais dans des instances de concertation séparées et sans se communiquer leurs délibérations. Ainsi, il est impossible d’avoir une action efficace qui tienne compte de tous les paramètres. Les décideurs choisissent donc de suivre tel ou tel modèle sans procéder à de larges et sérieuses consultations préalables, ce qui ne peut avoir qu’un résultat négatif. De plus, depuis 1990, le principe de financement qui a été choisi, repose sur le nombre d’élèves inscrits dans l’établissement. La dotation globale étant calculée per capita. Avec le temps une autonomie de plus en plus importante a aussi été accordée aux établissements tant en ce qui concerne les programmes que les financements complémentaires. Compte tenu du système de filières existant non seulement au niveau de l’enseignement secondaire, mais aussi au niveau des écoles fondamentales scolarisant les 6-14 ans, une hiérarchisation des établissements et une forme de catégorisation s’est petit à petit mise en place. Le déficit démographique, qui a eu pour conséquence de raréfier le nombre d’élèves potentiels, a créé une forte situation de concurrence qui a amplifié ces phénomènes.

Le JFB : Pouvez-vous nous donner une illustration de ce phénomène ?

I.B. : Nous avons mené une étude poussée dans un arrondissement ouvrier de Budapest et nous avons constaté de très fortes disparités entre les écoles fondamentales en relation avec l’origine sociale des élèves. Pour attirer plus d’élèves, les établissements ont créé des classes spécialisées, en langues par exemple, ou mettent au programme des matières particulières que d’autres établissements n’offrent pas… Finalement, cela a abouti à l’existence d’une hiérarchisation entre les établissements dits « d’élite » et les autres mais aussi à une hiérarchisation, dans un même établissement, entre les classes "spécialisées" et les "non spécialisées". Enfin, pour ne pas fermer leurs portes, d’autres écoles se spécialisent de plus en plus dans l’accueil des élèves à problèmes, notamment en raison du fait que du point de vue du financement forfaitaires depuis quelques années ces enfants comptent doublement. Notons aussi que dans maintes localités, les municipalités qui sont les propriétaires des écoles publiques ne voient pas d’un mauvais oeil que les enfants issus de milieux modestes ou d’origine rom fréquentent des écoles délabrées, tandis que les enfants issus de milieux plus aisés peuvent fréquenter des établissements assurant un enseignement de qualité. Depuis 2002 différents initiatives ministérielles ont été prises en vue d’inciter voire obliger les municipalités à assurer davantage de mixité au sein de leurs écoles, sans que l’on ait pu obtenir jusqu’à nos jours d’importants résultats dans ce domaine. Si une ville de la grande plaine hongroise, Hódmezôvásárhely, s’évertue à vouloir mettre fin à la ségrégation scolaire, nombreuses sont les localités dont les élites et les classes moyennes trouvent normal qu’une partie importante des enfants de leur commune fréquentent des établissements de seconde classe.

Le JFB : Peut-on observer des hiérarchies similaires au niveau des lycées ?

I.B. : Oui, dès le changement de régime les écoles secondaires ont aussi renforcé la sélection en offrant aux élèves d’entrer plus tôt dans l’établissement, ouvrant ainsi de vraies brèches dans un tronc commun long mis en place en Hongrie dès 1945. Compte tenu du déclin démographique maintes écoles secondaires ont opté pour cette solution afin de pouvoir garder plus longtemps les élèves, et ceci sans se soucier nullement du fait que les départs précoces des meilleurs élèves des écoles fondamentales déstabilisaient le fonctionnement de ces dernières.

Par ailleurs une certaine anxiété résulte de cette situation chez les familles qui accordant beaucoup d’importance à la scolarisation de leur enfant. Ces parents, afin de pouvoir être sûrs que leur bambin trouvera une bonne place de lycée, n’hésitent pas à soumettre leur enfant à des épreuves de sélection organisées par les lycées dès l’âge de dix ou douze ans.

Le JFB : Existe-t-il d’autres facteurs d’inégalité ?

I.B. : On observe aussi d’autres inégalités importantes au sein du système scolaire : comme les écoles publiques dépendent des municipalités, l’état des finances de ces dernières influence fortement la qualité des services offerts dans les écoles. Nombreux sont les établissements ruraux dont la cantine a été fermée faute de subsides, tandis que les écoles des municipalités plus riches sont très bien équipées. Ces inégalités sont d’autant plus importantes que dans de nombreux petits villages les enfants sont privés d’écoles maternelles en raison de l’inexistence des fonds municipaux nécessaires au maintien d’une telle institution.

Il existe aussi d’importants écarts dûs au fait que certains directeurs d’écoles réussissent à obtenir d’importants fonds par le biais d’appel d’offre de tous genres tandis que les dirigeants de beaucoup d’autres établissements ne parviennent pas récolter de l’argent par ces canaux. Pourtant comme les dotations budgétaires à elles seules sont insuffisantes pour faire fonctionner une école, pouvoir drainer des fonds complémentaires est en effet une condition fondamentale du point de vue de la qualité des services scolaires.

Le JFB : Quelle est la situation des plus défavorisés, celle des élèves roms en particulier ?

I.B. : Le processus d’orientation auquel sont soumis les élèves avant de commencer leur scolarisation obligatoire a été totalement inadapté et a renforcé les inégalités. De nombreux élèves roms se sont retrouvés dans des établissements d’adaptation normalement destinés aux handicapés légers car on mesurait plus des critères liés à l’éducation qu’aux facultés d’intelligence de l’enfant. Récemment des programmes ont été mis en place afin de renouveler les procédures d’orientation et de reclasser les enfants roms placés dans des classes ou des écoles d’adaptation. Ce qui est aussi particulièrement important : un programme spécial permettant d’enseigner à des enfants roms et non-roms a été développé au sein d’un centre de ressources récemment créé et les résultats obtenus dans les écoles ayant opté pour la mise en oeuvre de ce programmes sont convaincants.

Le JFB : On parle beaucoup du problème du recrutement des professeurs et de leurs salaires...

I.B. : Il y a une différence fondamentale entre la France et la Hongrie. Le statut d’employé public des enseignants hongrois ne comprend pas la garantie de l’emploi dont bénéficient les enseignants français. Si une école primaire ou secondaire ferme ses portes par manque d’élèves ou si des matières sont supprimées pour la même raison, le professeur perd son emploi. De plus, même si les rémunérations ont été augmentées il y a quelques années, le coût de la vie a progressé d’autant. De nombreux enseignants de qualité choisissent de travailler dans le privé pour des salaires plus attractifs. Cela a aussi eu une répercussion sur la formation des nouveaux enseignants. En effet, les institutions censées former les futurs enseignants recrutent beaucoup de jeunes ayant eu des résultats faibles durant leurs études secondaires. Outre cela, même si le contenu des matières pédagogiques a évolué depuis la chute du communisme, les futurs enseignants ne sont toujours pas suffisamment préparés à affronter les difficultés qui les attendent en milieux difficiles.

Xavier Glangeaud