Voyage dans les villes vertes de l’artiste Chris Morin-Eitner

Voyage dans les villes vertes de l’artiste Chris Morin-Eitner

Eitner

Vous avez peut-être déjà eu la chance de tomber sur l’une de ces photographies où Paris est envahie par une faune et flore exubérante. Ces peintures numériques sont les fruits du travail du photographe plasticien Chris Morin-Eitner, qui nous a fait l’honneur d’une interview pour nous aider à mieux comprendre les réflexions et visées artistiques de ses œuvres. Une promesse d’évasion à retrouver sur les sites de l’artiste http://www.morin-eitner.com/albums et de la galerie parisienne W Landau https://www.galeriew.com/artistes/chris-morineitner.

EitnerChris Morin-Eitner est un artiste-photographe parisien exposé à la galerie W Landau, diplômé en architecture et passionné d’urbanisme. Utilisant comme moyen d’expression la peinture numérique et les collages digitaux, le photographe-plasticien explore, dans sa série « Once upon a time tomorrow » (il était une fois demain), un futur alternatif des villes. Ainsi, les mégalopoles et capitales mondiales sont envahies d’une végétation luxuriante qui parent les immeubles de guirlandes verdoyantes. Des animaux sauvages remplacent les Parisiens, New-yorkais, Vénitiens et autres Shanghaïens. De la Tour Eiffel à Big Ben, en passant par la Burj Khalifa et les tours Petronas de Kuala Lumpur, les lianes, fleurs et autres arbres tropicaux confondent les armatures d’acier, les vitres et l’asphalte pour des terreaux ultra-fertiles. Paris se démarque d’autant plus : la capitale française se transforme en capitale tropicale, où les élégantes façades et célèbres monuments s’adornent des plus belles fleurs.

Le quartier de la Défense se parent d’éoliennes. Une flopée de gazelles sEitnere rend à l’Opéra Garnier, tandis que les flamands roses, eux, préfèrent voir un spectacle de French Cancan au Moulin Rouge. L’exposition sur la jungle du Grand Palais semble avoir intéressé un visiteur particulier, qui n’est autre qu’un immense rhinocéros. Ce Paris sauvage charme par ces vives couleurs, mêlant avec brio la nature à la ville.

Le temps semble s’être arrêté dans cet ère post-anthropocène, à l’image du Château de la Belle au Bois Dormant de Disneyland Paris, métaphore d’une civilisation humaine endormie à jamais. Désormais, la faune et la flore s’imposent en maîtres : du lion roi de l’Arc de Triomphe, aux arbres du voyageur – des arbres malgaches en éventail aux allures de palmier – qui couronnent les plus hautes tours en étendards, on pourrait se demander ce qui a mené à une telle transition de pouvoir. Coup d’état ? Changement de Constitution redonnant ses droits à la nature ? Fuite des humains à cause d’une pandémie… ? Les possibilités laissent libre court à l’imagination. Science-fiction ou bien présage de l’avenir, la situation pandémique actuelle qui vide les rues de ses citadins offre de nouvelles grilles de lecture pour cette série artistique.

En discutant avec Chris Morin-Eitner, j’ai réalisé à quel point l’aspect environnemental compte pour lui. Les séries « Le jardin des délices » et « A vos arbres » témoignent de sa sensibilité à voir le vivant dans les végétaux, et à les considérer comme des êtres à part entière. Un véritable don pour la paréidolie !

EitnerLorsque je lui ai demandé si ses œuvres représentaient un monde apocalyptique, ou un monde libéré, et s’il s’agissait d’une prémonition, il m’a répondu que le but n’était pas de prédire le futur. Ces mondes verts, se sont de nouvelles façons de conceptualiser et revisiter l’histoire des villes, où l’écologie est le mot-clef. L’inspiration, il la trouve dans « la sorte d’accélération que l’on vit, où l’humanité est concernée et obligée de penser à sa façon de vivre ; comment on vivait avant, comment on vit actuellement, et comment on vivra après. » Avec l’urgence climatique et l’environnement en crise, l’humanité vit « des moments de laboratoires : on parle aujourd’hui de renoncer à certains modes de vie non durables ».

Avec la Covid-19, les rues se sont vidées, certains animaux s’aventurent dans les villes désertées, tandis que nous sommes enfermés chez nous. La double réalité est frappante : à la fois, le confinement montre que l’on peut (sur)vivre en intérieur sans voir la nature, mais que l’impossibilité de sortir devient de plus en plus frustrante. Est-ce un instinct naturel ? La réalisation que le mode de vie citadin, sédentaire et hyperconnecté a trop longtemps supplanté nos besoins de nature ? EitnerChris Morin-Eitner a répondu à mes interrogations en mentionnant « la privation. On se rend compte qu’on tenait à nos sorties. C’est normal quand tout va bien. La liberté de circuler, les weekends au bout du monde. On oublie les acquis, car on vit (vivait) dans un monde de certitudes, dans l’ère de la révolution scientifique et de la rationalité. Aujourd’hui, on veut plus de culture et de nature. La pandémie est un événement planétaire qui remet en question le progrès scientifique : nous rentrons dans une nouvelle ère ». En ce qui concerne les rassemblements humains, l’artiste pense que naturellement, on voudra revenir comme avant, mais qu’il va falloir renoncer à certains modèles de villes et de vies. Les tours et gratte-ciels que l’on retrouve dans les mégalopoles en font partie. Selon lui, on ne pourra plus vendre ces rêves. « Maintenant, on veut des terrasses et des balcons. Ce changement d’architecture sera une réponse directe à ce besoin naturel de sortir. »

Repenser l’architecture des villes pour les rendre plus vertes, en harmonie avec la nature, tout en répondant aux nombreux Eitnerbesoins des citadins modernes. Ce défi d’urbanisme est adressé à travers le globe par des projets de « green cities » et de villes écoresponsables. Un joli aperçu de ces dynamiques urbaines sont présentées par Erik Orsenna et Nicolas Gilsoul dans Désir de villes – Petit précis de mondialisation V paru en 2018 au Livre de Poche. De la « ville Lego » à la « ville Flottante », les deux auteurs expliquent le rôle primordial des villes face aux questions environnementales, démographiques et sociales. La « bonne ville » doit être serviable, attractive et textile pour relier les sociétés. Elle doit aussi penser à l’approvisionnement en nourriture, en énergie, penser aux mobilités humaines et matérielles, protéger les habitants de la montée des eaux et des vagues de canicule, tout en gérant le recyclage, l’écoulement des eaux, le bien être des citadins et les réhabilitations de lieux désaffectés… parmi des centaines d’autres questions. Les villes, actrices principales de la mondialisation, ont pris les rênes. Face à ce phénomène urbain mondial, Chris Morin-Eitner s’interroge. « Soit il s’agit d’un véritable progrès, soit d’une catastrophe écologique. Aujourd’hui, la direction choisie est la ville technologique, mais plus verte, car c’est la seule façon où l’on peut se développer Eitnercomme on s’imagine de le faire, plutôt que de remettre les problèmes à demain. On ne peut pas revenir à des modes de vie plus modestes » dans les villes telles qu’elles ont été construites.

En effet, dans la série « Il était une fois demain », l’opposition entre culture et nature est clairement mise en exergue : les lignes droites et angles droits, créés par l’Homme pour des raisons pratiques, s’opposent aux courbes et arabesques du vivant et de la nature.

Chris Morin-Eitner utilise l’art comme outil d’activisme. A l’instar des questionnements sur les villes et la nature, il attire l’attention sur la censure numérique du nu féminin dans sa série « Censored ». En réaction à la censure, il s’autocensure et déjoue le politiquement correct exacerbé des réseaux sociaux en l’apprivoisant et en apportant une réponse esthétique. Le flou pixelisé permet de contourner la pudeur numérique qui prohibe l’érotisme, tout en créant des œuvres élégantes construites sur des jeux de lumière.

Les œuvres et engagements de Chris Morin-Eitner sont des bouffées d’air frais dans une période de pessimisme généralisé. L’inspiration et l’optimisme que son art éveille sont des portes ouvertes pour l’avenir. « Gardons le moral, gardons confiance et gardons espoir », nous conseille-t-il. Qui sait, peut-être qu’un jour, Paris et les autres villes refleuriront de vie.

Constantin Lu

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