Plaisir de géométrie

Plaisir de géométrie

Vera Molnar

Les expositions de Vera Molnar

„Elles ont fait l’abstraction” est le titre de l’exposition au Centre Pompidou, précédée par „Trois femmes en couleurs” à la Galerie Berthet-Aittouarès à Paris. Actuellement les femmes artistes font la une dans le monde des musées et galeries – comme c’est le cas pour Vera Molnar, Parisienne hongroise dont les lecteurs de notre journal connaissent l’histoire. « Plaisir de géométrie » est le titre emblématique du documentaire que László Horváth a réalisé sur l’artiste.

Vera Molnar m’a conseillé – quand je l’ai rencontrée à Paris – d’aller voir l’exposition où il y avait ses œuvres en compagnie de celles de Vasarely à la Galerie Berthet-Aittouarès. Depuis on y a inauguré plusieurs expositions collectives incluant ses toiles dont la dernière avant les vacances d’été : « Trois femmes en couleurs ». C’était l’ambiance des fêtes à Saint-Germain des Prés :  dans la rue un défilé de femmes métamorphosées en sculptures drôles et fantastiques par Anne Ferrer – pour nous inviter à l’intérieur de la galerie. On voit de plus en plus souvent des œuvres de Vera Molnar exposées en France et ailleurs dans le monde. C’est cela qui lui donne le courage d’affronter de nouveaux défis à l’âge de 97 ans. Son inventaire (1) édité par des amis spécialistes pour marquer le dernier grand anniversaire de Vera est toujours valable, mais depuis lors elle se réinvente constamment. Pierre Soulages, le plus grand peintre français vivant, a récemment fêté ses cent ans également avec plusieurs expositions – et à cette occasion certains critiques l’ont évoqué avec Vera comme deux grands monuments.

Vera Molnár

Vera Molnar est une grande artiste qui a parcouru toute la seconde moitié du XXe siècle. Son art, celui qu’elle pratique depuis 1952, abstrait, géométrique, systématique, lui a valu une place à part... - comme nous le rappelle Serge Lemoine (2) : Avec les autres œuvres de Vera Molnar rassemblées à la Galerie Berthet-Aittouarès, l’ensemble entre ordre calculé et désordre provoqué, témoigne de l’ unité et de la continuité de son art, où persistent, toujours présents le souvenir de Cézanne et la silhouette de la Montagne Sainte-Victoire. Ce thème apparaît depuis Poussin et puis chez les impressionnistes et chez Cézanne comme un thème privilégié – et résonne encore dans l’œuvre de Vera Molnar. C’est dans cet esprit qu’une grande exposition de Cézanne avec les variantes de la montagne magique revues par Vera Molnar a eu lieu au Musée des Beaux-Arts de Budapest en 2010 où Sainte-Victoire Blues et ses autres variantes côtoyaient les tableaux de Cézanne venus à Budapest de tous les grands musées du monde. Un beau catalogue établi par les soins de Judit Geskó et Mónika Kumin présentait l’événement.(3)

En ce moment vacanciers et habitants dans le Sud ont facilement accès à de nombreuses variantes dans une grande rétrospective de Vera Molnar : « Pas froid aux yeux » – titre choisi par l’artiste comme une sorte de défi au temps et à la vie. C’est son esprit ludique que nous découvrons dans son texte publié dans le catalogue :

« A tout âge, on aime jouer à autre chose.

Aujourd’hui ce sont les préfixes « re », « ré », « res » qui enchantent ma vie.

Je me trouve coincée entre deux pôles antagonistes. L’un, implique

Le retour à un état antérieur. L’autre scrute le futur.

C’est une vie entre répétition, monotonie, redondance, surplace

et – changement de cap – renaissance perpétuelle. » 

L’exposition se trouve près d’Antibes à l’Espace de l’Art concret dans le château de Mouans-Sartoux. Très belle exposition sur le parcours audacieux de l’artiste, ambiance très calme, presque recueillie dans un château avec trois tours, déjà lui-même géométrique - dit Julie Milanini chercheur et artiste après sa visite. C’est un lieu charmant pour l’exposition qui reste ouverte jusqu’au 12 septembre – puis monte aux Musée des Beaux-Arts à Rennes – à visiter jusqu’au début du mois de janvier de l’année prochaine.

Les grandes rencontres. Expositions et collectionneurs en Hongrie.

Au début de l’été dès que les restrictions ont été levées c’est dans un cadre exceptionnel qu’a eu lieu Art and Antique Budapest – où la galerie Vintage a exposé une des célèbres variations de la Montagne Sainte Victoire de Vera Molnar, prélude à une grande exposition dédiée à l’artiste, prévue pour l’automne à la galerie – comme sa propriétaire Attila Pőcze l’a annoncé.

Vera Molnár

Au Musée Ludwig à Budapest Vera Molnar figure dans la nouvelle exposition de BarabasiLab avec la visualisation des network artistiques – elle a acquis avec ses œuvres une très bonne position dans le réseau après Vasarely et Moholy-Nagy. Au musée Ludwig c’est avec une installation de grande envergure qu’elle a rendu hommage à la musique de Bartók.  Au musée Vasarely elle est apparue en belle compagnie :  Code et algorithme – Hommage à Vera Molnar – en 2019.

Son œuvre s’inspire également des lettres de sa mère : de sa très belle écriture gothique qui vers la fin de sa vie est devenue plus désordonnée, puis indéchiffrable – l’artiste a créé un programme pour faire la simulation de son écriture. A cette série publiée elle a ajouté une sorte de dialogue : les lignes impaires sont la simulation des lettres de sa mère, tandis que les lignes paires sont la simulation des lettres plus rondes de Vera –ce qui donne un certain dynamisme au dessin et est également symbolique : une réconciliation sur le tard avec sa mère qu’elle adorait mais qu’elle contredisait tout le temps – comme Vera nous le confie.

Entre vernissages d’expositions de grande envergure et restrictions à cause de la pandémie, deux grandes rétrospectives ont eu lieu successivement à Budapest et à Debrecen où le rôle des collectionneurs est indéniable.

Grandes rencontres ! – c’est le titre de l’étude de Gábor Ébli dans le catalogue de l’exposition du Musée Kiscelli à Budapest qui souligne l’importance des collectionneurs. C’est le couple Andras Szöllősy-Nagy et Judit Nemes qui possède le plus grand nombre d’œuvres représentant la quasi-totalité de la carrière de Vera Molnar. J’ai eu la chance de les rencontrer dans un pavillon dans les environs de Paris – C’était une vrai caverne d’Ali Baba dès le couloir d’entrée rempli d’objets d’art. Les talents artistiques du couple se sont révélés très tôt. Judit Nemes s’est dédiée à la peinture, devenant une artiste-peintre reconnue, mais son mari est devenu hydrologue, directeur scientifique à l’UNESCO. Le couple étant actuellement revenu en Hongrie András Szöllősy-Nagy écrit de plus en plus sur l’art et leurs expositions s’enchainent présentant plusieurs volets de leur riche collection.  

Après les catalogues de plusieurs galeries européennes renommées voici un beau catalogue trilingue qui présente l’œuvre de Vera Molnar par les soins de Gábor Ébli et Enikő Róka (4) . Celle-ci, travaillant depuis un bon moment avec des artistes hongrois vivant à Paris, a enrichi la collection de la galerie de leurs œuvres. Ainsi l’exposition avec les dernières acquisitions du Musée et celles de la collection Szöllősy-Nagy-Nemes a pu présenter toutes les périodes de l’artiste avec une nouvelle entrevue réalisée par Júlia Cserba (5), fruit  des rencontres régulières avec Vera depuis de longues années – entrevue précieuse car elle nous fait découvrir la genèse de l’œuvre.

Mónika Kumin met l’œuvre dans le contexte des rencontres avec des Parisiens hongrois et nous révèle les idées et les procédés de l’art de Vera Molnar sous une nouvelle lumière. Nous y apprenons entre autres choses que c’est le décorateur de cinéma Alexandre Trauner qui a introduit Vera et son mari à la « table hongroise » du Café Select à Paris.

Vera MolnárC’est dans ce même livre que nous suivons à travers l’étude de Szöllősy-Nagy (6) –  l’art de Vera à la lumière de l’art numérique, et comment elle a élaboré le principe d’une machine imaginaire. Il nous introduit dans l’atelier de l’artiste où bien avant d’avoir un ordinateur, en 1959 déjà elle avait élaboré une sorte de machine de Turing vivante. De nombreux travaux en commun avec son mari François Molnar les ont amenés à une réflexion sur le rapport entre les sciences modernes et de l’art. Ils étaient précurseurs... quel est l’effet du hasard, condition de base pour la matière et la vie, sur l’esthétique de la création artistique. Le ludique et le hasard jouent un rôle important dans l’œuvre de Vera. « Machine imaginaire » est le titre de l’exposition qui l’a présentée dans des grandes espaces de MODEM à Debrecen -  où des œuvres d’autres collectionneurs s’ajoutent à celles présentées au Musée Kiscelli – ainsi que des toiles de la Fondation Kepes d’Eger .

Prochainement à la rentrée c’est à la galerie Vintage que s’ouvrira une grande exposition pour suivre les expériences de Vera Molnar, ce « partisan du hasard » – pour emprunter la formule de François Molnar.  

Éva Vámos

 

(1) Vera Molnar : Inventaire édité par Linde Hollinger, Preysing-Verlag, 1999, Ladenburg

(2) Vera Molnar : 1% de désordre ou la vulnérabilité de l’angle droit, Préface Serge Lemoine, Galerie Berthet-Aittouarès Paris, 2016

(3) Vera Molnar/Cézanne, Szépművészeti Múzeum, Budapest 2010

(4) Vera Molnar, Sélection des collections Musée Kiscell – Galerie Municipale et Szöllösy-Nagy-Nemes, Budapest, 2019

(5) Júlia Cserba : 1% désordre, 100 % liberté. Entretien avec Vera Molnar – in catalogue du Musée Kiscelli

(6) András Szöllősy-Nagy: Vera Molnar et la probabilité : Un pourcent de désordre – in catalogue du Musée Kiscelli

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