Le "Nez" de Budapest

Le "Nez" de Budapest

A 38 ans, Zsolt Zólyomi est l’un des rares, sinon l’unique, parfumeurs à exercer en Hongrie. Plus qu'une vocation, ce don conditionne sa vie entière.

 

 

Rendez-vous est pris Cukor utca, une rue au nom gourmand et fort à propos pour accueillir cette boutique-showroom, rose et poudrée comme un boudoir. C'est là que Zsolt Zólyomi reçoit ses clients et qu'il a répondu à nos questions pourtant bien superflues tant l'homme est prolixe.

S'il est le premier parfumeur certifié depuis 40 ans en Hongrie, une importante industrie de parfumerie et de cosmétiques existait pourtant dès la fin du 19e siècle dans la région, à laquelle la Hongrie participait activement. Elle entretenait d’ailleurs des relations avec la France où elle achetait et vendait matières premières et produits développés, dont des gammes reconnues au niveau européen.

«Malheureusement, le rideau de fer a marqué le déclin de cette industrie en nous coupant des bonnes matières premières exotiques, des marchés occidentaux et enfin nous étions censés adopter une philosophie nouvelle : le luxe n’était plus pour nous... Pour ces trois principales raisons, l’industrie a périclité. Mais l’impulsion a perduré et même dans les années 70’ de grandes sociétés de cosmétique et de parfumerie travaillaient pour le KGST, Conseil d’Assistance Economique Mutuelle (le marché communautaire des pays socialistes), et la Hongrie était un centre pour le luxe et les fragrances, quoique à un moindre niveau qu’auparavant ».

Comment est née cette envie de devenir parfumeur ? «J’aime les parfums bien sûr… mais dans mon cas, c'est bien plus que cela. Les fragrances me donnent beaucoup plus d’informations qu'à un homme normal. Pour moi, c’est un deuxième monde à travers lequel je peux éprouver des sensations et percevoir des émotions sur les hommes et le monde qui m'entourent. Tout petit déjà, je touchais à tout pour sentir la matière des choses : les sculptures dans les musées, la chaire du prêtre et les instruments de musiques à l'église. Encore maintenant, lorsque je me promène, je m’arrête souvent devant une fenêtre ou une porte ouverte : qu’est-ce que l’on fait dans la cour, quel dîner on y a préparé hier soir ? C'est comme une vague qui me submerge et me fait sans cesse travailler mon odorat».

Et le nom de sa boutique, Le Parfum, référence manifeste au roman de Patrick Süskind: «il a parfaitement saisi ce qui se passe dans la tête d’un homme qui est à ce point sensible aux parfums. Süskind a vraiment compris notre psychologie sans être lui-même parfumeur. Or c'est difficile de rentrer dans la tête d’un homme habité par les fragrances…». Et pourtant, c'est avec beaucoup de poésie, dans un français tantôt précis et tantôt imagé qu'il évoque comment il a transformé ce don en vrai pouvoir de création: «On peut avoir l’oreille absolue sans être un bon musicien… et bien c’est pareil pour l’odorat. Même si ce sens est développé, si l’on n’a pas l’imagination olfactive, on ne peut pas devenir un vrai parfumeur. Par exemple, on peut ne pas reconnaître et faire la différence entre un Vétiver de Haïti et un Vétiver de Java si on ne les a jamais sentis, mais cela peut s’apprendre. En revanche, si tu retrouves dans l’un d’entre eux une nuance qui te rappelle une liqueur que ta grand-mère buvait autrefois… c'est le signe que ton imagination est portée par les fragrances, que tu sens les émotions dans les parfums et, dans le cas des parfumeurs, que tu as envie de faire quelque chose de cela. C’est cela qui me plaît dans ce métier : créer une fragrance qui existe en pensée, mais pas encore dans l’air.»

C'est à Versailles, à l’Institut Supérieur International du Parfum, de la Cosmétique et de l’Aromatique Alimentaire, fondé en 1970 par Jean-Jacques Guerlain, qu'il a enfin pu déployer ses ailes. C’est à la cinquième tentative qu’il parvient à intégrer cette école, fondée pour former les hommes de recherches et de création au plus haut niveau de l’industrie de beauté. C'est depuis 2004 qu'elle a ouvert ses portes aux étrangers dans le cadre de la «Fragrance Academy», et ce alors même que la parfumerie est un univers très fermé, voire aristocratique : «On préfère garder ses secrets pour soi dans ce milieu». Alors pourquoi cette formation ? «Sans doute parce que l’industrie manque d’originalité».

En effet, selon lui, il existe beaucoup de parfums très similaires, sans vraie personnalité. La raison en est que l’industrie du parfum a changé: «Imaginez l’époque du roi Soleil, lorsque l’on développait un parfum rien que pour vous à l’occasion d’un seul et unique bal ! C’était le pic du luxe. Depuis, le luxe s’est démocratisé, d’abord pour les bourgeois puis plus largement encore. Or, pour atteindre ce résultat, on a dû changer de matières premières, en utilisant de plus en plus de matières synthétiques, en réduisant les coûts de fabrication et en mettant le tout dans un flacon en plastique fabriqué en Chine. Il n’y a plus beaucoup de vrais créateurs derrière les noms de nombreux parfums: ce sont de grandes sociétés d’investissement qui achètent les contrats de licences des gammes de luxe. Or, elles sont forcées de produire à faible coût pour augmenter leur marge. Ce qui est demandé à l’équipe de parfumeurs - que ce soit chez Gucci, Yves Saint Laurent ou ailleurs, c’est partout pareil - c’est bien souvent de travailler à partir de la dernière création: tu as 6 mois pour créer un nouveau parfum, proche de celui de l’année dernière mais pas exactement, en prenant soin de ne pas utiliser de matières premières trop rares et originales afin de ne pas dépasser les coûts fixés. Bref, aucune originalité n’est possible dans un tel contexte».

Mais certains parfumeurs refusent de travailler ainsi. Zsolt Zólyomi est de ceux-là et préfère travailler sur mesure et en toute liberté. En tant que conseiller, il fait aussi des "trainings", des animations olfactives, des conseils personnalisés - pour avoir une jolie ambiance parfumée dans un mariage par exemple - ou encore des "fragrance corporate" pour des sociétés qui souhaitent associer une identité parfumée à leur marque.

Et si je souhaite avoir mon propre parfum ? «Il faut un peu de temps, au moins 6 mois, et un peu d’argent, entre 5000 et 50 000 euros selon les essences utilisées, pour se voir créer un parfum personnalisé. Sinon, je peux également conseiller sur le choix de l’un des parfums de ces petites maisons que je propose ici, entre autres L'Artisan Parfumeur, Burberry ou Bottega Veneta par exemple (entre 17 000 et 21 000 HUF le flacon, comptez un peu plus pour les séries limitées). Là aussi cela prend du temps de choisir ce qui est bon pour soi, pour sa peau, son caractère, son goût…». Et c’est cela le vrai luxe, non ?

Le Parfum

Cukor utca 1. Ve arrt.

www.leparfum.hu

Frédérique Lemerre

 

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