Iris Medeiros (Brésil) et son projet “The Anatomy of Touch” à Budapest

Iris Medeiros (Brésil) et son projet “The Anatomy of Touch” à Budapest

Iris M

École de la Désobéissance (EdD) : Iris Medeiros, tu es danseuse, artiste pluridisciplinaire, chercheuse. Tu es d’origine brésilienne mais tu es basée à Paris depuis plusieurs années. Du 4 au 8 septembre tu viens à Budapest pour enseigner pendant une semaine à l’École de la Désobéissance. Quel projet tu amènes? Qu’est-ce que les élèves vont apprendre et faire avec toi?

Iris Medeiros (I. M.) : Je suis en train de construire un programme qui croise théorie, méthodologie et pratique, en ayant comme point de départ mon mémoire de recherche, où j’ai fait une enquête autour du toucher. J’ai créé un objet qui danse, un mémoire qui est dense en termes d’écriture, mais aussi sensible, une œuvre d’art à manipuler et à toucher, où la lecture est chorégraphiée. Comme mon workshop arrive au début de la formation, j’ai décidé d’intégrer une réflexion sur la méthodologie de recherche aussi, car c’est quelque chose qui m’a beaucoup travaillé tout le long et je trouve essentiel dans n’importe quelle démarche. Comment construire une recherche de rigueur scientifique, sensible et artistique ? C’est la question qui m’a animée pendant 3 ans et que j’ai pu trouver quelques façons d’y répondre. J’ai envie de partager des outils en méthodologie de recherche, de se connecter avec son corps à travers le funk carioca (twerk) et d’interroger la théorie, notamment notre rapport à la hiérarchie des sources bibliographiques. J’espère que les élèves puissent apprendre à s’ouvrir, à élargir leur sensibilité et par la suite, créer leur propres outils de recherche de création, adaptés à leurs besoins.

EdD : Tu travailles sur le toucher depuis un moment déjà. Comment cette recherche a commencé et est-ce qu’il y a un objectif final?

I. M. : Oui, je dirai que le toucher en tant que sujet a toujours fait partie de ma vie et de mon travail. Je viens d’une culture très tactile, où le toucher est très banalisé. Ce qui a ses avantages et désavantages, car on sait bien (surtout après COVID) que nous en avons besoin, mais en même temps, n’importe qui  - en général il s’agit d’un homme - se sent dans le droit de te toucher sans que ce soit vraiment consenti. Bon, je cite un extrême, mais c’est pour dire que je me suis rendue compte que dans tous les cas, il manquait une éducation du toucher. J’ai commencé à tester des workshops où je faisais un chemin vers le toucher… Où chaque personne se connecte d’abord avec soi à travers les exercices proposés, pour ensuite aller vers l’autre, puis les autres. La fin du workshop était toujours un moment de massage, qui variait de 4-10 mains sur un même corps. J’ai vu comme le toucher est puissant, comme les personnes étaient différentes avant/après, la connexion avec soi et avec les autres était dingue. J’avais un bon public aussi, car pendant cette période j'intervenais dans les Conventions de Jonglerie et Cirque au Brésil. Quand j’ai eu ma bourse pour venir en France et faire un formation au Centre National de la Danse (Pantin), j’ai décidé de continuer cette recherche, mais de la cibler autrement, car c’était plutôt facile de développer le toucher avec des personnes habituées à se toucher et qui travaillent avec son corps, mais et quand il s’agit de personnes qui ne sont pas de ce domaine ou qui n’ont pas trop cet habitude ? C’est pour ça qu’au CN D j’ai créé une formation destinée aux enseignant.e.s intitulée “Ce n’est pas pour moi” (2016). L’objectif étant toujours de mieux se connecter avec soi pour pouvoir se connecter avec les autres, mais de faire un parallèle avec les disciplines que chacun.e enseigne, de pouvoir, à travers cette formation, de regarder autrement son domaine pour voir des connexions entre des disciplines et ainsi favoriser l’interdisciplinarité. Je travaille avec l’hypothèse que ceci peut, par la suite, favoriser un meilleur apprentissage des élèves.

Iris M

Puis, ma recherche de master en danse a été l’occasion d’analyser le toucher autrement, car j’ai rencontré l’artiste brésilienne Ana Pi qui travaille elle aussi le toucher, et grâce au temps que nous avons passé ensemble, j’ai construit ma problématique à partir de la polysémie de ce mot et de la façon dont il pouvait prendre forme dans travail qu’elle a développé au MAC VAL entre 2019-2021, dans le cadre du projet européen Dancing Museums. J’ai toujours été intéressée par les langues, comment un mot est dit/compris dans une langue ou autre, mais en analysant la façon dont Ana s’intéresse aux mots, je dirais que j’ai élargi mon toucher après avoir fait ce mémoire. C’était aussi la première fois que j’ai pu créer une matière plastique et chorégraphique, car comme je l’ai dit plus tôt, c’est une mémoire type livre d’artiste. Mon objectif reste de favoriser la connexion à soi et aux autres à travers le toucher, c’est le comment toucher qui change et qui s’adapte aux différentes situations. Parfois ce sera à travers la danse, d’autres avec un objet, un texte, et ci de suite…

EdD: Tu enseignes dans l'École de la Désobéissance pour la première fois. Qu’est-ce que l’enseignement représente pour toi? Quelle est ton histoire avec l’éducation, l’école, l’académie?

I. M. : Pour moi, l’enseignement représente la conscience et la responsabilité. Je ne sais pas comment expliquer, mais depuis que je suis petite je savais que j’allais étudier l'Éducation et que d’une façon ou de l’autre, ça allait faire partie de ma vie professionnelle. J’ai étudié dans environ 10 écoles au long de ma vie, et j’avais toujours un avis critique sur la façon dont l’équipe pédagogique se portait. La plupart du temps j’aimais aller à l’école, mais j’ai eu plusieurs soucis graves, aujourd’hui on dirait que j’ai souffert du bullying. J’avais même des fortes pensées suicidaires pendant cette époque. Le changement d’école a été essentiel pour moi, j’ai retrouvé l’envie de vivre et pourtant c’était une école qu’à la base ma mère n'aimait pas du tout. Cette expérience m’a fait réfléchir sur l'environnement de l’école et son pouvoir des dégâts.   

J’ai commencé à enseigner la gymnastique rythmique j’avais 15 ans, et pendant plusieurs années j’ai pas mal reproduit ce qui avait été fait avec moi (pour le mal et pour le bien). Je pense que j’étais une bonne prof, mais pendant très longtemps je reproduisais un stéréotype de professeure qui doit “se faire respecter”, qui contribuait pour la docilité des corps féminins.  J’espère ne pas avoir traumatisé des élèves, mais je me souviens d’avoir donné comme punition de rester dans le grand-écart pendant un certain temps. Et ça c’est parce que j’ai appris comme ça, ceci a fait partie de mon entraînement. Avec l’âge ma pratique a changé, je me suis rendue compte que je ne voulais plus reproduire certaines pratiques, mais c‘est  principalement quand j’ai commencé à étudier l’éducation que j’ai senti une bascule dans ma façon d’enseigner. 

Au Brésil on a un cursus universitaire qui s’appelle Pédagogie, une formation théorique et pratique de 5 ans, où on étudie aussi bien la Sociologie/Philosophie/Psychologie de l'Éducation que la “didactique de l’enseignement” et “langage corporel dans l’éducation” et on fait des stages en écoles et en espaces d’éducation non formel - dont un musée par exemple. A mon avis c’est comme si ici on croisait les cursus de Sciences de l'Éducation, Gestion, formation de professeur et médiation culturelle. C’est ça ma première formation, j’ai eu la chance d’être dans une des meilleures universités publiques, l’UFRJ. Étudier dans une institution comme celle-là veut dire avoir accès à une formation qui est basée sur trois piliers : l'enseignement, la recherche et l’extension. Ce qui veut dire qu’en plus d’avoir des cours comme dans n’importe quelle autre université, dès la première année on peut être intégré dans un groupe de recherche et faire ce qu’on appelle “l’initiation scientifique”. Moi j’ai fait partie d’un grand groupe de recherche en sociologie et anthropologie de l’éducation pendant 5 ans, où on travaillait avec des données quantitatives et qualitatives. J’ai appris à faire de la statistique, à aller sur le terrain, à faire des entretiens, à écrire des articles, les présenter dans des séminaires ou colloques, bref… à vraiment faire de la recherche. De plus, on a “l’extension”, et c’est pratiquement qu’à l’université publique qu’on a ça. C’est difficile d’expliquer avec quelques mots, mais ce sont des projets qui touchent la communauté, qui sortent de l’université. C’est par exemple, un projet coordonné par un.e enseignant.e chercheur-use dont la démarche est d’apprendre à lire les adultes (au BR on a un taux d'analphabétisme très élevé encore), ou des cours de danse traditionnelles brésiliennes. Tout ça destiné à la population, et la plupart du temps c’est gratuit, sinon c’est un prix symbolique, très accessible. 

Iris MJ’explique tout ça parce que je pense que ça répond en partie à ma vision de l’enseignement, c’est-à-dire que la façon dont j’ai étudié l’éducation est transversale, elle se limite pas à une salle avec 4 murs et quelqu’un qui parle sans cesse. L’éducation est partout, elle s’adapte et prend différentes formes à chaque fois. Et d’après notre patron, Paulo FREIRE, c’est une double voie : on s’apprend mutuellement. Je ne suis pas seule à enseigner, mes élèves ne seront pas les seules à apprendre.

J’ai une relation de passion et de rejet pour l’académie, car je ne me vois pas devenir professeure universitaire, pas en France en tout cas. Mais j’adore apprendre, étudier, avoir un projet de recherche, développer une méthodologie… Donc j’essaie quand même d’y avoir un pied dedans, en écrivant des articles pour des revues de temps en temps par exemple. J’aime être dans ce croisement de théorie et pratique, aussi parce que c’est un endroit de pouvoir et de légitimation. Même si je ne suis pas d’accord avec ça, je préfère m’approprier cet espace que lutter contre. Aujourd’hui, avec le bagage que j’ai en publications et en présentation de travaux académiques, je peux dire que j’ai assez de légitimation pour prendre de la liberté et transgresser certaines façons de faire qui sont trop fermées ou limitées pour moi. 

EdD: Qu’est-ce que la désobéissance pour toi?

I. M. : J’aurai plusieurs réponses possibles à cette question, mais pour l’instant je vais dire que c’est une prise de risque. Les autres réponses sont comme des secrets, et c’est que mes étudiantes qui pourront le savoir. (rire)

EdD: A quel moment et où pourra la communauté francophone de Budapest te rencontrer pendant ton séjour?

I. M. : Le samedi 2 septembre je présente ma performance Malha Funk (Twerk fitness) ! Ce sera l’occasion de venir danser et de fêter mon anniversaire avec moi ! Sinon, après mon cours je suis disponible pour rencontrer des gens, participer à d’autres évènements… Je vais faire un talk, on fera aussi un moment de cuisine partagée, où on fera du brigadeiro ensemble. Et vendredi c’est la fête-performance ! Une semaine bien remplie, il y aura des activités pour tous les goûts ! J’ai hâte.

Qui sommes-nous ?

École de la Désobéissance

https://www.schoolofdisobedience.org/

Instagram: https://instagram.com/school_of_disobedience

Notre formation professionnelle: Arts & Healing Masterclass

Iris Medeiros

https://instagram.com/iris_quetzal

Notre agenda partagé

  • Twerk Fitness a Rakparton” Workshop & Interactive Performance avec Iris: 2 Septembre à 21:00, Jane Haning Rakpart
  • Can(t) touch this” Performance avec Iris: 8 Septembre à 21:00, Gödör (Budapest, Király u. 50, 1061)
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