« Images des Chemins Intérieurs »

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L’exposition d’Anna Stein à Bratislava

Anna Stein a exposé ses toiles et ses sculptures sur tous les continents – de l’Afrique du Sud jusqu’à New York et bien sûr souvent en France dans son pays d’élection. Mais elle aime revenir vers les villes d’où sa famille est originaire et y exposer ; notamment à Pécs, à Budapest. Dernièrement c’est à Bratislava qu’une belle exposition d’Anna Stein vient d’être inaugurée. Nous avons rencontré l’artiste après le vernissage.

 

 

 

JFB : Comment avez-vous organisé cet événement et quel était le leitmotiv de votre exposition ?

 

 

Anna Stein : Nous avons inauguré l’exposition le 19 septembre dernier dans le centre culturel de l’Association Hongroise CSEMADOK de la ville de Bratislava (Pozsony, Pressburg)(1) devant une salle comble.  Agnes Szabova, une jeune galeriste est la commissaire de l’exposition et nous avons suivi les grandes lignes du livre de Vali Fekete dédié à mon œuvre : Images des Chemins Intérieurs(2). On a choisi de chaque période des œuvres, une soixantaine dont 8 à 9 sculptures, et puis des peintures et même quelques vitraux.

 

 

JFB : Vous êtes l’artiste qui à chaque période de sa vie sait nous surprendre. Mais commençons par vos débuts : qu’est-ce qui vous a décidé de devenir artiste peintre et même sculpteur ?

 

 

A.S. : Je pourrais dire que c’est instinctivement que s’est venu. Enfant, très tôt j’ai fait des dessins, des gouaches et de petites sculptures. J’ai adoré de créer des objets et de les offrir comme cadeaux. Nous avons vécu à Budapest et mon père a raconté cela à un ami qui voulait nous aider en proposant d’aller voir son ami sculpteur.

 

 

Je suis allée voir le sculpteur Sándor Mikus qui travaillait à l’époque justement sur une grande commande, la statue de Staline, que j’ai vue en petit format dans son atelier. Il m’a reçu très gentiment et à la vue de mes dessins il m’encourageait d’entrer au Lycée des Beaux- Arts. J’y ai réussi, et après le bac j’ai fait le concours de l’Ecole des Beaux-Arts. Vu mes antécédents bourgeois à l’époque c’était un miracle absolu d’être reçue et alors j’étais dans la section graphique au sein d’une petite équipe très bien, jusqu’en octobre 1956. C’était sous la direction d’András Csanády et Gyula Hincz nous a enseigné également le dessin. J’ai beaucoup appris aussi de Béla Kondor. Après la révolution de 56 j’ai quitté la Hongrie fin novembre et j’ai atterri à Paris – c’était mon rêve – et le lendemain je me suis inscrite à l’Ecole des Beaux-Arts à Paris. J’ai commencé dans l’atelier de Jean Souverbie, un excellent peintre, ami de Bonnard, Vuillard et Valloton.  Aux Beaux-Arts la tendance était évidemment après nature, mais Souverbie était très intéressé par une sorte de constructivisme, tel qu’André Lhote et toute cette école – c’était un chemin vers l’abstraction transposée. Les meilleurs peintres étaient extraordinaires, et donc j’ai commencé à peindre à la manière de Picasso et de Braque et j’ai étudié pendant quelques années.  Mais au bout de ces années Etienne Hajdu, un sculpteur exquis au regard de mes œuvres, me dit : Ecoute, arrête d’étudier et passe à la création.

 

 

J’entends les paroles de mes parents inquiets : Oh, elle n’aura pas de diplôme. Mais je n’ai pas besoin d’être diplômée, je ne voulais absolument pas enseigner. Pour vivre j’ai fait avec mon premier mari des bijoux artisanaux – et cela aussi était de la création. Par chance une amie très chère, Klara Preiser styliste de textile vivait à l’époque à Paris et elle est venue en aide par ses relations. C’est elle qui m’a présenté le sculpteur Etienne Hajdu et le peintre Viktor Brauner qui m’ont aidée ensuite à me retrouver dans la vie intellectuelle parisienne.

 

 

JFB : Comment êtes-vous venu vers l’abstraction et vers l’univers des machines ?

 

 

A.S. : Peu à peu j’ai créé mon monde et à partir de cette abstraction à ma manière, j’ai commencé à peindre des intérieurs des machines. J’ai trouvé cela très beau et j’ai fait des tableaux avec des machines imaginaires. Il y avait une époque dans ma vie où l’on habitait à la campagne où il y avait des machines agricoles, et à partir des machines j’ai redécouvert l’anatomie du corps humain en tant qu’une machinerie. C’est avec une approche d’art brut que j’ai créé des peintures de l’intérieur des femmes et des personnages vraiment amusants : incorporant des matériaux, du sable ou même des bas de nylon. Alors peu à peu cela se transformait en des paysages abstraits.

 

 

Ensuite dans les années 74 j’ai découvert la peinture baroque en Italie. C’était une révélation. Alors que je connaissais la peinture baroque du Louvre, mais à Venise c’est incroyable, cela vous tombe dessus, c’est une sorte d’explosion de couleurs et de mouvements. J’ai fait des retables abstraits qu’on peut voir au Musée Vasarely à Pécs, où j’ai fait ma première exposition en 1978 en Hongrie. C’était un grand événement car j’étais la première artiste qui venait exposer parmi les artistes qui ont quitté la Hongrie en 1956. C’était exceptionnel. Il y avait des gens qui venaient de Budapest et de partout du pays pour la voir.

 

 

J’ai eu le privilège d’être chargée par la direction culturelle du Sénat en 1979 d‘organiser l’exposition Paris-Budapest à l’Orangerie du Sénat à Paris. J’ai réussi une quadrature du cercle en y présentant les œuvres de 77 artistes Hongrois, en moitié ceux d’en France et ceux de Hongrie. C’était l’exposition la plus importante jamais réalisée d’artistes Hongrois en France – avec un grand succès.

 

 

JFB : Vous avez exposé à Budapest, à Pécs et dans d’autres villes de la Hongrie et à Bratislava dans des lieux liés à l’histoire de votre famille. Vous représentez de plus en plus souvent la généalogie de votre famille.

 

 

A.S. : Evidemment chaque famille a son histoire. La mienne du côté maternel est liée à Pécs. C’est devenu une très grande famille industrielle, un exemple de réussite au bout de 4 voire 5 générations même. Donc j’ai exposé deux ou trois fois à Pécs, puis j’étais invitée par Szinyei Merse Anna à la Galerie Nationale à Budapest ce qui était un événement important. Mon lien avec Pozsony d’antan (Bratislava) c’était mes arrière-grands-parents. Léopold Stein était médecin extrêmement apprécié, reconnu même par l’Empereur. C’était une tribu, ils ont eu 7 enfants dont tous ont réussi d’une façon exceptionnelle. Mon grand-père Alexandre Stein était ingénieur en chef du MÁV,la Société Hongroise des Chemins de Fer. Son frère Emil était PDG de la Banque industrielle. Alors que tous ces ancêtres qui me regardent et qui n’ont pas eu une très grande idée des femmes, mais malgré tout, j’ai combattu leurs idées et persisté dans la création. C’est presqu’une obligation de réussite, mais un peu pesante.

 

 

J’ai réalisé aussi un mémorial à Budapest, une œuvre en céramique qui fut inaugurée en 1990 à la Place Mari Jàszay : Interpellant – un devoir de mémoire, pour se souvenir des horreurs commis par les nazis hongrois au bord du Danube à Pest, avec l’exécution des Juifs Hongrois jetés dans le Danube. Mais aussi il y avait des roms exécutés et des résistants et des gens qui ont caché les citoyens persécutés au risque de leur vie. C’est merveilleux qu’il y avaient des gens qui ont eu le courage de cacher les gens et de les sauver. Sans eux je ne serais pas là. Ce monument, c’est comme une pierre tombale que j’ai offert à la ville de Budapest – j’y tiens beaucoup et je l’ai nettoyé un peu lors de mon dernier passage à Budapest.

 

 

En France j’ai travaillé énormément et j’ai eu beaucoup d’expositions dans des musées et des galeries. J’ai sculpté et j’ai fait 8 éditions avec la Monnaie de Paris. J’ai eu une très belle commande pour la cathédrale de Quimper, un vitrail que j’ai réalisé en 1993 et qui a contribué grandement à me faire connaître. Et il y avait toutes mes expositions en Inde, à Hongkong, en Afrique du Sud, au Canada et beaucoup à New-York. J’ai fait donc un peu le tour du monde et j’ai des œuvres sur tous les continents.

 

 

JFB : Vous témoignez d’une grande ouverture d’esprit, et cela peut être aussi parce que vous vivez avec un mari sociologue aimant la tolérance et le multiculturalisme.

 

 

A.S. : Oui, mon mari vient d’une famille algérienne musulmane extrêmement tolérante et sympathique. On s’est connu en 1974 et depuis on vit ensemble, on est marié. Et j’ai découvert par lui des régions que personne dans mon ancien quartier de Pasarét n’a pas connu. On a entrepris ensemble de grands voyages en Inde, en Chine, en Afrique du Nord. J’ai vu la Tunisie, le Maroc, bien sûr l’Algérie où il y a sa famille et on est même allé à la Mecque. J’ai été habillée comme des femmes là-bas, voilée. Et j’ai connu aussi des intellectuels, de grands écrivains du monde arabe que peu de gens dans mon entourage ont connus. Toutes ces rencontres avec des gens merveilleux et audacieux – c’est tout à fait exceptionnel. Et je revois tout cela dans mon travail artistique dans mon atelier situé à deux pas de l’Opéra de Paris au 23 passage Choiseul. Beaucoup de gens viennent me voir dont certains m’achètent des œuvres et cela me permet de vivre de mon art.

 

 

Propos recueillis par Éva Vámos

(1) : CSEMADOK à Bratislava, Namestie 1 maja 10-12, jusqu’au 15 octobre sur rdv +421 2 526 37 974

 

 

(2) : Fekete Vali : Anna Stein. Belső utak képei. Images des Chemins Intérieurs.

 

 

 

Les oeuvres d’Anna Stein, Édition L’Harmattan – Paris 2013

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