Hannah Arendt et Simone Weil : « la Banalité du Mal »

Hannah Arendt et Simone Weil : « la Banalité du Mal »

Image retirée.Deux illustres penseuses étaient mises à l’honneur à l’institut français de Budapest le Jeudi 03 Avril : Simone Weil et Hannah Arendt. La française Chantal Delsol (1), célèbre philosophe et fondatrice de l’institut Hannah Arendt, se chargeait de cette audacieuse mais pertinente analogie.

Ces deux femmes Juives, très différentes l’une de l’autre, ont été témoin de l’infinie souffrance qui a affligé le XXe siècle. Chacune a approfondi sa réflexion pour tenter d’expliquer l’inexplicable.

Simone Weil (1909-1943), emportée par la tuberculose à tout juste 34 ans était une métaphysicienne. Elle est toujours apparue comme un être surnaturel, mystique, intemporel et immensément éclairé. Ses travaux et ses réflexions ont été publiés à titre posthume, notamment par Albert Camus qui voyait en elle une lumière et une vertigineuse lucidité.

Hannah Arendt (1906-1975), quant à elle, était une fille moderne, engagée dans son temps. Politologue de renom, elle est à l’origine d’œuvres majeures de la pensée politique comme Les Origines du totalitarisme (1951) ainsi que Condition de l’homme moderne (1958).

« Cessons d’être manichéens »

Il n’y a pas le bien ou le mal mais le bien et le mal. C’est ce qu’explique Chantal Delsol dès le début de la conférence. Sur ce sujet, elle préfère éviter toute sorte de manichéisme qui pourrait porter atteinte à un jugement de la condition de l’homme.

Pour Hannah Arendt, le Mal absolu n’est pas originel, il n’est pas présent dès le départ, il s’inscrit alors dans l’histoire. L’absolu dont elle parle se glisse dans le mal métaphysique du nazisme qu’elle décrit comme « l’apparition d’un mal radical inconnu de nous auparavant ».

Pour Simone Weil, ce Mal existe partout dans la condition humaine et ne peut à ce titre être inclus dans l’histoire. Elle préfère parler de malheur car le mal s’apparente à un mystère ; il n’y a pas de pourquoi au mal, il n’a pas de représentation exclusive. « Le mal est dans le monde aussitôt que l’homme prend connaissance de celui-ci ». Simone Weil parle d’un mal qui serait anthropologique, qui est dans l’homme et qui se réveille lorsque les circonstances l’animent. Le philosophe espagnol José Ortega y Gasset écrivait d’ailleurs “je suis moi et mes circonstances”.

Image retirée.Du mal absolu au mal extrême

Le procès d’Adolf Eichmann en 1961 et 1962 à Jérusalem a certainement influencé la pensée de Hannah Arendt. Elle est très surprise par « l’inquiétante normalité » de l’homme qui contraste avec l’horreur des crimes qu’il a commis. Dans différents articles publiés dans The New Yorker et plus tard dans son livre Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal (1963), elle explique que l’homme arrive à se détacher de sa propre pensée et de ses actes et ainsi à ne plus distinguer le bien du mal. Ce haut dignitaire nazi est devenu incapable d’établir un jugement moral. Même si la loyauté pour ces hommes est la seule vertu importante, l’obéissance mécanique aux ordres ne constitue pas une excuse. L’expression « banalité du mal », souvent controversée a valu à Arendt de nombreuses accusations de complaisances à l’égard du régime Nazi. Pourtant cette notion ne cherche aucunement à minimiser les horreurs, mais bien à entreprendre le mal comme caractéristique inhérente de l’humain. Hannah Arendt souligne que c’est lui-même qui a décidé d’arrêter de penser, c’est un choix personnel, pour lequel il reste coupable de ses actes. Du mal absolu, elle préfère alors le mal extrême qui traduit désormais mieux sa pensée. Chantal Delsol rappelle d’ailleurs que « la banalité ne veut pas dire insignifiance ».

Hannah Arendt et Simone Weil sont deux philosophes qui semblent avoir observé une époque à travers une fenêtre, s’être mis en retrait de l’humanité. Comme si méditer sur la condition humaine était finalement le meilleur moyen de s’en affranchir.

Vincent Faure et Hugo Cellalier

(1) : Chantal Delsol, élève de Julien Freund  fut professeur de philosophie politique à l’Université Marne la Vallée de 1990 à 2015. Elle est également membre de l’Institut de France (Académie des sciences morales et politiques). Elle a écrit de nombreux ouvrages traduits dans une quinzaine de langues.

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