De Moscou à Bruxelles

De Moscou à Bruxelles

Le sentiment européen dans la Hongrie d’aujourd’hui

Quelle est la place de l'Europe au sein des partis politiques hongrois? Comment comprendre et analyser le sentiment de la population vis-à-vis de l'Europe, très paradoxal eu égard à l'enthousiasme qui régnait en 1990? Une analyse toute en nuance pour mieux comprendre la Hongrie d’aujourd’hui, au cœur de cette Europe qu’on dit centrale.

Au lendemain du sabordement des régimes communistes en 1989, un avenir meilleur était promis aux peuples d’Europe de l’Est. Ces derniers, devenu libres et maîtres de leur destin, marcheraient sans écueils vers la démocratie. L’Europe, la Communauté Economique Européenne à l’époque, apparaissait tout naturellement comme la destination à privilégier. Entrer dans cette Europe permettrait à ces peuples de se purger de toutes ces années sombres rythmées par l’étouffante machine bureaucratique qu’était le parti unique. Cette Europe était un espoir mais cet espoir allait très vite laisser place à une étrange désillusion.

Vingt ans plus tard, aux côtés de ceux qu’ils ont tant convoités, les pays de l’Est sont, pour la plupart, membres de l’UE. Toutefois, de manière flagrante, la population est-européenne semble complètement déconnectée de cet évènement. Seulement 32% des hongrois juge positivement l’adhésion de leur pays à l’UE. Ces personnes, qui se sentent concernées par l’Europe, croient en l’Europe car leur vision est essentiellement de long terme. Typiquement, les étudiants en sont. Ils ont une vision de long terme et, de ce fait, pensent que participer à l’aventure européenne est un moyen de mieux évoluer dans ce monde globalisé. Même si leur attitude face à l’Europe reste cependant trop superficielle et passive.

En Hongrie, cette ferme volonté de changement couplée à cette attitude d’indifférence face aux contradictions de l’Europe s’exprime nettement à travers le LMP. Jeunes, étudiants et autres personnes aisées des beaux quartiers de Budapest constituent l’électorat principal de ce parti. Tolérance dans le domaine de la sécurité, libéral sur la question des mœurs, politiquement parlant leur discours peut être classé à gauche. Le LMP hérite néanmoins du paradoxe des sociaux-démocrates européens à savoir leur libéralisme économique trop radical. En effet, de manière tout à fait étonnante, la plupart des mesures de modernisation et de libéralisation de l’économie ont été mené par des gouvernements socialistes. Or le train du néolibéralisme s’est écrasé dans le mur de la réalité et de la crise le 15 septembre 2008, date à laquelle Lehman Brothers s’est déclaré en faillite. Le LMP sait que ce néolibéralisme est en fin de cycle, c’est sans doute la raison pour laquelle il a choisi de se parer d’habits verts. Ce parti a un électorat progressiste, néanmoins il oublie que l’Europe et son orthodoxie libérale sont quelques fois un frein au progrès humain ou, pire encore, occasionnent des régressions. Le LMP, ou le progrès sans le progrès, témoigne donc d’un échiquier politique malade. Maladie qui peut-être généralisée, avec plus ou moins de vigueur, à l’ensemble des pays de l’Est.

Les partis communistes se sont mués en partis socialistes réformateurs qui se réclament d’un social-libéralisme proche du blairisme, dont on connaît les tendances néolibérales. Ces derniers n’éprouvent aucun mal à se soumettre de manière passive à la règle européenne sans tenir compte d’aspects sociaux qu’ils sont sensés défendre. Comment un chef des jeunesses communistes peut-il par exemple devenir un riche homme d’affaires et orchestrer un tournant ultralibéral dans son pays? C’est intellectuellement très troublant. Une explication est peut-être valable : les marxistes orthodoxes se convertissent facilement en libéraux orthodoxes. Convergence des orthodoxies… Le centre et le centre-droit, à l’origine libéral et tombeur du communisme, se sont, plus ou moins selon les pays, “droitisés” et occupent un créneau conservateur et nationaliste. Pour exemple, la récente déferlante du Fidesz en Hongrie est due à une opposition radicale aux mesures qu’ont pris les socialistes en matière de restriction budgétaire à la demande de Bruxelles et du FMI. M. Viktor Orbàn, personnage ambigu, pro-européen en dehors de la Hongrie, se change volontiers en souverainiste pur et dur lorsqu’il bat campagne dans son pays. Son écrasante victoire, il la doit certes à la politique impopulaire des socialistes, mais aussi à sa finesse et à son cynisme politique qui ont consisté à attiser le sentiment anti-européen. Après avoir fustigé Moscou lors de son célèbre discours sur la Place des Héros en 1989, sa nouvelle cible est Bruxelles. Très facilement, un grand nombre de Hongrois ont vu en la Commission européenne le nouveau Kremlin. L’Histoire est une maladie dont on ne guérit jamais tout à fait.

La récente intervention de M. Orbàn devant le Parlement hongrois témoigne néanmoins de l’édulcoration de sa radicalité et de son ardeur. Toujours est-il qu’on ne peut que relever l’énorme fossé entre l’enthousiasme des Hongrois à intégrer la CEE dès 1990 et la signification du résultat de ces dernières élections. La démocratie tant attendue est remplacée par un système où ce ne sont pas des idées qui s’entrechoquent mais des préoccupations personnelles de très court terme qui convergent. Un parfait exemple est celui de l’électorat âgé qui a connu le régime communiste dès ses débuts. Ces personnes, complètement désemparées, sont plus intéressées par le niveau de leur pension que par la construction d’une quelconque société. L’Europe est pour eux soit un «machin» complètement inutile, soit une arme qui vient leur donner le coup de grâce. La structure politique hongroise souffre du fait qu’elle est une non-structure. Les libéraux et conservateurs sont présents mais il manque une véritable force de progrès capable de fédérer une partie importante de la population, celle qui souffre le plus. Le LMP prétend défendre ces personnes, mais ils en sont trop loin. La distance sociale n’est pas un problème. Au contraire, c’est lorsque intellectuels, étudiants et travailleurs se rencontrent que les grandes évènements ont lieu. En revanche, le LMP est idéologiquement à mille lieux de ceux qu’il dit vouloir émanciper de leur triste condition, notamment sur la question européenne. La maturité démocratique et européenne promise aux pays de l’Est n’est pas encore d’actualité car ces pays n’ont pas eu de période d’adolescence démocratique au cours de laquelle les peuples ont pu déterminer la politique nationale. De Moscou à Bruxelles, tout est allé trop vite pour les peuples d’Europe de l’Est. D’où leur repli identitaire et nationaliste.

Un autre élément vient entacher le magnifique tableau promis aux européens de l’Est. Le vent de la liberté et de la démocratie devait balayer les nuages du totalitarisme. C’est manifestement tout le contraire qui se produit avec la montée en puissance de l’extrême droite aux dernières échéances électorales dans plusieurs pays. Ce phénomène n’est pas propre aux pays de l’Est mais lorsqu’on connaît la fragilité démocratique et les difficultés économiques de ces pays, on peut s’en inquiéter. Le ciel s’est assombrit, pourvu que l’orage n’éclate.

Yann Caspar

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