Conservateurs réformateurs

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Quand Constitution rime avec Restauration

La commission parlementaire chargée d’élaborer une nouvelle constitution, composée d’une armée de députés de la majorité et au sein de laquelle les avis contraires sont d’une rareté inouïe, a rendu un premier jet de son projet. Ce texte est actuellement discuté au Parlement et fera, selon les déclarations du gouvernement, l’objet d’un vote au printemps prochain. Profitant de sa majorité des deux tiers, la coalition Fidesz-KDNP s’attelle au démantèlement de la Constitution de 1989. Très controversé, ce projet pourrait bien déboucher sur la constitutionnalisation de conceptions réactionnaires de la Hongrie et de la société hongroise.

Haro sur l’IVG et le mariage homosexuel

«Depuis sa conception, la vie mérite d’être protégée comme un droit humain fondamental. La vie et la dignité humaine sont inviolables». C’est donc bien la fin de l’IVG que prépare le gouvernement. Si le texte est voté en l’état, l’IVG deviendrait inconstitutionnel et ainsi jugé illégal par les juridictions nationales. Le gouvernement de Viktor Orbán avait déjà, en 2000, modifié le droit à l’avortement en introduisant l’obligation de tenir compte de l’avis d’un comité pour une grossesse supérieure à 12 semaines, ce comité ne pouvant s’opposer à la décision de la mère s’il place la mère dans «une grave situation de crise» définie comme «pouvant entraîner des dommages physiques ou psychiatriques ou une situation sociale intolérable». Cette modification de la législation avait alors été considérée comme adaptée et de ce fait recueilli le soutien de l’opposition socialiste. Mais avec la possible mention sur l’inviolabilité de la vie depuis sa conception, le droit à l’avortement ne serait pas une fois de plus réduit mais bien anéanti. Le gouvernement imiterait alors les autorités polonaises prohibant l’IVG et vo-yant dans le même temps son taux de natalité continuer à chuter. Car oui, l’argument démographique est bien mis en avant par le gouvernement pour justifier la fin du droit à l’avortement alors que toutes les études s’accordent à montrer qu’en Europe la législation sur l’avortement influe très peu la natalité. Par ailleurs, le gouvernement veut-il être le responsable d’une envolée du nombre d’avortements clandestins, comme cela a été le cas en Pologne, en laissant son projet en l’état? Dans les pays de l’ex-bloc soviétique, les grossesses débouchant sur un avortement sont beaucoup trop élevées, c’est incontestable. Ce phénomène est directement lié à la très faible utilisation de la contraception résultant de politiques publiques insuffisantes. Le chantier du Fidesz devrait plutôt se situer à ce niveau.

Un autre point que le gouvernement souhaite affirmer dans la constitution est sa vision de la famille : «La Constitution protège le mariage, considéré comme l’union de base la plus naturelle entre un homme et une femme et fondement de la famille». Ainsi, la célébration d’un mariage entre deux personnes de même sexe deviendrait-elle inconstitutionnelle. L’association hongroise des gays et lesbiennes s’est empressée de prendre position contre ce projet qui aurait selon elle pour conséquence de transformer les homosexuels en citoyens de seconde classe.

L’héritage chrétien et la Sainte-Couronne

En 2005, au moment de la conception du «projet de Constitution pour l’Europe», la France s’était opposée à la notion d’héritage chrétien de l’Europe soutenue par l’Allemagne et la Pologne. La France l’avait alors emporté. Le projet hongrois prévoit quant à lui l’introduction dans la future constitution de la notion de «rôle du christianisme dans l’histoire millénaire de la Hongrie». Quant on connaît la relation proche qu’entretient le Fidesz avec l'Église catholique, cet ajout n’est pas étonnant. Deux remarques méritent d’être soulevées. La première est que cet ajout est hautement symbolique. Il ne s’agit pas, jusqu’à présent, de consacrer certaines valeurs mais simplement d’affirmer par principe que la Hongrie est un pays de tradition chrétienne. En se contentant de cela, le Fidesz prend le risque de la division de la société. On pourrait très bien imaginer qu’une constitution consacre des valeurs chrétiennes, tant qu’elles sont formulées en employant un vocabulaire laïc. Il est vrai qu’il ne faut pas sous-estimer le rôle du christianisme dans la construction intellectuelle en Occident mais il est un principe auquel un État moderne ne devrait pas porter atteinte : la neutralité de l’État dans le domaine de la religion. C’est la deuxième remarque à soulever. En Hongrie, et plus largement en Europe de l’Est, la notion de laïcité est mal comprise. Trop souvent, on croit que cette notion est proche de l’anticléricalisme. La laïcité aurait déjà existé sous l’ère communiste. Non. L'Église était alors malmenée, instrumentalisée, mais les autorités politiques étaient en aucun cas laïques. La laïcité est simplement la neutralité de l’État, la religion confinée à la sphère privée. D’autre part, «la Constitution s’inscrit dans la continuité de la Sainte-Couronne». L’intention du gouvernement est donc d’effacer un demi-siècle d’histoire au cours duquel la Hongrie a successivement été une République populaire mais surtout depuis 1989 une république tout court, la République de Hongrie. Faut-il rappeler au gouvernement qu’un régime politique s’inscrivant dans la continuité de la Sainte-Couronne n’est pas une république mais une royauté ou un empire? La majorité actuelle tire sa légitimité du peuple et non de la Sainte-Couronne.

Les principaux changements institutionnels

La création d’une seconde chambre est prévue. Un système bicaméral suscite toujours les critiques. L’élection au suffrage indirect d’un sénat disposant des mêmes prérogatives que la chambre élue directement par le peuple peut en effet agacer les tenants d’une démocratie représentative irréprochable. C’est compréhensible. Il n’est pas étonnant de voir le Fidesz emprunter cette voie. Enfin, et c’est sans doute l’aspect le plus scandaleux du projet, le gouvernement a l’intention de rendre toute modification de la nouvelle constitution possible si elle est validée par les deux tiers des députés lors de deux législatures consécutives, c’est-à-dire une configuration assez improbable. Cette volonté renoue avec celle exprimée par M. Orbán lors de la campagne qui déclarait en avoir assez du multipartisme et de l’alternance.

Yann Caspar

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