10e chambre,instants d’audience

10e chambre,instants d’audience

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Cinéma

Donner un visage à la justice

Après Délits flagrants (1994) qui nous présentait le parcours de personnes interpellées jusqu’au moment de la rencontre avec leur avocat, Raymond Depardon réussit en 2003 à pousser les portes du tribunal et à poser ses deux caméras dans la 10e chambre correctionnelle de Paris. Nerveux, bredouillants, arrogants, goguenards ou drogués, à la barre se succèdent douze prévenus de tous horizons. Qu’ils soient sans-papiers, artiste, représentant ou sociologue, la caméra saisit leurs visages face à la justice lorsqu’ils comparaissent.

Héritier français du cinéma direct, né aux Etats-Unis dans les années 50, Depardon en reprend pour ce documentaire les techniques et l’éthique. Sont utilisées pour le tournage deux caméras super 16 mm et une quinzaine de micros disséminés dans la salle – le lieu (et le juge) empêchant la prise de son avec une perche. La plupart des plans sont fixes, la caméra n’offrant que de rares panoramiques ou recadrages. Aucun éclairage n’est ajouté. Au montage, ni musique ni commentaire ne viendront souligner ou expliquer ce qui se passe.

Même si ce dispositif minimaliste est d’abord dicté par la contrainte évidente de ne pas perturber l’audience, le choix du positionnement des caméras relève bien d’une esthétique et d’une éthique. Ainsi, au sein du dispositif champ/contre-champ occupant une bonne part du film et mettant face-à-face le prévenu et la juge, Depardon place sa caméra près de la barre en légère contre-plongée (caméra plus basse que le sujet filmé), ne reprenant pas à son compte le point de vue surplombant du juge sur la scène. Et la 2ème caméra, aucunement caricaturale, ne filme pas la juge en contre-plongée, ce qui soulignerait sa position d’autorité, mais propose un cadrage à hauteur d’homme. Le tout aboutit à une mise à égalité - cinématographique - du juge et du prévenu, leurs visages étant captés dans un souci égal d’humanisation.

Et c’est là la force de ce film qui n’est ni un documentaire technique sur le fonctionnement de la justice, puisque les audiences et leurs étapes, comme le précisent le titre et le carton initial, sont réduites à des instants, ni un documentaire judiciaire palpitant tel le coupable idéal de Jean-Xavier de Lestrade (qui construisait dramaturgie et suspense autour d’un seul cas réel). Non, 10ème chambre…a un caractère diffus et fragmentaire, de par le nombre de prévenus et la contrainte imposée par le tribunal de ne présenter aucune affaire dans sa continuité.

L’avantage de ce choix de réalisation, puisque malgré les contraintes du lieu c’en est un, réside dans la possibilité d’une empathie émotionnelle avec les prévenus et le juge. Œuvre sensible au message ambigu comme le réel dont elle veut rendre compte, 10ème chambre, Instants d’audience ne vous dicte rien et laisse se succéder les instants comiques, tragiques, dignes ou grotesques. Bref, ce n’est pas un brûlot en images contre la méchante machine judiciaire mais, entre juge et jugés, et au-delà de rapports soi-disant objectifs et administratifs, la vérité émotionnelle interhumaine du processus légal qui est saisie par la caméra de Depardon.

Alexis Courtial

10e chambre, Instants d’audience de Raymond Depardon (documentaire)

Mardi 20 novembre 19h Institut Français de Budapest

 

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