Une heure avec Thibault Tricole, le meilleur joueur français de fléchettes

Une heure avec Thibault Tricole, le meilleur joueur français de fléchettes

Thibault Tricole

Lors dun tournoi à Budapest, le Journal Francophone a eu loccasion dinterviewer Thibault Tricole, le meilleur joueur de fléchettes français. Après avoir brillé sur le circuit international, il revient sur son parcours et livre son regard sur un sport en pleine émergence en France.

Paul Rabeisen : Est-ce que tu peux nous parler de ton parcours avant les fléchettes (école, travail) et quand as-tu commencé à jouer ?

Thibault Tricole : « Jai commencé à jouer aux fléchettes vers 12-13 ans avec mon père. À l’époque, je pratiquais aussi le judo (pendant quinze ans, ceinture noire) puis beaucoup plus tard le football. Jai toujours eu lesprit de compétition et jai rapidement pris les fléchettes au sérieux. Jai dabord remporté des titres de champion départementaux, régionaux, puis des titres de champion de France junior et senior.

Après mon bac+2, je suis parti à Bruxelles pour suivre des études darchitecture du paysage. Ce déménagement était motivé à la fois par mes études, mais surtout pour progresser aux fléchettes, car le niveau des joueurs belges est plus élevé. On peut dire que jai fait une sorte de sport-études officieux.

Une fois mes études terminées, jai commencé à travailler en France, dabord en tant que salarié puis en montant mon affaire. À l’âge où jai commencé, je naurais jamais imaginé pouvoir en faire une carrière. Aujourdhui, je suis le premier Français à en vivre, alors même que le sport nest pas encore reconnu officiellement en France. »

P.R : À quel moment as-tu envisagé de devenir professionnel ? Quelles sont les étapes pour intégrer la PDC ?

T.T : « Cest ma compagne, Marie, qui a remarqué ma frustration de ne pas avoir tenté ma chance dans le monde professionnel. Il y a cinq ans, elle ma dit : Vas-y, tente le coup !”. À ce moment-là, je m’étais mis à mon compte, mais je me suis donné un an pour vivre des darts. En France, à l’époque, quand on gagnait un tournoi, on repartait avec un panier garni (rires). Il fallait donc que je me confronte au niveau international pour progresser. Cette année-là, jai commencé à remporter des tournois semi-professionnels.

Puis il y a trois ans, jai terminé vice-champion du monde amateur en WDF, ce qui a été un coup de boost mental dans mes ambitions sportives. En prenant part au circuit du PDC Challenge et grâce à de bons résultats, ponctuellement il marrivait de participer à certaines compétitions PDC professionnelles avant de finalement intégrer le circuit pro définitivement en janvier 2024, pour au moins deux ans. Et cest bien parti pour que jy reste une troisième année daffilée.

La PDC regroupe 128 joueurs dans le monde, avec une majorité de Britanniques. Le classement se base sur les résultats des deux dernières années, donc en janvier 2026, je serai sur la même base de calcul des points que les joueurs avec qui je suis en concurrence. Mon objectif pour les prochains mois est datteindre le top 50 mondial. »

Thibault Tricole

P.R : Ton match à Budapest était crucial pour rester dans le circuit, et tu las gagné ! Quest-ce que cela change pour toi de passer de semi-pro à pro ?

T.T : « Ça change absolument tout, il y a un véritable fossé entre le monde semi-pro et la PDC. La PDC, cest un peu la NBA des fléchettes. En semi-pro, on ne peut pas vraiment en vivre. À linverse, quand on est professionnel, on vit de ses gains, même sils sont imposés en France et en Angleterre. Et puis au fond, tous les joueurs gardent en tête le rêve de remporter un tournoi avec un million deuros de cash prize.

Lannée prochaine, la dotation totale passera de 18 à 25 millions de livres sterling. Tous les grands tournois sont télévisés, et qui dit visibilité dit sponsoring. En France, les projecteurs sont désormais braqués sur moi, ce qui facilite grandement la recherche de partenaires. En semi-pro, tout cela ne me serait pas accessible. »

P.R : Tu es sponsorisé par le FC Lorient, comment sest fait ce partenariat ?

T.T : « En fait, il sagit dun partenariat de communication, sans échange financier. Quand jai signé, la presse en a beaucoup parlé. En tant que Morbihannais, je suis fier d’être identifié comme joueur du FC Lorient. En Angleterre, chaque joueur est dailleurs rattaché à un club, cest une tradition que je suis content dimporter en France. »

P.R : À quel point les sponsors sont-ils importants pour ta carrière ? As-tu dautres sources de revenus ?

T.T : « Cest essentiel. Actuellement, je suis 61ème mondial, et sans sponsors, ce serait très compliqué de vivre des fléchettes. Il faut environ 40 000 pour financer une saison complète. Avec la double imposition franco-britannique et tous les frais de déplacement, je ne pourrais pas en vivre de mon sport sans soutien financier extérieur. »

P.R : Comment tentraînes-tu ? À quoi ressemble ton quotidien ? As-tu une équipe ?

T.T : « Je nai pas de staff autour de moi : ni préparateur physique, ni préparateur mental, car je nen ressens pas le besoin actuellement. Mon quotidien, cest deux ou trois tournois par mois, et entre-temps, je gère les aspects administratifs comme un entrepreneur classique : rendez-vous avec le comptable, déplacements, etc.

Comme jai commencé très tôt et que je joue beaucoup, je ne ressens pas le besoin de mentraîner tous les jours. Cest dailleurs difficile de jouer seul chez soi, ce nest pas très amusant. Jessaie de mentraîner quelques heures par semaine, mais je ne suis pas vraiment un geek” des fléchettes. Au final, je travaille plus la tête que le bras, histoire de garder la confiance. »

Thibault Tricole

P.R : À Budapest, tu as affronté deux des meilleurs joueurs mondiaux, Stephen Bunting et Josh Rock. Quest-ce qui fait la différence entre le top 10 et le reste du circuit ?

T.T : « Cest un peu comme au tennis, nous avons différents types de tournois. Chaque année, on dispute 34 tournois appelés Players Championship”, qui sont filmés pour certains matchs, mais sans public. Tous les joueurs participent, mais les gains y sont relativement faibles. Dans ces tournois, il ny a donc pas de pression liée à largent ou au public, de ce fait, les performances sont souvent plus homogènes.

Je pense que la vraie différence entre les meilleurs et les autres se joue surtout sur la gestion des émotions face au public. Ce week-end, jai vu que mon adversaire manquait un peu de sérénité, ce qui ma permis de revenir dans le match après avoir été mené 5 sets à 2 (victoire à 6). »

P.R : Comment vois-tu le développement des fléchettes en France dans les prochaines années ? Maintenant que La Chaîne L’Équipe diffuse, penses-tu que ce sport peut devenir populaire ?

T.T : « En France, on a souvent dix ans de retard sur tout le monde, mais je reste optimiste. Quand je vois lengouement en Allemagne ou dans les pays de lEst, je me dis que cest possible. Il y a dix ans, je naurais pas dit ça : entre 2000 et 2015, le nombre de licenciés à la fédération est passé de 3 000 à 1 000. Mais depuis la diffusion sur L’Équipe et la période du Covid, lintérêt est revenu.

Pendant le confinement, beaucoup de gens ont acheté des cibles pour soccuper, et certains ont continué à jouer après. Mes résultats en tant que joueur français, combinés à larrivée du phénomène Luke Littler en Angleterre, ont aussi beaucoup contribué à médiatiser le sport en France.

Aujourdhui, la fédération compte de nouveau 3 000 licenciés, ce qui est encourageant. Je vois aussi ma communauté grandir sur les réseaux, avec un public plus jeune. Désormais, des joueurs de 18 ans arrivent en tournois sans jamais avoir mis les pieds dans un pub. Avant, javais presque honte de dire que je jouais aux fléchettes, car c’était mal perçu. Mais aujourdhui, cest linverse, jen suis fier et jai considérablement gagné en crédibilité auprès des sponsors.

Et puis, en France, on a la chance davoir une diffusion gratuite, contrairement à dautres pays. Les Français sont chauvins : ils sintéressent à un sport quand un Français gagne. Donc jespère pouvoir contribuer à développer les fléchettes dans notre pays. »

Propos recueillent par Paul Rabeisen

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