Au cimetière de la pellicule de Thierno Souleymane Diallo : la chasse au trésor du cinéma guinéen

Au cimetière de la pellicule de Thierno Souleymane Diallo : la chasse au trésor du cinéma guinéen

Thierno Souleymane Diallo

Il y a des rencontres qui ne s’oublient pas. Des personnalités qui marquent les esprits, qui sont solaires et vous donnent envie de sourire. C’est le cas du cinéaste guinéen Thierno Souleymane Diallo. Il était présent à l’Institut Français de Budapest ce mercredi 13 septembre à l’occasion du festival « Klasszikus Film Maraton », pour présenter son documentaire Au cimetière de la pellicule sortie en salles françaises en juillet dernier. A la sortie de la projection, nous sommes allés à sa rencontre, et c’est avec un grand sourire, beaucoup d’humour et de gentillesse qu’il nous a accordé un passionnant entretien. L’histoire de ce jeune réalisateur est belle, tout comme le documentaire. Retour sur notre coup de cœur du festival.

Le synopsis du film est le suivant : Le premier film francophone d’Afrique noire est réalisé en 1953 et se nomme « Mouramani ». Seulement, personne ne l’a vu, et il n’est archivé nul part, ni en Guinée, ni en France. Thierno Souleymane Diallo part à la recherche de ce film, et nous partage dans le même temps la situation de l’archivage cinématographique en Guinée.

Thierno Souleymane Diallo

Journal francophone de Budapest (JFB) : M. Diallo, félicitations pour votre documentaire et l’accueil chaleureux qu’il a reçu de la part des critiques. Dans le film, on parle de « Mouramani » et du conte qui l’entoure. D’où vous vient-il, l’avez-vous côtoyé durant votre enfance ?

Thierno Souleymane Diallo (T. S. D.) : Merci beaucoup à vous. Non, je ne l’ai pas connu pendant mon enfance, je l’ai découvert pendant le Covid -comme quoi tout malheur est parfois bon (rires). Je passais un casting pour la télévision et un monsieur très âgé est arrivé en me disant qu’il voulait faire du cinéma. Je lui ai demandé pourquoi, et il m’a répondu « Ca m’intéresse parce qu’il y a un rapport entre la Guinée et le cinéma. Le premier film francophone d’Afrique noire est guinéen, c’est l’histoire d’un homme et de son chien. » Je lui ai répondu que les Français pensent que ce conte parle de l’islamisation du peuple Malinka, il m’a dit « Non non, c’est un conte très populaire dans le Mandingue ».

JFB : Quels ont été vos retours sur le film ?

T. S. D. : Justement, beaucoup de gens m’ont fait la remarque que le conte n’est pas uniquement pour la Guinée, mais porte quelque chose d’universel.

JFB : Le film a donc bel et bien existé ? Êtes-Vous toujours à sa recherche ?

T. S. D. : Oui le film a existé. Mais non, je ne suis plus à sa recherche. Le film est plus un prétexte pour parler du cinéma en Guinée, qui a été florissant pendant un temps mais a aujourd’hui totalement disparu. Je voulais aller à la rencontre des gens, parler de cinéma... Derrière cela, il y a aussi la socialisation des films. Aujourd’hui, on a la télévision, Netflix, on ne regarde plus les films ensemble, on reste chez soi. Alors que c’est du partage, ce sont des émotions, des rires, des silences... Il y a quelque chose de magique quand on regarde un film dans une salle de cinéma. Et à cause de la démocratisation des images c’est tout le contraire, on a tendance à penser qu’on peut aussi regarder un film à la maison, mais ce n’est pas du tout pareil. Chercher ce film perdu c’est quelque chose, mais en même temps je rappelle aux gens ce qu’a été l’essence du cinéma même : la salle.

Ce que j’aime aussi avec ce film, c’est la tradition orale. On ne retrouve pas le film Mouramani, mais on retrouve le conte populaire. Ce conte a bercé beaucoup de jeunes, beaucoup de générations. Je veux donner de la force à la mémoire. Avec la nouvelle génération, on en vient à avoir besoin d’un GPS sur notre téléphone pour se promener, parce qu’on ne garde rien en mémoire. C’est bien, mais ça peut être dangereux. Je veux donner de la force à l’écoute, la transmission.

Thierno Souleymane DialloJFB : On vous voit caméra en main durant tout le film. Mais qui vous filme derrière vous ? Qui vous a suivi tout ce temps ?

T. S. D. : C’est une amie, Leïla Chaïbi. C’est un film techniquement 100% féminin. C’est un choix de ma part, c’est pour cela que tout est soigné. Quelque chose de magnifique avec la femme, c’est qu’elle fait les choses avec beaucoup d’attention. Et ça, je l’ai compris il y a longtemps. Je dis souvent aux hommes que les femmes sont plus intelligentes que nous. Depuis l’aube de l’Humanité, on essaye de faire croire qu’on est les plus en avance, les plus intelligents... C’est faux. C’était l’occasion de montrer que si l’on aime le film, c’est grâce aux femmes, non aux hommes. Elles ont une vraie sensibilité, elles sont attentives aux détails. Ce sont des qualités à exploiter, sinon on perd quelque chose de magique, de magnifique. C’est ce qui fait que le film est à ce niveau d’esthétisme selon moi.

JFB : Avez-vous d’autres projets pour la suite ?

T. S. D. : Oui. Un autre documentaire qui parlera de la situation en Guinée dans les années 70, sur l’agression des Portugais en Guinée. Mais il y aura beaucoup d’humour. J’arriverai toujours à faire rire dans mes documentaires. Il faut rire, le cinéma est un spectacle. Si on enlève cela au cinéma, on perd beaucoup de choses. Il faut rire, même si c’est la fin du monde.

Rions du drame.

C’est sur cette note que s’achève notre rencontre avec Thierno Souleymane Diallo, qui doit se rendre le lendemain à Cologne pour faire la tournée des festivals. Le film a également été projeté en Algérie, au Canada et en Arabie Saoudite en plus de la France.

Siloé Lemaître

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