Hongrie : la seconde mort d´Imre Nagy

Hongrie : la seconde mort d´Imre Nagy

  Récit d´une exécution posthume

 

C´était l´un des monuments les plus photographiés de Budapest. La statue d'Imre Nagy, appuyé au parapet d´un pont en bronze face au Parlement, faisait la joie des touristes. Mais voilà qui est bien fini. Ceux qui, sur les conseils de leur guide, viendront l´y chercher, ne la trouveront plus : elle a été démontée dans la nuit du 28 décembre pour se voir reléguée loin de là dans un square isolé.

Pourquoi donc ? Selon la version officielle : restituer aux abords du Parlement leur aspect d´avant-guerre.  Autre explication, celle-ci non officielle : l´hostilité affichée par Viktor Orbán et ses proches vis-à-vis d´Imre Nagy. Taxé d´avoir été „un communiste pur et dur, suppôt de la Russie stalinienne” (!). Or, Imre Nagy, exécuté en 1958 est considéré comme le héros de la Révolution de 1956. Membre du Parti communiste, certes, voire Président du Conseil, mais qui se rallia aux revendications des insurgés face à l´occupant soviétique. Au point que, sous sa conduite, le pays connut quelques jours de liberté avec le départ des tanks russes. Tanks qui devaient revenir la nuit du 4 novembre pour occuper la capitale et écraser la Révolution.  A la suite de combats qui devaient encore durer une dizaine de jours, sous la conduite d'Imre Nagy en personne. Une fois la révolution matée, Imre Nagy fut arrêté pour être jugé et pendu en juin 1958. Une personnalité dont la mémoire est depuis honorée dans le monde entier, toutes tendances politiques confondues. Sauf, apparemment, par Viktor Orbán et sa cour…

Mais pour mettre quoi à la place ? Un monument à la mémoire des victimes de la Terreur rouge de 1919. Monument à l´époque érigée par le régime de l’amiral Horthy, mais démonté en 1945. Certes, la République des Conseils du communiste Béla Kun (mars-août 1919) fit de nombreuses victimes, souvent cruellement et injustement pourchassées. Mais n´oublions pas que celle-ci fut suivie d´une non moins redoutable Terreur blanche qui vit artistes et intellectuels fuir le pays en masse et prit une très forte connotation antisémite.

Terreur rouge ou pas, que cherche à obtenir Viktor Orbán ? Une initiative qui s'inscrit dans un mouvement général visant à réhabiliter le régime de l´amiral Horthy. Réhabilitation non ouvertement affichée dans le discours officiel, mais largement exprimée dans les gestes et symboles. Qui s´accompagne par ailleurs d´une réécriture de l´Histoire tendancieuse et faussée. Tel ce monument qui présente la Hongrie de l'amiral Horthy victime de l´Allemagne nazie. Alors que l´on sait fort bien que, durant les hostilités, les Hongrois se rangèrent aux côtés des Allemands. Il est vrai, plus dans l´espoir de récupérer les territoires perdus à Trianon que par véritable conviction. Une Hongrie qui, encore officiellement gouvernée par Horthy, expédia par trains entiers plus de 400 000 Juifs de province dans les camps de la mort (mai-juin 1944). La présenter comme victime de l´Allemagne nazie (et en faire un monument) relève donc d´un pur mensonge. Quant à ce petit jeu des chaises musicales, nous n´en sommes pas ici à la première, d´autres ayant connu le même sort avant Nagy. Tels le poète „prolétaire” Attila József ou le comte Mihály Károlyi, premier Président de la République, il est vrai affichant des idées de gauche. Verrait-on en France renvoyées aux coulisses des statues de Louis Aragon ou Léon Blum ?

Gestes qui s´inscrivent, nous dit-on, dans une volonté du Premier ministre hongrois de rendre à son peuple une fierté nationale perdue avec l´arrivée du régime communiste et non recouvrée depuis. Gestes accompagnés d´autres mesures, tels ces cours de religion et d´éthiques imposées dans les collèges, ou encore l´instauration d´exercices d´initiation aux armes auprès de la jeunesse, défense de la patrie oblige. Ce qui, jusqu´à présent, a plutôt bien fonctionné au sein d´une population encore en bonne part traumatisée par son passé et complexée par l´isolement de sa langue. Le déboulonnement de Nagy va-t-il y changer quelque chose ? Probablement pas.

Fierté nationale retrouvée ? Chacun place sa fierté où il peut. Certains du côté d'Horthy. Voilà un bien curieux choix...

Pierre Waline

(1): Si Orbán aurait un jour quoi que soit à redouter, ce serait bien plutôt au plan social.

 

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