La Hongrie rêve d’utopie à Venise

La Hongrie rêve d’utopie à Venise

Avec une vision utopique, l’artiste Gyula Várnai offre un message de paix au sein du Pavillon de la Hongrie pour la 57e édition de la Biennale de Venise. Installations, vidéo et performances impromptues viennent accueillir les visiteurs amateurs d’art ou curieux promeneurs venus chercher un peu de verdure dans les giardini de la Sérénissime.

Peace on Earth, une idéologie éclairée au néon

Il faut gravir quelques marches pour atteindre la cour circulaire du pavillon hongrois, un édifice à l’entrée majestueuse cernée de dorures et de luisantes tuiles bleues et vertes datant de 1909. La lumière plonge dans cette ouverture et sur un personnage qui accueille les rayons du soleil et s’impose entre l’installation de Gyula Várnai et le public : Jésus. Ou, du moins, un performeur qui aura pour contrat de faire quelques apparitions et interactions avec les visiteurs, leur ouvrant ses bras et leur offrant des messages de paix. Derrière lui se tiennent les vraies pièces constituant l’exposition pour cette participation nationale : un symbole, tout en néon bleu, jaune et vert, d’une colombe tenant un rameau d’olivier dans son bec, et en lettres capitales d’imprimerie le message suivant : “PEACE ON EARTH!”.

Ce symbole n’est pas inconnu du public hongrois : en effet, il trônait au sommet de la ville de Dunaújváros (ou Sztálinváros), installé en 1958, portant à travers le message magyar “BÉKÉT A VILÁGNAK!” toute l’idéologie du régime socialiste au cours de la Guerre froide. Comme l’indique le commissaire de l’exposition Zsolt Petrányi, “la validité de ces idées change avec le temps. A travers ses installations, l’exposition de Gyula Várnai évoque les idéaux que représentent la futurologie et les utopies du passé et les confronte aux défis de notre époque contemporaine.” Une réflexion qui se matérialise dans la lumière grésillante et hésitante du néon. On décèle alors une pointe d’ironie, qui ne laisse pas de place à la nostalgie mais au contraire interpelle sur l’actualité des enjeux relevés ici : quel impact est exercé sur les générations futures dans l’acte de se remémorer le passé ? C’est cette question qu’il explore à travers ses six installations qui ont établi domicile au pavillon de la Hongrie.

Arc-en-ciel, mathématiques et cités utopiques

Parmi les autres pièces de l’exposition, l’on retrouve un arc-en-ciel composé de plus de 8 000 badges et pins colorés. La vue d’ensemble propose un arc scintillant et pixellisé, aux couleurs vives. Mais dès que le spectateur s’approche de Rainbow, chaque élément est unique : un pin militant anti-nucléaire, un autre à l’effigie d’une entreprise d’Etat, d’un événement politique ou encore d’un produit de consommation. Symboles de la production de masse et du militantisme fièrement arboré dans les années 1950 à 1970, ces petites pièces de métal incarnaient le désir d’un avenir meilleur. Avec la matérialisation de l’arc-en-ciel, la représentation du futur projetée par la propagande est toujours positive, car des visions plus négatives ou dystrophiques auraient eu un effet contre-productif auprès de la communauté. L’idée d’un rassemblement de tous ces combats forme une unité colorée, enviable, mais hélas irréalisable. Un parallèle que l’artiste dresse en toute connaissance de cause avec les évolutions qu’a connu la ville de Dunaújváros.

L’oeuvre E-wars est mise à côté d’I Want To Know Everything, deux posters au même format avec un message similaire, tourné autour de la connaissance : d’un côté, une explosion d’un bâtiment par un bombardement attribué à l’Etat islamique, découpée en plusieurs séquences, affichant l’algorithme mathématique utilisé par Google pour organiser les données virtuelles de ses clients et en extraire le potentiel commercial ; de l’autre, une planche de bande dessinée vintage réalisée à l’encre représentant l’ouverture d’une noix et faisant référence au programme télévisé soviétique qui s’engageait de participer à l’éducation des enfants. Deux explosions pour l’accès au savoir, avec pourtant des contextes différents mais une symbolique similaire : pour l’artiste, l’accès au futur et sa bonne réalisation se fait à travers une soif constante du savoir.

Enfin, le spectateur peut voir son ombre projetée sur un diaporama de villes du futur, ou Cités invisibles, avant de continuer son chemin vers une vidéo en perpétuelle rotation, représentant des images d’archives de la grande roue Ferris, qui était installée également à Dunaújváros et possède douze rayons, comme le cadran d’une montre.

Le futur par Gyula Várnai

La place de la vidéo est d’ailleurs importante dans l’exposition Peace on Earth!, car l’oeuvre liminaire est une interview du romancier polonais Stanislas Lem réalisée en deux temps : alors que les questions sont très actuelles et évoquent des enjeux contemporains, comme le réchauffement climatique ou le phénomène de surpopulation, les réponses de l’auteur ont en fait été tournées en 1970. Ainsi, Várnai réussit son pari en nous démontrant que les réponses aux questions que l’on se pose concernant notre futur peuvent se trouver dans le passé. L’exposition de l’artiste hongrois joue alors autour de cette incertitude de prévoir le futur. Les utopies rejoignent la futurologie, cette science qui a pour ambition d’aborder les différents scénarios possibles de l’avenir. L’artiste lui-même justifie son intérêt pour le futur en se plongeant dans le passé :
“Quand j’étais plus jeune, je me posais beaucoup de questions sur le futur. Aujourd’hui, je suis plus intéressé par les “pourquoi”. Ma présentation à Venise nous permet de repenser les utopies du passé récent, comme le concept de “paix mondiale” avec son contexte contradictoire. A travers cette exposition, j'essaie aussi de réanimer des visions qui ont été positives sur l'avenir.”

Situé au centre des Giardini de Venise, le pavillon de la Hongrie diffuse donc un nouveau message pacifique dans ce havre de verdure et de canaux empruntés par les gondoles : celui d’accueillir le futur de manière aussi large que possible, et d’y trouver une place importante pour la création artistique, clé de voûte pour la paix sur terre. 

Julie Gaubert

Infos pratiques : L’exposition est accessible du 13 mai au 26 novembre 2017.

Pour plus de renseignements : http://www.labiennale.org/en/biennale/index.html

Photos :

(1) : Performance : Jésus répandant son message de paix lors de l'ouverture de la Biennale  © Julie Gaubert

(2) : Rainbow, composé de 8 000 pins et badges, scintille en un spectre coloré © Julie Gaubert

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