Interview avec Wax Tailor

Interview avec Wax Tailor

Peux-tu te présenter pour notre journal ?

Jean-Christophe, alias Wax Tailor : je ne suis jamais à l'aise avec le qualificatif :  Dj/ compositeur etc., je dis souvent metteur en son, je trouve que c'est ce qui me résume le mieux au final.

Ton univers ?

Quand je parle de metteur en son, ce n'est pas pour inventer un bon mot, c'est que je me positionne par rapport à la musique ; ie, non seulement comme un compositeur mais comme quelqu'un qui a une vision d'appréhender la musique et qui aime bien, par tous les moyens nécessaire, comme disait Sartre,  de se dire comment tu vas amener à travers de la matière, des éléments, de la composition, à travers des invités, à l'image d'un réalisateur qui monte son film. Musicalement, je viens de la culture hip-hop, j'ai grandi avec ça, ce qui me permet de faire une musique référentiel, qui n'est pas caché sous le manteau. J'assume pleinement certaines références, mais après, j'essaie d'en faire une digestion personnelle.

 

 

Comment passe-t-on de « la Formule » ( ie, son premier groupe, rap.)  à quelque chose de plus éclectique ?

A l'époque de la Formule, c'était un projet parmi d'autre. Quand tu as 16 – 17 ans, et que tu es au centre de la culture hip-hop, dans un univers ou les sphères sont assez fermé, a cet âge la personnalité n'est pas assez développé. Puis après tu ouvres tes horizons, la musique c'est la vie, et la vie est faite de plusieurs ambiances, de couleurs, de pleins choses, et on ne se réveille pas tous les matins avec les mêmes sentiments amoureux ou en colère, j'essaie de faire une belle palette avec tout ça ...

Merci pour la transition. Ton 4ème   opus semble être une parabole de la vie, entre tristesse et bonheur, brin de folie et réflexion, cela se répercute sur tes compositions.  

Moi je me dis que je suis tout ça. On m'interpelle parfois en me disant  que parfois « ta musique est mélancolique ». J'espère que ce n'est pas censé être un reproche, je le prends très bien, car j'utilise souvent une parabole de Hugo qui me paraît vraie et qui m'accompagne depuis 15 ans : « La mélancolie c'est le bonheur d'être triste. » L'humain  n'est pas tout en superficialité, nous avons  besoin de profondeur, et cette profondeur, on la trouve dans les moments durs. Quelqu'un qui n'a pas expérimenté la souffrance n'est pas capable d'appréhender un vrai bonheur. Sinon c'est un bonheur idiot. La vie est un équilibre et j'essaie de construire ma musique par rapport à ce grand équilibre.

Ce grand écart sentimental se ressent dans les autres albums, mais ce 4ème   opus semble être plus aboutit à ce niveau-là car il s'inscrit dans une logique de conte musicale...

C'est vraiment la musique qui a dicté le conte. Mon intention initiale était de faire un disque avec un narrateur. Dès que j'ai dit «  j'y vais », il me fallait  un thème : celui-là était le pouvoir d'évocation de la musique. Au début je n'avais pas une idée précise, mais quand j'ai trouvé cette idée de fond, je me suis lancé  dans la création musicale ; cela peut paraître paradoxal car normalement,  quand tu fais un récit, la première chose est d'écrire la trame. Je me suis dit je fais ça car si la musique à ce pouvoir d'évocation, elle peut m'évoquer une histoire. Pour moi, c'était une démonstration par le fait. C'est ce qui s'est passé. De voie de fait et par association, je me suis retrouvé avec cette histoire d'enfant car la construction au rapport de la musique se fait beaucoup durant l'enfance. Cela me semblait logique d'utiliser le conte, l'enfance. Puis j'aimais l'idée de l'histoire : une mère qui, à travers une allégorie, va tenter d'apprendre la vie à son enfant.

Sur le single Time to go, évoques-tu un hommage au voyage ? Quel est ton ressenti personnel, toi l'enfant de Vernon (Eure) qui voyage maintenant dans le monde entier ?

Oui c'est lier à cela. Et ce titre réalisé en featuring avec Aloe et Black retrace une histoire commune et une philosophie, nous avons une histoire avec des évènements communs par exemple par rapport à nos débuts, nous étions tous les deux dans l'ombre. Et puis, on s'est retrouvés à discuter, je lui ai expliqué le projet de l'album et j'ai pensé à lui pour cette chanson. Il vit de l'autre côté de l'Atlantique (ie, USA). Il a commencé à faire des trucs de quartier, à 30 km de chez lui puis, par son talent, se retrouve à faire des tournées internationale. Après discussion, nous avons évoqué l'idée de l'infiniment petit, de l'infiniment grand, cette sensation qu'on peut avoir, par exemple perdu sa maman dans un supermarché à 5 ans, on pense qu'on l'a perdue pour toujours alors qu'elle est seulement deux rayons plus loin,  ou qu'on se dit quand on est petit , le bout de la rue c'est le bout du monde : aujourd'hui ça m'arrive de me réveiller le matin sans savoir dans quelle ville je suis, il  me faut 20 secondes pour savoir où je suis. C'est un tourbillon actuel, qu'on retrouve dans l’enfance, toujours dans cette logique de l'infiniment petit, infiniment grand.

Budapest évoque quelque chose de particulier pour toi ?

Oui, d'une part j'adore la ville, c'est une ville agréable ; il y  a quelque chose de dépaysant mais aussi  quelque chose de doux car on a quand même des valeurs communes, presque un vocabulaire culturelle commun mais avec des nuances. J'ai une histoire personnelle  aussi avec Budapest car c'est le premier pays européen où il y a eu du répondant (1er  live à Budapest en 2006). C'est vraiment chouette de ce se retrouver avec un concert complet alors qu'on était là il y a à peine un an et demi.

Le rôle de l'interlude ? Changer de chapitre ?

J'aime bien le format de l'interlude. Parfois, il ne faut pas être dans le diktat du single long. J’aime bien dire les choses de façon concises. Le format radio me va bien, mais parfois j'ai une envie de liaison entre deux titres ou parfois,  une simple envie de déclinaison court, qui donne un coup de « j'y retournerai bien »

Alternance Featuring et propre production ?

A la base, mon projet est plus instrumental que featuring.  C'est excitant et compliqué. J'adore la collaboration. Les titres ou je joue  seul mes productions  est un moyen aussi pour m'exprimer plus personnellement 

Intervention sur les lyrics ?

Oui et non, j'implique les artistes. J'ai un paradoxe car je fais des disques à featuring, et en même temps, je suis très suspicieux de cela, car je me demande toujours qu'est-ce que cela cache.

D'une part, leurs demander d'écrire va leur permettre de ne pas prendre la collaboration à la légère et puis après je cadre : parfois il n'y a pas besoin, par exemple avec Charlotte Savary, cependant parfois j'ai besoin de préciser mon intention. Parfois je propose un sujet. Sur ce 4 album, cela a été très directif car il y avait une vraie histoire.

Mais dans l'ensemble, je suis quand même directif.

Téléchargement ? Hadopi ?

D'une part, ce n'est pas positif ou négatif, et je ne suis pas manichéen, c'est plus compliquer. Au niveau de la politique d'Hadopi, c'est une blague absolue car tous les dispositifs sont dépassé au moment où ils sont mis en place : ils arrivent après la bataille. Ce n'est pas l'Etat qui est incriminé dans l'Histoire, c'est le rapport des Majors compagnies qui pendant des années se sont bien foutu de la tête du monde, pas exclusivement, il y a aussi des gens biens. Un moment, universel, Vivendi etc. ont prôné une politique de développement du haut-débit, les graveurs de Cd, on met tout l'arsenal en place et ils ne voient pas venir le truc. Une fois que c'est lancé, la politique tente de rattraper l'affaire alors que c'est trop tard.

Il y a une réelle problématique : il faut des assisses durant un an, faire rencontrer les gens, dialoguer. Cependant, les majors ne pensent pas comme cela, pense uniquement répression.

Cependant, je ne dis pas qu'il ne faut plus de maison de disque.  Quand les gens me demandent  si je ne suis   pas frustrer car je pourrais vendre beaucoup plus de disque (la semaine de la sortie il était dans le top 3 du piratage). Oui c'est frustrant car je suis producteur et artiste :  l'artiste veut être écouté par tout le monde, le producteur veut être acheté par tout le monde. Et en même temps, je sais que sans internet je n'existerai pas, car ce n'est pas les médias de masse qui m'aurait donné ma chance.

Artiste politique au sens impliqué dans la vie publique au travers de ton œuvre ou artiste de divertissement ?

Les deux car par la force des choses. Je fais toujours une différenciation entre culture et divertissement sachant que la culture est un divertissement mais que le divertissement n'est pas toujours culturel. Je me sens politique au sens large.  J'ai fait du rap « politisé » dans ma jeunesse mais je me suis rendu compte que c'était vain ; après à chacun de voir.

J'ai pris parfois des positions, non dans une logique de prosélytisme comme certain artistes. Je n’insulte pas inintelligence des gens. Je prends position quand j'ai un avis sur une chose, mais ce n'est pas pour autant que je ne vais pas écouter les autres et chercher à les faire taire. Je trouve qu'en France, on manque de débat. Aux Etats-Unis, il y a une certaine liberté de ton qui fait qu’ils peuvent mieux se parler ; En France, on a l'impression que tu défends tes idées, tu les imposes.

Oui je me sens politique, rien que par le fait d'être un artiste indépendant. Ça c'est le truc le plus politique que je fais au quotidien. Me retrouver aux victoires de la musique (2008)  avec trois bouts de ficelle en autoproduction contre 3 artistes Universel, ça c'est politique.

L'âme d'un chef d'orchestre ?

Oui, à ma façon.

 

Maxime Hanssen

 

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