Kosovo : le compte à rebours

Kosovo : le compte à rebours

Le 10 décembre prochain s’achèvent les pourparlers de la dernière chance entre les négociateurs serbes et kosovars à propos du futur statut de la province balkanique. Le blocage des négociations laisse entendre que l’avenir du Kosovo dépend désormais du jeu des grandes puissances :UE, Etats-Unis et Russie en tête.

 

«Les dés sont lancés», a déclaré un diplomate européen à l’International Herald Tribune (IHT). D’après le quotidien new-yorkais, les Etats-Unis prévoient de reconnaître officiellement l’indépendance du Kosovo au cas où elle serait déclarée unilatéralement par les Kosovars albanophones. Nombreux sont ceux, en effet, qui n’envisagent guère de résultats constructifs des pourparlers actuels, bloqués comme les précédents entre des Serbes qui ne veulent rien de plus que l’autonomie et des Kosovars qui ne veulent rien de moins que l’indépendance. Un dernier set de négociations avait tout de même été lancé afin d’éviter d’imposer aux deux parties la solution d’indépendance surveillée, solution préconisée par le plan de Martti Ahtisaari, ancien président finlandais et envoyé spécial de l’ONU au Kosovo.

D’après M. Ahtisaari, rien ne serait pire que d’attendre plus longtemps, quitte à influer une solution au niveau onusien : «l'incertitude quant à son statut futur est devenue un obstacle majeur à son évolution démocratique, à l'avènement du principe de responsabilité, à son relèvement économique et à la réconciliation interethnique».

L’idée serait donc de construire progressivement un Etat sous la surveillance de la communauté internationale afin de garantir les droits de la minorité serbe, victime de discrimination depuis l’épuration ethnique organisée depuis Belgrade par Milosevic contre les albanophones majoritaires. Cette solution, bien que ce ne soit pas énoncé, permettrait également de maintenir une présence internationale importante et donc par ailleurs de contrôler les réseaux criminels de la région.

Mais cette solution ne sied pas à tout le monde. Aux Serbes, pour commencer, qui ne voient pas pourquoi, punis de frappes aériennes de l’OTAN sans mandat onusien en 1999 et ayant destitué pacifiquement Milosevic, ils devraient en plus voir leur territoire amputé. Et la chose n’est pas facilitée par le fait que la scène politique serbe soit encore nettement polarisée autour de thèmes nationalistes. Le premier groupe parlementaire est en effet constitué par l’ultranationaliste Parti Radical Serbe (SRS), de Vojislav Seselj, actuellement inculpé à La Haye de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Les Russes sont également fort peu enclin à accepter ce plan, le Kremlin est fin prêt à user de son veto au Conseil de Sécurité de l’ONU pour bloquer le plan Ahtisaari. La concorde russo-serbe, qui correspond plus à des intérêts communs qu’à une quelconque amitié slave (les Croates le sont aussi) ou à la religion orthodoxe (qui est autocéphale) est surtout due au fait que, pendant longtemps, un Kosovo indépendant aurait justifié une Tchétchénie indépendante. Et une Tchétchénie indépendante aurait pu enclencher une dislocation du territoire russe. Les leaders tchétchènes éliminés, le risque est désormais moins grand pour Moscou. Mais le Kremlin ne veut cependant pas perdre un pouce de ses revendications internationales mais entend bien, à l’inverse, imposer ses solutions. Vladimir Poutine, relaté par l’agence de presse RIA Novosti, a ainsi mis en garde les «partenaires» de la Russie sur ce dossier contre «un précédent dangereux».

Mais ce qui sonne comme une alerte venant d’une position retranchée pourrait bien être en fait une stratégie active de déstabilisation, non des Balkans, mais du Caucase et de l’Europe orientale. Le président russe, pressant l’Alliance Atlantique d’arrêter son expansion à ses frontières, et devant le contournement de son pays par les Occidentaux dans l’acheminement d’énergies fossiles à la suite de sa tactique de pression énergétique sur l’Europe, voit peut-être dans le Kosovo un moyen de relancer les intérêts russes. Il déclare ainsi très clairement que «la déclaration de nos partenaires selon laquelle le cas du Kosovo revêtirait un caractère unique n'est pas convaincante. Il n'y a aucun argument prouvant que le cas du Kosovo diffère de la situation en Ossétie du Sud, en Abkhazie [provinces séparatistes de Géorgie à la frontière russe, ndlr] ou en Transnistrie [province séparatiste russophone de Moldavie, ndlr]».

C’est effectivement un bras de fer à multiples dimensions auquel se prêtent les grandes puissances, jeu dans lequel les deux parties intéressées tentent de tirer leur épingle du jeu avec plus ou moins de succès. Et les prises de position par médias interposés s’accélèrent depuis que l’idée de la reconnaissance hors ONU d’un Kosovo indépendant a été avancée. Vojislav Kostunica, Premier ministre serbe et leader du Parti démocrate de Serbie (DSS, nationalistes modérés) dénonce ainsi à la télévision serbe relayée par l’AFP, le fait que «certains pays, notamment celui qui a le plus d'influence (les Etats-Unis) déclarent que d'une manière ou d'une autre les pourparlers déboucheront sur l'indépendance du Kosovo : cela remet en question tout le processus de négociations».

Du côté de l’Union européenne, représentée dans les pourparlers serbo-kosovars par un diplomate allemand aux côtés de représentants russe et américain, l’affaire est plus complexe. On sait que quoiqu’il en soit, le devenir du Kosovo est avant tout une question européenne. Mais entre le Kremlin, avec qui les relations de l’UE sont tumultueuses, et l’unilatéralisme américain, il n’est pas aisé de dégager une solution proprement continentale. Le Haut Représentant de la Politique étrangère et de sécurité commune (Pesc), Javier Solana, appelle les gouvernements à s’impliquer unanimement, sans pour autant n’affirmer de préférence pour aucune solution. « Il est essentiel pour l’Europe de rester unie sur ce dossier, pour la sauvegarde des intérêts européens, et notamment la stabilité, la prospérité et la perspective européenne des Balkans » déclare le chef de la diplomatie européenne.

 

Mais si les gouvernements européens comme l’Union elle-même se garde bien de privilégier aucune solution si ce n’est que celle-ci serait nettement préférable sous l’égide de l’ONU, l’IHT affirme que l’UE suivra les Etats-Unis en reconnaissant l’indépendance du Kosovo.

 

Quant à l’ONU, elle insiste sur sa coopération avec l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) qui intègre Europe, Russie et Etats-Unis. C’est donc probablement sous l’égide de cette organisation collégiale que serait assurée l’«indépendance surveillée» du plan Ahtisaari. Mais en cas d’échec des négociations actuelles, il est peu probable que la Russie et la Serbie acceptent sa mise en application. La confrontation directe des différentes positions serait alors inévitable.

 

Péter Kovács

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