Des migrations estudiantines : chassé-croisé ?

Des migrations estudiantines : chassé-croisé ?

Suivre les migrations estudiantines à travers l’Histoire, c’est sans doute une façon de prendre le “pouls” du monde. Si de nombreux étudiants “de l’Est” sont partis étudier à l’Ouest aux XIXe et XXe siècles, on peut noter que depuis quelques années de plus en plus d’étudiants de l’Ouest prennent le chemin du centre de l’Europe, et en particulier celui de la Hongrie.

Victor Karady, actuellement professeur à la CEU (Université d’Europe Centrale à Budapest) nous éclaire sur la question des migrations estudiantines de l’Est vers l’Ouest autour de 1900. Professeur à l’Université René Descartes et à l’Ecole des Hautes Etudes, mais aussi chercheur en sociologie au CNRS de Paris durant de longues années, il s’est penché sur la question du système universitaire en France et sur la formation des intellectuels en Europe centrale. Il nous explique les raisons de la migration des étudiants de l’Est vers l’Ouest à cette époque, en particulier des étudiants hongrois.

Les raisons sont essentiellement socio-économiques, culturelles et historiques

Victor Karady rappelle que l’Europe de l’Est était, au tournant du XIXe siècle, peu développée sur les plans économique et universitaire : les Etats de l’Est formaient alors de toutes jeunes nations qui devaient gérer leur politique et leur économie dites nationales, mais aussi la formation des élites qui allaient diriger ces mêmes Etats. La plupart des universités sont donc nées, ou se sont modernisées, à cette époque. En Hongrie, il existait une université de type “classique” depuis le XVIIe siècle, mais sa modernisation ne s’est faite que dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Victor Karady précise que les universités locales étaient faibles face aux grandes universités occidentales qui attiraient les étudiants ambitieux ou fortunés. «Les universités étrangères ont très longtemps formé les élites d'Europe centrale. C'était le cas de la Hongrie tout au long du XIXe siècle et jusque dans l’entre-deux-guerres pour d'autres pays. Quant à la Serbie, la Bulgarie ou la Roumanie c'est jusqu’à la fin du régime socialiste que les intellectuels - professeurs d’université, de polytechnique, des grandes institutions savantes - devaient avoir une formation à l’étranger pour être pris au sérieux.»

Mais, il note qu’à la fin du XIXe siècle les universités hongroises (il y en avait deux à l’époque) étaient devenues plus ou moins équivalentes aux grandes universités germaniques. Ainsi les demandes pour l’étranger diminuèrent sensiblement, mais demeuraient globalement importantes quand il s’agissait de suivre des formations supérieures qui n’existaient pas en Hongrie.

«Les étudiants se rendaient principalement à l’université de Vienne du fait de sa proximité, mais surtout parce qu’elle était “La grande Université” de l’Empire. De plus, l’allemand était la langue commune à tous ceux qui se destinaient à une fonction universitaire ou intellectuelle. Les étudiants partaient aussi se former en Allemagne, en Suisse et en France.»Mais il faut savoir que la plupart des étudiants qui partaient pour un pays germanique étaient eux-mêmes de souche germanique ou d’une culture proche de celle-ci. «La majorité de la population n’était pas de souche hongroise. Il s’agissait d’Allemands catholiques, de luthériens, et de juifs, venus pour beaucoup au XVIIIe siècle de la Moravie ou de pays tchèques pour lesquels l’allemand était la langue maternelle. Ce sont ces groupes qui ont formé en grande partie l’intelligentsia diplômée.»

L’Histoire va accentuer le phénomène de migration lorsque, après la Première Guerre mondiale, le nouveau régime antisémite, instaure le «numerus clausus» qui limite à 6% le nombre d’étudiants juifs dans les universités. Alors qu’ils représentaient jusqu'alors de 30 à 40% des inscrits dans les différentes facultés, voire plus de 50% à la faculté de médecine, ces jeunes ont pour la plupart quitté définitivement la Hongrie pour les pays germaniques. Après 1933, une nouvelle «réorientation» conduira ces étudiants vers la France, mais aussi vers l’Italie, où la vie était probablement moins chère et où le régime fasciste n’était pas antisémite.

La langue a été et reste encore de nos jours un facteur décisif dans le choix du pays d’études.

Si la Hongrie attire aujourd'hui autant d’étudiants étrangers, outre sa position centrale, la réputation de ses universités et le coût des études, c’est parce qu’elle offre de nombreuses formations en anglais et en allemand. C’est par exemple le cas de l’université de médecine Semmelweis de Budapest qui compte 1300 étudiants étrangers – sur un effectif total de 4800 – venus majoritairement d’Israël et d’Allemagne.

Milena Le Comte Popovic

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