Direction Roma Sátor

Direction Roma Sátor

Image retirée.Rencontre avec Marina Pommier

Programmatrice de la scène tsigane au festival Sziget et manager du groupe Romano Drom, Marina Pommier a élu domicile à Budapest il y a sept ans déjà. Passionnée de musique et de danses hongroises, elle porte sur la Hongrie un regard à la fois enthousiaste et lucide.

Photo: Olivier Teszlák

 

JFB : Depuis combien de temps et comment as-tu commencé à travailler au festival Sziget ?

Marina Pommier : Je travaille au festival depuis la saison 2002, c’est donc cette année ma sixième édition. J’ai commencé à y travailler en créant la tente tsigane en collaboration avec le directeur de la programmation, Jozsef Kardos. On est arrivé à cette idéee car on avait déjà travaillé ensemble en 2001 à l’occasion de la saison culturelle hongroise en France, Magyart, dont il était le curateur pour les musiques du monde et musiques actuelles. J’ai commencé à collaborer avec lui car il cherchait quelqu’un qui parle à la fois français et hongrois d’une part et qui connaisse aussi bien les musiques hongroises, les programmateurs français et la façon dont cela marchait en France. Il m’a donc demandé de l’aider, au départ tout simplement pour passer quelques coups de fils, et à la suite de cela, il m’a demandé si je voulais travailler avec lui. Je n’avais pas du tout prévu cela. En fait j’avais cherché à travailler pour la saison Magyart mais auprès de l’AFAA, ce qui n’avait pas marché car il y avait déjà une Hongroise qui travaillait dessus en France. De plus j’habitais à Bruxelles à l’époque. C’était donc un peu compliqué. Mais j’ai finalement commencé à travailler pour cette saison culturelle pendant trois mois, contrat qui s’est prolongé jusqu’à la fin. Et comme on a aimé travailler ensemble, qu’il avait déjà dans l’idée de créer une tente Tsigane et que c’était un peu ma spécialité, bref, on s’est lancé.

JFB : Pourquoi étais-ce ta spécialité?

M.P. : En fait j’ai commencé à travailler en 1998 avec un groupe qui s’appelait Les Gitans du Rajasthan, à partir de Bruxelles, où je travaillais dans un bureau d’organisation de concerts. Et on avait créé le groupe Romano Drom en 1999. J’avais donc déjà pas mal de contacts avec ce milieu et je connaissais assez bien la musique traditionnelle hongroise puisque j’avais fait mon mémoire de fin d’études sur ce sujet.

JFB : Comment étais-tu liée à la Hongrie ?

M.P. : Et bien très simplement : par amour… C’est pour cela que j’ai appris le Hongrois et que je suis là aujourd’hui.

JFB : Comment l’organisation de la scène Tsigane a-t-elle évoluée depuis sa création ?

M.P. : Au départ, quand on a créé la scène tsigane, c’était la scène « Radio C - Roma Sator ». C’était une collaboration avec radio C, qui faisait la programmation des groupes hongrois, et je gérais la programmation des groupes internationaux, c’est-à-dire entre 12 et 14 groupes la première année, soit la moitié de la programmation. On a travaillé comme ça pendant trois ans puis il y a eu beaucoup de changements de direction à la radio et, alors que la première année cela marchait assez bien, petit à petit c’est devenu plus difficile de travailler avec eux et, depuis trois ans, la tente s’appelle seulement Roma Sátor et j’en fais la programmation complète, c’est-à-dire 28 groupes. Par ailleurs, depuis l’année dernière, on a un partenariat avec le label Putumayo avec lequel on a décidé d’organiser des soirées DJ World Music sur la scène tsigane. Au Sziget il y a beaucoup de scènes “musiques électroniques“, beaucoup de DJs, mais il n’y en avait pas autour de la musique du monde alors qu’il y a un public pour ça. Et c’était le lieu idéal pour le faire. Mais au Sziget je ne fais pas seulement la programmation de la scène tsigane, je m’occupe aussi d'une partie de la coordination avec les groupes francophones, tout simplement parce que c’est souvent plus simple avec quelqu’un qui parle français, ça peut éviter des malentendus. Mais aussi avec les compagnies de danse, de théâtre de rue, qui sont de grosses structures avec beaucoup de discussions techniques. Par exemple, quand on a fait venir le Ballet de Marseille, le Ballet Preljocaj ou d’autres grandes compagnies, en général c’est moi qui fait l’intermédiaire jusqu’au contrat. De plus, le programmateur de la scène théâtre, danse internationale et théâtre de rue, c’est aussi Jozsef Kardos, donc je l’aide aussi là-dessus.

JFB : Quels sont les temps forts de la programmation 2007 ?

M.P. : Chaque année j’essaye d’avoir un programme qui soit le plus varié possible. Depuis deux ans, on a décidé que la scène tsigane ne serait pas seulement un focus sur la musique tsigane, mais aussi sur la musique du monde et la musique traditionnelle d’Europe centrale en règle générale puisque la scène Folk n’existe plus. Or il y a quand même un public pour ça, on a donc eu envie d’une ouverture vers ces musiques… mais pas seulement “traditionnelles“ d’ailleurs : par exemple, cette année, on fait venir un groupe de hip hop tsigane tchèque. Le public qui vient sur cette scène tourne entre la scène World, la scène tsigane et la Scène Afro Latin, donc le fait de l’ouvrir à la musique klezmer ou à d’autres musiques d’Europe de l’Est c’est intéressant. Et c’est important que le Sziget soit aussi un vecteur de présentation des musiques de la région. Je me refuse un peu à programmer des groupes, comme on en trouve en France, qui font de la musique “à la tsigane“ ou “klezmero tsigane“, parce que cela veut tout et rien dire. Il y en aura peut-être un dans toute la programmation, parce que je les aurais vus en concert et qu’ils m’auront bien plu, mais je vais plutôt donner la priorité à des groupes d’Europe Centrale parce qu’ils auront moins l’occasion de jouer en Europe de l’Ouest, et qu’une grande partie du public vient de là. Le but n’est pas de leur proposer des choses qu’ils peuvent voir à Paris. Depuis deux ans, il y a beaucoup plus de groupes de Roumanie, de Serbie, de Macédoine, de Tchéquie, bref, de toute l’Europe centrale et orientale. Cette année, il y a notamment un groupe klezmer de Pologne. Et cela est aussi rendu possible grâce à une collaboration avec l’institut polonais et l’institut tchèque, qui, parmi les instituts d’Europe Centrale, sont des instituts dynamiques et qui nous soutiennent. Quant à l’Europe de l’Ouest, les Hollandais et français soutiennent également la scène tsigane. Ainsi, cette année, l’institut français soutient la venue du groupe Yorgui Loeffler.

JFB : Et quels sont, selon toi, les groupes phares cette année ?

M.P. : Il y en a beaucoup, c’est très diversifié. D’une fanfare du Rajasthan à Amsterdam Klezmer Band en passant par du jazz manouche… car même si ce n’est pas une scène jazz, c’est toujours un gros succès. En jazz manouche, j’essaye toujours de programmer un groupe tsigane et un groupe qui ne l’est pas mais qui joue quand même du jazz manouche ou qui s’en approche. Par exemple, cette année, on est soutenu par l’Adami pour faire venir Lemmy Constantine, le fils d’Eddie Constantine, qui joue un mélange de Franck Sinatra et de jazz manouche. C’est une approche qui pourrait très bien être tsigane car les tsiganes, justement, aiment bien tous ces mélanges. Quant au “groupe phare“, c’est peut-être Esma Redzepova, la plus grande chanteuse tsigane de Macédoine, connue dans le monde entier. Elle est fantastique ! Et, en fin de festival, une fanfare serbe viendra directement du festival Guca pour terminer avec nous sur cette ambiance. Et bien sûr, tous les jours, il y aura des groupes tsiganes hongrois parce que c’est normal qu’ils aient leur place sur la Roma Sátor.

JFB : Outre ton travail au Sziget, tu es également manager du groupe Romano Drom.

M.P. : Oui, c’est à Noël 1998 qu’on a réalisé la première démo du groupe et en mai 99, le 1er CD est sorti en Hongrie. Ils ont commencé leur carrière assez rapidement mais pas en Hongrie, parce que c’est assez difficile de débuter quand tu sors d’un grand groupe (Ando Drom). Ils ont commencé en Belgique et en France, là où j’avais plus de contacts. Et, depuis 2001, on a une maison de disque française : daqui, le label des nuits atypiques de Langon, un festival musique du monde très engagé. Cette année, on vient de sortir le 3e disque chez eux : Po Cheri, qui sortira en Hongrie en septembre, sous notre propre édition.

JFB : Et tu as appris à danser les danses tsiganes je crois ?

M.P. : Oui, mais j’ai commencé par les danses hongroises ! En fait j’ai fait mon mémoire de maîtrise sur les relations entre l’identité nationale et la musique en Hongrie. J’ai donc rencontré des gens qui étaient dans le milieu des Tanzház et, forcément, quand tu rentres dans ce milieu, à moins d’être complètement hermétique, tu as soit envie d’apprendre un instrument, soit d’apprendre à chanter, soit d’apprendre à danser. Moi j’ai eu envie d’apprendre à danser. J’ai fait plusieurs stages, en Transylvanie surtout, mais aussi en Belgique dans un cours de danses hongroises. Mais pour les danses tsiganes je n’ai pas pris de cours, j’ai appris avec eux, en les regardant.

JFB : Tu évoquais la relation entre identité hongroise et le folklore…

M.P. : Ce n’est pas seulement le folklore, c’est la musique. Toute identité nationale se créé sur des bases linguistiques, littéraires et musicales très souvent, tout simplement parce que c’est ce qui va la propager plus facilement. Par exemple, tu ne peux pas séparer la question de l’indenté nationale de l’opéra ou de l’hymne national. Tout est politisé de toute façon, rien que par le fait que la conscience d’une identité nationale s’affirme comme la volonté d’être indépendant vis à vis d’une autre force. Ce sont des valeurs qui ont commencé à naître à la fin du XVIIIe siècle dans toute l’Europe et qu’on a puisé dans les contes, les chansons traditionnelles par exemple… C’était très lié à la langue et aussi, forcément, à la musique. En Hongrie, elle a été magnifiée par de très grands compositeurs comme Bartok et Kodaly et c’est une grande chance qu’ils aient repris des musiques populaires. J’étais fascinée par ce mouvement des Tanzház où toutes les générations sont confondues. Quand tu es novice tu ne perçois pas tout de suite le côté politique de tout ça, tu écoutes la musique, tu la trouves magnifique et elle te donne envie de danser, elle est faite pour cela. Moi qui viens en Hongrie depuis 1991, je trouve que cela a énormément changé depuis quelques années. Au début je ressentais beaucoup moins ce côté nationaliste que depuis 2002, où c’est devenu beaucoup plus fort et agressif. A l’époque, lorsque le mouvement est né, je me souviens très bien de ce que m’avait dit Kis Ferenc, l’un des fondateur de Kolinda, du label etnofon, compositeur, musicien très engagé, qui fait des collectages, etc.… : « Lorsque les Tanzház ont été créés dans les années 70, c’était contre communisme, aujourd’hui c’est contre l’américanisme », ou la mondialisation. Et heureusement, il y a beaucoup de jeunes qui sont en effet d’avantage des “anti-mondialistes“ que des “nationalistes-arpadistes“, si l’on peut se permettre ce néologisme…

Propos recueillis par Judit Zeisler et Frédérique Lemerre

 

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