Une passion : le français

Une passion : le français

Tivadar Palágyi est maître de conférence à l’université Eötvös Loránd de Budapest à la chaire de français. Il y enseigne la littérature française et la sty-listique, et corrige les mémoires de ses étudiants. Son goût pour les langues s’est révélé très tôt, mais c'est le français qui a déterminé sa carrière de professeur et de chercheur.

JFB : Comment a commencé votre apprentissage du français ?

Tivadar Palágyi : Mon parcours linguistique a commencé par l’allemand à l’âge de deux ans grâce à ma grand-mère, puis à mon père car on a longtemps communiqué en allemand à la maison. Ensuite à l'école, à partir de l’âge de dix ans j'ai appris le russe. C'est une langue que j’ai toujours beaucoup aimée et qui m’a fait découvrir les délices des déclinaisons et des conjugaisons avant le latin. Ensuite au lycée, à l’âge de 14 ans, ça a été l’anglais, mais au bout d’un an j’ai voulu me mettre au français parce que tout le monde faisait de l’allemand ou de l’anglais. C’était une espèce d’alternative. J'ai alors étudié en autodidacte le français pour mon plaisir. J’ai pris des manuels, mon père a surveillé ce que je faisais, puis j'ai suivi des cours particuliers.  J'ai même installé des antennes pour capter des émissions radiophoniques sur grandes ondes, comme Alger chaîne 3 ou la radio gabonaise, entre autres. Le français ouvrait ainsi des horizons inconnus grâce à ce seul media qu'on avait dans les années 80 avant les antennes paraboliques. Je me souviens d'un camarade de classe au lycée qui avait passé un an dans une école française à Athènes: on s'amusait à faire une sorte de concours de langue, à se poser des pièges de vocabulaire. Moi je répondais en allemand, lui en français. Ce jeu a aussi été une motivation, car je l’ai entendu prononcer quelques mots de français. J’ai eu envie d’apprendre cette langue. C'était la passion des langues latines. Plus tard, j'en ai fait mon métier. Au fil du temps, je suis aussi allé vers les langues slaves et orientales, j'ai fait du turc et du persan, puis du grec.

JFB : Quels sont vos goûts littéraires ?

T.P. : Ils sont un peu éclectiques. C'est par la littérature du Moyen-Âge que j'ai commencé.  J’étais très porté sur Dante pendant mes années d'études d’italien. Le point de départ de ma première thèse a été d'étudier un phénomène stylistique dans la Divine Comédie. Il s'agissait de montrer comment, peu à peu, deux styles rigoureusement séparés, le style bas et le style haut, se sont rapprochés puis mélangés. Mais très vite j'ai étendu cette étude à la littérature française, et ce jusqu'à Rimbaud. Le fil directeur était ce phénomène stylistique dont j’ai essayé de voir la progression dans le temps. J'ai donc aussi fait des recherches sur la littérature française  du XIXe siècle. Actuellement, je travaille sur la littérature française du Moyen-Âge, sur des textes d’auteurs anonymes essentiellement, des chansons de geste et des chroniques de croisades. J’ai fait aussi une deuxième thèse en littérature comparée franco-turco-byzantine, en France.

JFB : Comment se porte la chaire de français aujourd’hui à Budapest ?

T.P. : On dit que ce département, en tant qu'entité qui enseigne le français, remonte au XVIIIe siècle. Après un accroissement considérable du nombre d’étudiants dans les années 90, aujourd'hui on accueille, suivant les années, entre 50 et 80 étudiants par promotion. C’est donc le département qui reste le plus important en terme d’effectif parmi les chaires de langue romane. A la différence de certains autres départements de langues étrangères d’ELTE, le centre interuniversitaire d'études françaises, on a la chance d’accueillir des étudiants qui arrivent avec des connaissances préalables de français. Les étudiants qui sont inscrits en français en tant que discipline majeure sont censés avoir une connaissance solide de cette langue. Ils doivent être capables de suivre les cours magistraux en français. Or, depuis l’année dernière, nous avons ce qu’on appelle le français en mineur où un effort supplémentaire d’apprentissage de la langue doit être fourni pour une mise à niveau des étudiants.

JFB : Que font ces étudiants à la sortie de l’université ?

T.P. : On est en train de vivre une transformation totale du système. Traditionnellement, nous formions des enseignants pour le lycée. Désormais, les directives du ministère de l’éducation suggèrent de réduire le nombre des futurs enseignants. Parmi ceux qui obtiendront un «master», une petite partie seulement aura un diplôme d’enseignant, la plupart décrochera des maîtrises de lettres qui ne comporteront plus le volet psychologie-pédagogie. Il paraît qu’on aura 1/3 des étudiants par promotion de licence (BA) qui sera financé par l’Etat pour faire un «master». Mais il est difficile de tout prévoir, puisqu’on n’en est qu’à la deuxième année de BA pour l’instant. On forme donc des gens qui vont aussi sans doute trouver un emploi dans une entreprise, ou qui suivront ensuite d’autres études comme l'économie ou le droit. Je pense qu’il est bien de commencer par des études de lettres parce qu’à 30 ans cela peut s’avérer plus difficile pour certains. On n’acquerra plus forcément avec autant de facilité les compétences linguistiques ni le vernis culturel.

JFB : Pouvez-vous nous parler des échanges ERASMUS pour les étudiants ?

T.P. : Les échanges ERASMUS vont bon train. Chaque semestre il y a une dizaine de nos étudiants qui partent vers les universités françaises. Statistiquement, 1/4 de nos effectifs en profitent soit sur une période de 6 mois, soit un an grâce à des bourses. Ils peuvent déposer leurs dossiers de candidature théoriquement dès leur deuxième année d’études, mais la tendance actuelle est de leur accorder ces bourses plutôt en fin de parcours. Nous établissons une liste d’excellence en fonction des résultats, mais les étudiants doivent eux aussi contribuer à financer leur séjour. Du coup, tout le monde ne peut pas se permettre de partir. Il nous arrive aussi d’accueillir dans nos groupes des étudiants qui viennent de France.

JFB : Comment sont organisés les échanges entre les professeurs hongrois et français ?

T.P. : Nos professeurs ont de temps en temps la possibilité de suivre des formations ou encore de donner des cours dans des universités françaises dans le cadre de mobilités ponctuelles financées par l’Europe ou par la France. Il y a ici à ELTE, le CIEF, qui avec son pendant à Paris, le centre interuniversitaire d'études hongroises, organise régulièrement des colloques qui réunissent des Hongrois et des Français. Le CIEF a de multiples missions: proposer des formations à l’adresse des professeurs de français en Hongrie, leur fournir du matériel didactique ou encore faciliter les échanges au niveau de la recherche entre les deux pays. Il y aura d'ailleurs les 2 et 3 juin prochains un colloque sur le plurilinguisme en Europe, organisé à Paris entre autres par le CIEH.

JFB : Quels sont vos travaux  actuels ?

T.P. : A part les interventions pour le colloque susmentionné et pour la conférence Mathias Corvinus qui aura lieu en octobre prochain à Cluj-Kolozsvár en Roumanie, nous finissons, avec le groupe de recherche Homo legens de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, la rédaction d’un volume collectif sur les pratiques de lecture et l’oralité au Moyen-Âge. Un projet hongrois est aussi en chantier : ma collègue du département, Judit Maár, a réuni un groupe de chercheurs issus de notre université pour écrire une histoire de la littérature française en langue hongroise. Je suis chargé de rédiger les chapitres consacrés à la littérature du Moyen-Âge.

 
Propos recueillis par
Milena Le Comte Popovic

Catégorie