Monastique

Monastique

Pour ceux qui rêvaient encore d’un coin de paradis sans Ève, sans pomme à croquer sans tentation originelle, mauvaise nouvelle sous les étoiles. L’Agion Oros, le dernier bastion monastique masculin pur et dur d’Europe vient de tomber comme on trébuche, comme on se prend les pieds dans le tapis… par accident. À la fin du mois de mai, quatre femmes et un homme venus de Moldavie ont remis leur argent et leur vie entre les mains de passeurs ukrainiens pour gagner le port turc de çanakkale d’où ils pourraient illégalement entrer en Europe. Et les voilà on ne sait pourquoi, débarqués en douce sur le Mont Athos, véritable Etat dans l’Etat Grec d’où toute femelle* est bel et bien bannie depuis plus de mille ans. En dehors de cette information qui peut intriguer, assez peu de choses ont filtré dans cette affaire. On sait que ces femmes ont une petite trentaine, qu’elles ne savaient visiblement pas où elles étaient et qu’elles sont passibles d’un an de prison pour ce viol d’Eden. Pourtant, certains journalistes se demandent à mots couverts s’il ne s’agit pas d’un transfert de prostituées potentielles qui aurait lamentablement échoué dans le lieu le plus inconcevable d’Europe pour des Marie-Madeleine. Ainsi et d’une certaine façon, ces quatre pauvres filles auraient donc échappé aux griffes de ceux qui les abusaient. Très officiellement, les moines ont consenti à passer l’éponge sur ce sacrilège, mais personne ne dit si ces femmes vont être renvoyées sans tarder dans leur riant pays. La Moldavie, aux confins de la Roumanie, est souvent citée comme étant un des Etats indépendants les plus pauvres d’Europe et offre tout à fait l’image d’une nation livrée à toutes les corruptions et à tous les trafics. Sauves ? Peut être…ou pas.

 

Pourtant, ce qu’elles viennent de faire bien malgré elles, beaucoup de féministes en rêvaient. Pénétrer en Macédoine l’impénétrable montagne sacrée de la religion orthodoxe dont l’histoire depuis l’Antiquité fut aussi turbulente que romanesque. Résidence de Zeus, pointe du trident de Neptune planté dans la mer Égée, rocher jeté à la face de Poséidon pendant la guerre de l’Olympe contre les Géants, les légendes abondent et viennent nourrir le mythe. Ce qui est certain, c’est que depuis toujours, ce site exceptionnel de beauté et de grâce fut par essence quasi divine le jardin et le refuge de ceux qui cherchaient l’Hésychia ou le Silence et la paix intérieure.

Ainsi, que rêver de mieux pour y fonder un éden monastique parfait? L’Empire byzantin le fait et le dédit à la création, à la conservation et à la restauration des manuscrits enluminés et des icônes.

De grandeur en décadence, de destructions en reconstructions, le Mont Athos a depuis plus de 1000 ans perduré contre vents et marées, contre catholiques et musulmans…. Protégé par la constitution grecque depuis 1926 et bénéficiant d’un statut quasi autonome de république monastique, il compte toujours une myriade d’ermitages, de fermes, de caves troglodytes à flanc de falaise et une vingtaine de grands monastères grecs, russe, bulgare et serbe**.

Mais aujourd’hui d’une certaine façon, l’histoire vient frapper à sa porte et le rappeler à son temps. Bien sûr, ce n’est rien ou presque que cette petite parabole moderne de sirènes de l’Est échouées sur ses rives.

Ces femmes souvent trompées et abusées parce qu’elles veulent partir de chez elles pour un ailleurs qu’elles rêvent forcément meilleur : ne plus survivre et pourquoi pas, s’offrir un peu de ce luxe dont on leur dit «qu’elles le valent bien» elles aussi. Ce sont presque des guerrières d’une autre misère, un genre nouveau d’affamées.

Pourtant on le sait, mais le savent-elles vraiment, ce voyage peut être celui de tous les dangers. Cette affaire du Mont Athos vient nous le rappeler tout ou presque est bien qui finit bien. Les moines dont certains prônent pourtant de façon assez préoccupante le retour à l’orthodoxie radicale, ont officiellement pardonné réaffirmant ainsi avec compassion leur frontière sacrée et l’interdiction pour les femmes d’y pénétrer. Nos sirènes moldaves sont un temps à l’abri des passeurs véreux qui les ont de toute façon, déjà rançonnées. Quatre mille euros par personne c’était de toute façon bien cher payer un improbable ticket d’entrée pour une réalité où très peu ont à y gagner.

Marie-Pia Garnier 

* À l’exception des poules cependant dont le jaune d’œuf est nécessaire à la fabrication de la tempera pour les icônes -

** C’est le monastère d’Hilandar dont on chuchote qu’il aurait abrité les très recherchés criminels de guerre Ratko Mladvic et Radovan Karadzic pendant un temps ou deux.

 

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