I’m not there de Todd Haynes : je est 6 autres

I’m not there de Todd Haynes : je est 6 autres

Le biopic, ou film biographique, a souvent un travers majeur, celui de vouloir démontrer en ligne droite comment son personnage-thème est devenu celui qu’il a été. Pour accomplir ce programme, ne seront sélectionnés dans le biopic que les évènements connus ou compréhensibles par le spectateur. Dans cet exercice régulièrement fastidieux, la performance imitative de l’acteur sera l’étalon de la réussite du film (voir les commentaires sur Piaf et Cotillard). Donc on n’imagine presque pas que cela puisse être autre chose, un film s’inspirant de la vie de quelqu’un.

 

Dans cet I’m not there, anti-biopic, on est averti dès le titre que le soi-disant référent du film, j’ai nommé Bob Dylan, pourrait ne pas y être, dans le film. C’est qu’un parti pris des plus intéressants fonde le film : faire un film sur Dylan sans Dylan. Mais alors qu’est ce qu’il y a dans le film ?

Un petit garçon noir en fugue avec sa guitare, sur laquelle est écrit "Cette machine tue les fascistes" part rendre visite à Woodie Guthrie, père du «protest song» à l’hôpital. Arthur Rimbaud donne une interview où il prodigue des conseils parfois compréhensibles. Un chanteur folk protestataire (Christian Bale) proteste tandis qu’un autre (Cate Blanchett), passant à la guitare électrique, cesse - en apparence - de protester et s’attire ainsi l’ire de son public. Billy the kid (Richard Gere), à la retraite, a l’air bien copain avec les habitants de Riddle, ville du Far West droit sortie du 8 1/2 de Fellini, enfin, un acteur marié à Charlotte Gainsbourg, conciliant plutôt mal célébrité et vie de couple, divorcera.

A partir de ces figures extraites de la constellation Dylan (évènements biographiques, rôles, maîtres) Todd Haynes tresse un film qui, refusant de rester extérieur à son sujet, en manie directement les images et se meut pourtant dans sa poésie propre, au risque de larguer tous ceux qui penseront qu’il s’agit là de reconnaître toutes les références, et se sentiront floués parce qu’ils n’ont pas les clés du film. Il s’agit pourtant de ne pas chercher à - d’abord - comprendre et de voir après s’il reste quelque chose.

La virtuosité cinématographique est là, sans m’as-tu-vu. Si les acteurs sont tous excellents, Cate Blanchett, travestie en homme, rayonne par sa présence-absence. Elle joue, sa féminité au service du rôle, mais elle n’est pas là non plus. La photo, analysée séparément, en dit long sur la finesse du métrage. Le noir et blanc, historique ou abstrait, marque les périodes «protest song» et électrique. L’orangé automnal de la période Billy the Kid, qui dit la fin du monde de «l’Ouest», est en opposition avec le bleu froid du segment sur la vie de couple. Cette photo à dominante bleue n’étant pas elle-même univoque : elle peut renvoyer à la lumière des petits matins sans sommeil du couple, ou à la lumière crue portée sur l’échec d’un amour. Et tout ceci ne se fige pas en un code : la photo de la séquence mentionnée est de temps à autre dominée par des couleurs chaudes. Pas de système. Pour le reste, le langage cinématographique déploie sa poésie, faite de raccords regard liant les différents personnages et époques du film, de travellings fluides et oniriques, de plans fixes, de paysages psychologiques avec tarentule, de champs contre champs sabordés, et on doit en passer… La B.O. vous permettra de découvrir d’excellentes reprises de Dylan, parmi lesquelles I’m not there par Sonic Youth, et One more cup of tea par Roger Mcguinn et Calexico.

A sa maman, anxieuse du sens, qui lui demandait ce qu’il fallait comprendre d’Une saison en enfer, Rimbaud aurait répondu : «j’ai voulu dire ce que ça dit, littéralement et dans tous les sens». On pourrait appliquer cette réponse à I’m not there. La «littéralité» du film, ici, ce serait d’abord ses images, ses couleurs, son montage, sa musique. Avant un quelconque message.

Alexis Courtial

 

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