A l’ombre de la célébrité

A l’ombre de la célébrité

Sámuel Havadtôy

 

Décorateur d’intérieur, galeriste, artiste. Hongrois, Anglais, Américain. Réfugié et revenant. Sam Havadtoy ou Sámuel Havadtôy est tout cela. Il a expérimenté la pauvreté dans les années 60' en Hongrie, aussi bien qu'une vie luxueuse à New York en tant qu’époux de Yoko Ono et ami de stars comme Andy Warhol ou Keith Haring. Il a dédié ces dernières années à établir sa réputation en tant que peintre. Sa nouvelle exposition intitulée Trois empereurs chinois, à la galerie B55, témoigne de ses efforts.

 

 

«Le changement est le seul point constant dans ma vie. Je ne respectais pas beaucoup mon père, qui nous a quittés quand j’étais petit, mais il m’a enseigné que celui qui reste au même endroit pour plus de 7 ans est fou.» Il vit tout de même et de nouveau à Budapest depuis 8 ans, bien qu’il ne soit à la maison qu’en route. «Quand tous mes amis et les membres de ma famille sont partis de Budapest, nous, nous sommes revenus en Hongrie. C'était en été 1956.» Havadtôy, qui est né en Grande-Bretagne de parents hongrois, avait 4 ans à cette époque. Même s’il a pensé pendant longtemps que c’était la faute de son père, qui avait alors réussi à convaincre toute la famille de revenir en Hongrie, sa vie a prouvé que c'était finalement une bonne chose de connaître ses racines. «Grâce à notre retour en Hongrie je n'ai pas été élevé comme un simple enfant anglais: je pouvais devenir une bizarrerie exotique venue du côté Est du rideau de fer.» Après avoir quitté le pays illégalement en 1971, il travaille dans la restauration à Londres. C’est là qu'il fait la connaissance du célèbre antiquaire et décorateur d'intérieur, Stuart Green, qui a également une galerie à New York. Sámuel Havadtôy a commencé à travailler chez lui à New York, et six ans lui ont suffi pour ouvrir sa propre galerie. Cette activité lui a permis de rencontrer Yoko Ono et John Lennon, avec lesquels il a gardé contact. Après l’assassinat de Lennon en 1980 sa relation avec Yoko Ono s’est renforcée, et a déterminé sa vie jusqu’à leur séparation à la fin des années 90'.

«J’ai entendu que Yoko avait un nouveau copain, je voulais le voir, mais je ne savais pas de quel serveur il s'agissait.» Andy Warhol a lui-même raconté un jour comment Havadtôy était entré dans sa vie. Warhol fut en effet l'une des stars de la vie intellectuelle new-yorkaise, qu’il a pu rencontrer à travers Yoko. «Ce n’est pas moi qui ai cherché la lumière des projecteurs, c’était juste une des conséquences de ma relation avec Yoko.» – s’excuse Havadtôy. Quand Keith Haring était déjà malade, Havadtôy a constitué les bases en argile de l’une de ses dernières oeuvres, la série d’autels. Plus tard, Havadtôy a offert une pièce de la série au Musée Ludwig qui l’a présentée récemment lors de l’exposition Keith Haring. «Je ne considère pas comme mes amis la majorité des célébrités de New York. L’amitié signifie autre chose pour moi: pour un ami, on se lève au milieu de la nuit, on l’aide quand il est malade. J’ai très peu d’amis de la sorte, mais ils sont mes amis pour la vie.»

A cette époque il a souvent visité la Hongrie, puis a ouvert la Galerie 56 avec Yoko Ono à Budapest en 1992 pour créer un dialogue entre les artistes hongrois et internationaux. «A cette époque il n’y avait pas du tout de peintures américaines en Hongrie, même si le centre du monde artistique était New York. Il était incroyable que les peintres hongrois ne les connaissent pas. On a commencé à faire des expositions pour cette raison.» Le public hongrois pouvait ainsi découvrir les oeuvres de Cindy Sherman, Robert Mapplethorpe ou Donald Baechler. Initiative appréciée par L’Etat hongrois qui a décoré Sámuel Havadtôy pour son activité interculturelle. Le dialogue était quand même un peu unilatéral: il ne voulait pas exporter les peintres hongrois à l’étranger. «C’était trop compliqué. Le succès d’un artiste ne dépend pas uniquement de son oeuvre, mais aussi de sa personnalité. La première chose que les galeristes demandent à l’étranger c’est qu’ils puissent communiquer avec les artistes. Je pense que l’un des plus grands obstacles à ce que les créateurs hongrois deviennent célèbres, c’est qu’ils ne parlent pas souvent de langue étrangère.» Selon Sámuel Havadtôy, les artistes vivant à la périphérie du monde artistique ne peuvent baser une réputation internationale qu’en bougeant vers le centre. «Brancusi aurait pu demeurer inconnu s’il était resté en Roumanie. Le peintre Lajos Kassák a marché jusqu’à Paris à pied, Vasarely vivait aussi en France, et il serait trop long de les citer tous. Personne ne vient ici pour découvrir de nouveaux talents, les artistes doivent s'activer eux-mêmes.»

Vivant pendant longtemps au centre de ce monde artistique entouré des meilleurs de la profession, il n'a pas eu besoin de faire de tels efforts. Cependant, il n’est pas très fier de ses débuts en tant que peintre. «J’espère que personne ne découvrira les premières peintures que j’ai faites en tant que décorateur d’intérieur. Lors de l’ameublement des appartements il restait toujours une très faible somme pour acheter les peintures. Or, comme je savais ce qu’il manquait comme couleurs et formes, j'ai donc réalisé les toiles moi-même.» Il a commencé à peindre sérieusement en 1986, après que Andy Warhol lui eût montré la technique de la sérigraphie, et il a acheté les matériaux et machines nécessaires pour effectuer les impressions lui-même. Il a commencé à élaborer son propre style se basant sur des mélanges de cultures et profitant de son expérience de décorateur d’intérieur. Il utilisait souvent des objets: les dentelles, dont il couvre ses toiles avant de les peindre, restaient un élément constant de ses oeuvres. « La dentelle est le symbole de la féminité pour moi. Elle est restée pendant longtemps le seul mode d’expression des femmes, sans pourtant être assez valorisée. Par aileurs, elle m’évoque des souvenir de la Hongrie des années 60', quand je la voyais partout dans les appartements. Cela m'a beaucoup manqué quand j’ai vécu aux États-Unis. J’aime bien utiliser la dentelle comme un suaire, pour “fermer” les histoires que j’écris sur les toiles.»

Après 2000 il déménage son atelier en Hongrie, à Szentendre. «Je voyage beaucoup pour pouvoir suivre les tendances et rester en mouvement. Le lieu où l'on installe son atelier est donc indifférent. Je vais souvent à Londres, à Paris, en Italie et bien sûr à New York, quatre fois par an. Quand je regarde des galeries new-yorkaises pendant une semaine cela m’enseigne plus que cinq ans à l’université.» Bien qu’il ne doive pas se battre pour établir sa réputation, il semble ne pas se rendre compte que sa vie si particulière et ses relations précèdent la renommée de ses peintures. Or il était très surpris, lors de son dernier retour à Budapest, de découvrir dans l’avion que sa nouvelle exposition Trois empereurs chinois avait été choisie en tant qu’exposition du mois dans un magazine. «Le message de l’exposition est de ne pas cacher notre passé, de même que les empereurs chinois étaient les gardiens des traditions de leur pays. Moi non plus je ne peux pas nier mon passé, il fait partie de ma vie. Une fois, un collectionneur américain m’a rendu visite à Szentendre, et il voulait acheter une peinture que j’avais reçue d’un ami. Bien sûr je ne voulais pas la vendre. Mais il m’a dit „regarde ce qui est écrit sur la toile: Ne regrette rien”. Il n’y avait pas d’excuse, je lui ai donné la toile.»

Judit Zeisler

 

Sam Havadtoy: Trois empereurs chinois

Jusqu’au 9 décembre

Galerie Contemporaine B55

2-4 Balaton utca 5e arrt.

 

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