Couvre-feu dans le VIe ?

Couvre-feu dans le VIe ?

Fermeture des cafés et restaurants après 22h

Le conseil municipal du VIe arrondissement de Budapest a décidé de réduire les horaires d'ouverture de certains magasins et lieux dits de divertissements. Dès le mois de septembre, les établissements déclarés nuisibles, c'est-à-dire qui ont déjà connus des plaintes par le passé, devaient fermer leurs portes à 22:00. Une décision repoussée jusqu’à nouvel ordre devant l’afflux des protestations.

 «On interdit la vie à Budapest», titrait récemment le site d'information index. En effet, Terézváros est reconnue pour être le quartier où l'on s'amuse, avec le plus grand nombre de théâtres, de musées, de galeries, de cafés et de restaurants par habitant. Sans oublier le célèbre Pesti Brodway et bien sûr l'Opéra national. La nouvelle réglementation que souhaitait introduire la municipalité à partir de septembre – et qui s’avère être reportée à une date ultérieure encore non précisée – porte donc un sérieux coup à la vie culturelle et sociale des habitants et des touristes de Budapest. Depuis 2007, il n'était déjà plus possible pour les Night Shops de vendre de l'alcool après 22:00. La nouvelle mesure concerne désormais tous les établissements dits de divertissements, avec toutefois quelques nuances dans l'application de cette réglementation. Ainsi, les établissements n'ayant pas été dénoncés pour nuisance l'année précédent l'entrée en vigueur de cette mesure ne seront pas tenus de fermer leurs portes. Leur terrasse restera ouverte jusqu'à minuit et ils ne fermeront qu'à 01:00. En revanche, si une ou plusieurs plaintes ont été déposées contre un établissement, celui-ci devra recueillir l'accord de 50% des habitants de l'immeuble où il se trouve pour pouvoir rester ouvert au-delà de 22:00 et, dans le cas où les plaintes déposées ont donné lieu à des poursuites judiciaires, l'accord des 2/3 des habitants sera alors exigé pour maintenir l'ouverture jusqu'à 01:00. En outre, l'isolation acoustique de chaque local devra être validée par un professionnel.

Le VIe arrt. compte quelques 2500 boutiques, bars, cafés, restaurants et autres lieux de divertissements, dont 200 sont nocturnes, parmi lesquelles 1/4 est problématique, soit une cinquantaine d'établissements. C'est toute la ville qui vient s'amuser dans ce quartier, sans compter les nombreux touristes qui ne manquent pas de transiter ou de s'attarder dans cette partie de la ville, sans avoir toujours en tête les frontières exactes de Terézváros. Le cas de la rue Király est intéressant à cet égard puisqu'un côté de la rue se trouve dans le VIe arrt – et les établissements qui s'y trouvent seront donc tenus de se plier à cette nouvelle réglementation – et l'autre dans le VIIe, dont la municipalité n'a pas (encore) adopté de telles mesures contraignantes. Mais ce n’est peut-être qu’une question de temps, comme le souligne Christophe Urbain, co-propriétaire du bar Ellátó: «Le flot de fêtards du VIe, le plus important, va se deverser naturellement vers le VIIe, ce qui signifie: nuisances sonores accrues pour les habitants, qui auront tôt fait de d’envoyer une marée de courriers incendiaires aux représentants du VIIe. Si la decision du VIe est maintenue, ils n’hesiteront pas a en prendre la mesure, voire à faire du zèle... et ce sera une trainée de poudre vers les autres arrondissements».

Les problèmes les plus fréquemment évoqués par les habitants sont les nuisances sonores nocturnes, la saleté et le manque de poubelles dans certains immeubles, où se trouvent notamment des restaurants. Si ces deux derniers aspects relèvent manifestement d'un souci de gestion, les nuisances sonores devraient quant à elles être gérées par l’intervention de la police, a déclaré le seul élu municipal, membre du parti nationaliste Jobbik, a avoir rejeté cette mesure votée presque à l'unanimité. Car si l'on vient de toute la ville s'amuser dans ce quartier, seuls ses résidents y votent et les élections municipales, prévues en 2010, approchent. Certains voit donc dans cette mesure un des premiers effets pré-électoral.

Pourtant les activités de ces établissements génèrent d'importants bénéfices et donc des revenus substantiels pour la mairie. Le site index mentionne que certains restaurants payent ainsi plus d'un million de HUF de charges par an. 88% de l'activité économique du VIe arrt. relève du secteur tertiaire et des voix s'élèvent déjà pour dénoncer un entrave à la liberté d'entreprendre. En outre, il est à craindre que certains patrons de bars ou restaurants malveillants cherchent à mobiliser les habitants et voisins de leurs concurrents pour réduire l'activité de ces derniers.

Mais au delà de ces aspects, certains s’interroge sur la légalité d’une telle réglementation. En effet, trois types de droits fondamentaux semblent ici se chevaucher: celui des résidents, celui des propriétaires de commerces et celui des consommateurs. Il existe un réel vide juridique à ce propos puisque si la constitution reconnaît le droit à un environnement sain, elle ne défini nullement le droit à une vie calme, réclamé par les habitants, ni celui à une vie culturelle et sociale pratiquée dignement et dans le respect d'autrui. Une organisation civile a d'ores et déjà adressé une requête dans ce sens à la cour constitutionnelle.

Comme le rappelle Christophe Urbain, «une expérience de fermeture avancée des débits de boissons alcoolisées a été faite en Angleterre et Irlande, et nous savons ce que ça a donné: les jeunes se saoûlent au plus vite et continuent de faire la fête et du bruit dans la rue...» Par le passé, les IXe et IIIe arrondissements de Budapest avaient déjà tenté de prendre des mesures similaires mais, dans le IIIe arrt., une fois mis en oeuvre, les nouveaux règlements avaient été considérablement “allégés”. Qu'en sera-t-il à Terézváros?

Frédérique Lemerre

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