Sucré-salé

Sucré-salé

Nouvelle victime de la mondialisation: la filière sucrière hongroise

Le dernier bastion de l’industrie sucrière hongroise, l’usine de Kaposvár, reste seul face aux forces qui déciment les raffineries de sucre en Hongrie depuis le changement de régime. Ces sites, autrefois florissants, entourés de cités et de centres sportifs, et évoquant le rêve socialiste, sont désormais destinés à devenir de nouveaux centres commerciaux. Depuis 1991, onze usines sont tombées dans la bataille contre la concurrence étrangère et la réforme agricole de l’Union Européenne. Pour consolider leurs marchés nationaux, les investisseurs étrangers ont quitté la Hongrie depuis 2001, laissant derrière eux des centaines de chômeurs et des bâtiments désertés.

Au début du XXe siècle, en Hongrie, 31 sucreries constituaient le centre de la production de sucre de toute l’Europe de l’Est. Après la Seconde Guerre Mondiale, 12 d’entre elles ont encore servi fidèlement le régime socialiste durant presque quatre décennies. A la suite d’une première vague de privatisation, trois grands groupes – l’autrichien Agrana, le français Eridania Béghin-Say et le franco-anglais Eastern Sugar – ont acquis la quasi-totalité de la production hongroise de sucre dès 1997. La proximité des champs de betteraves et le faible coût de la main-d’œuvre ont attiré les plus grands industriels de la filière en Hongrie jusqu’en 2001, date à la-quelle les premiers symptômes de la maladie latente du secteur sucrier hongrois sont apparus avec la fermeture des usines d’Ercsi et Ács.

Les industriels du secteur reprochent ces fermetures aux réformes agricoles de l’Union Européenne. Depuis la fin des années 1990, l’OMC pousse la Commission à ouvrir ses marchés au sucre de canne, dont le prix est presque de 30% inférieur au sucre de betterave. En pratique, l’UE a établi des quotas par pays, condamnant ainsi à mort l’industrie sucrière hongroise, entièrement détenue par des entreprises étrangères. En réponse aux réformes, Béghin-Say a vendu sa part à l’allemand Nordzucker en 2002, alors même qu’Agrana et Saint Louis Sucre (l’ancien copropriétaire d’Eastern Sugar) étaient rachetés par Südzucker. En 2004, la totalité de la filière sucrière hongroise était entre les mains des investisseurs allemands qui, à leurs tours, ont fermé leurs nouvelles acquisitions en échange de rétributions généreuses de la part de l’UE.

Les conséquences sont désastreuses: des villes, dont l’essence même était l’industrie sucrière depuis près de deux siècles, ont perdu la majorité de leurs revenus, condamnant au chômage des centaines de personnes. De nouveaux centres commerciaux remplaceront une partie de ces pertes, mais rien ne remplacera le goût si doux du chocolat de Szerencs…

Bien que la filière sucrière hongroise a toujours été rentable, on assiste aujourd’hui aux dernières heures de ce secteur gravement malade depuis deux décennies. C’est ainsi que prend fin l’histoire du rêve socialiste des raffineries de sucre en Hongrie, achevées par les forces du capitalisme, définies loin de Szerencs, de Kaba, ou de Szolnok.

Kinga Néder

Chronologie des fermetures de sucreries en Hongrie depuis 1991 :

Selyp (1991), Mezôhegyes (1997), Sarkad (1998), Sárvár (1999), Ács (2001), Ercsi (2001), Hatvan (2004), Szolnok (2006), Kaba (2007), Petôháza (2007), Szerencs (2008).

Catégorie