Une matinée dans la ville basse

Une matinée dans la ville basse

Les tribulations d’une Hongroise à Bruxelles

La «chapelle des marais» - c’est à peu près la signification de l’origine du mot «Bruxelles». J’habite la commune de Woluwe-Saint-Pierre, dont les étangs sont filtrés et drainés constamment et dont les parcs sont d’une beauté exquise, on dirait des cartes postales... mais ne vous couchez surtout pas sur l’herbe si vous ne voulez pas devoir rentrer immédiatement vous changer car la terre est une éponge gorgée d’eau et le gazon y est par ailleurs couvert de fientes d’oie. Ici, les renards parcourent les rues la nuit (résultat du travail bénéfique des Verts). Le matin en revanche, les rues se remplissent d’hommes et de femmes de toutes origines, Allemands, Lithuaniens, Italiens, Espagnols, Japonais, Togolais, Brésiliens, Finnois et Belges bien sûr, qui vont rejoindre leurs bureaux dans d’autres communes comme Etterbeek, Molenbeek, Schaerbeek ou Bruxelles Ville.

Cela fait des siècles que les Belges – même si on ne les a pas toujours appelé ainsi – se donnent rendez-vous ici, à Bruxelles, dans la chapelle des marais, la «Moszkva tér» des mondes latins et germaniques.

Bruxelles est vallonnée, ce qui ne facilite pas la vie du cycliste. Ceux qui se déplacent sans voiture sont maso, pas de doute. Quant à moi, je gagne le centre-ville en 10 minutes grâce aux autoroutes et tunnels urbains où je suis parfois saisie par une envie de rallye à grands frissons.

On peut diviser cette ville en deux grandes parties: ville haute et ville basse. Pour obtenir la meilleure vue panoramique sur la ville, l’idéal est de se balader près de la masse impressionnante du Palais de Justice. C’est d’ici que la différence de hauteur est la plus évidente. Un ascenseur en verre lie le quartier des Marolles, quartier populeux et jadis repaire de brigands, au bâtiment de la loi.

Le choix de l’emplacement de ce palais surplombant les Marolles n’est pas dû au hasard. On arrive vite du ciel à l’enfer ou inversement…

Aujourd’hui on se promène tranquillement dans le «marais» des Marolles, de jour, lors du marché aux puces matinal sur la Place du Jeu de Balle, comme de nuit, à l’occasion d’un spectacle de théâtre alternatif, le soir, derrière des façades couvertes de graffitis où seuls les initiés s’aventurent.

Au marché, on entend des cris : « UNEURO! UNEURO!». Ça vaut la peine d’aller voir les marchandises en question car, depuis l’arrivée de l’euro, on ne trouve plus grand chose pour moins d’un euro. La plupart des marchands étalent tous leurs objets sur une grande toile à même les pavés. Il y a peu de meubles, plutôt des «brols», des bouquins, des fringues humides (oui, des marais!!), des statuettes, des masques africains, des bijoux. Si on a la chance d’avoir une maison à Bruxelles on trouvera même des «clinches» (poignées de portes), des charnières art nouveau ou autre quincaillerie indispensable à la rénovation. Quant aux marchands, ce sont le plus souvent des gens issus de l’immigration, venant d’Afrique et quasi exclusivement des hommes. Leurs femmes – s’ils en ont – ne quitteraient jamais la maison en tenue de jogging.

Je sors un livre de la pile de monsieur UNEURO: «Il libro della jungla», un album de Disney, une édition italienne avec plein d’images. C’est un livre avec de véritables reproductions des images du film, et non une compilation des dessins de style Disney d’un illustrateur plus ou moins doué. Depuis les éditions pirates des années 1970 en Hongrie, je n’avais rien vu de tel. Je ne sais pas si les Italiens ont payé les droit d’auteur mais de toutes façon ça n’a pas d’importance, le vendeur n’a aucune idée de la valeur de cette marchandise: la bonne affaire ! UNEURO pour le joli livre.

Le marchand de masques est un sympathique homme noir. Mon fils Félix boude un peu, éloigné du stand, mais l’homme lui parle gentiment, faisant preuve de grandeur d’âme. Il ne sait probablement pas où se trouve la Hongrie mais il sait que, depuis Picasso, il vaut mieux ne pas brader ses masques. Résultat: en tant que Hongroise sans emploi je décide d’attendre. Il se pourrait que mon mari parte encore une fois en voyage d’affaire en Afrique…

Oscar regarde des matchbox puis il décide de sortir un gigantesque cimeterre de son fourreau. Le vieil arabe le gronde, lui expliquant que c’est dangereux. En effet, le sabre en question est aussi grand que mon petit Oscar. Je ne me souviens pas avoir jamais vu une telle arme, si ce n’est peut-être dans un film de mon enfance relatant l’assaut du château d’Eger par l’armée turque.

Puis c’est l’heure de «dîner», c’est-à-dire de déjeuner! On mange très bien à Bruxelles, et en général en Belgique. Selon ma belle-mère – dont l’avis est sans doute subjectif puisqu’elle est belge – on peut manger très bien au petit bonheur la chance partout en Belgique et bien mieux qu’en France! Les restos des Marolles le confirment. Sur notre commande figure un ragoût de poulet, que même les belges francophones appellent par son nom flamand: le «Waterzooi» (l’eau qui bout). On le sert avec des légumes délicieux et la pomme de terre en fait un repas copieux. La «patate» constitue la base de la cuisine belge, la cuisine qui inventa les fameuses pommes-frites!

Dehors le ciel se couvre – une autre spécialité belge – c’est l’heure de se noyer dans la Bruxelles des chocolats chauds et des gaufres, mais cette fois nous rentrons à la maison. Un quart d’heure de route et nous sommes de nouveau entourés par l’univers familier de notre petit quartier de logements sociaux. Oscar joue avec Emmanuel, son copain belgo-coréen, Félix dessine et dessine encore... que peut faire d’autre un enfant gagné par l’amour du dessin dans le pays de Tintin?

Epilogue

Bruxelles «intra-muros», 17:00: un 4x4 ralentit devant une dame de petite vertu enveloppée au coin de la place Sainte Catherine pendant que les artistes des Marolles déguisent un DJ en ours. Bruxelles, «extra-muros» 17:00: pour une campagne contre la traite des femmes, des aristocrates à la beauté évanescente organisent une réception au champagne.

Dehors des mamans et des babysitteurs colombiennes, équatoriennes ou portugaises se dépêchent de récupérer les bambins dans les institutions où ils ont passé de 9 à 10 heures depuis le matin.

Le ciel n’est plus couvert, il s’ouvre: C’est la «drache» nationale!

Csilla Kabai

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