Kertész : la polémique

Kertész : la polémique

Les récentes déclarations d'Imre Kertész, écrivain hongrois et prix Nobel de littérature en 2002, qui critique ouvertement son pays, ne sont pas du goût de nombreux Hongrois. La polémique enfle.

Un article paru dans Die Welt le 9 novembre, à l’occasion du 80e anniversaire d’Imre Kertész, a déclenché une nouvelle polémique autour de l’écrivain hongrois. Dans son entretien avec Tilman Krause, il a déclaré que, selon lui, la capitale hongroise était complètement «balkanisée», un qualificatif particulièrement péjoratif aux yeux des Hongrois. Il a ajouté que la situation en Hongrie s’était détériorée au cours des dix dernières années et qu’aujourd’hui on n’entendait que la voix de l’extrême-droite et des antisémites. En revanche, à Berlin où il s’y est installé il y a huit ans, l’auteur se sent respecté. Il a comparé Berlin à un sauna ou tout le monde peut se sentir bien et faire ce qu'il veut. Kertész a souligné que la Hongrie ne fait pas face à certains sujets tels que le fascisme, le socialisme ou le rôle du pays dans la Seconde Guerre Mondiale mais qu’elle cherche au contraire à dissimuler la vérité. Il a noté en outre que les «passions destructrices» des hongrois, en particulier le mensonge et une certaine inclination à l'immobilisme, sont plus fortes que jamais.

Les déclarations de l’auteur ajoutées au fait que MTI a mal traduit certaines de ces phrases controversées ont donné un nouvel élan aux critiques contre Kertész. Elles soulignent par exemple que, alors que l’écrivain a refusé de se dire «Budapestois» dans cette interview, il a tout même accepté le titre de «citoyen honoraire» de Budapest en 2002 et qu'à cette occasion il avait déclaré tout devoir à Budapest. D’autres, comme l’historien Csaba Kiss Gy., a souligné que l’entretien avait justement le but de faire réagir l'opinion et qu'il est lui-même de l'avis de Kertész. László L. Simon, le secrétaire de l’Alliance des Ecrivains, a déclaré que, bien qu’il comprenne que Kertész se sente sans pays, il ne devrait tout de même pas sans cesse critiquer la Hongrie dans ses interviews. Selon Endre Balogh, le président du Cercle Attila József, les déclarations de Kertész ne sont pas surprenantes connaissant son œuvre littéraire et son style. Magyar Hírlap a aussi interviewé Zsolt Wertán (KDNP), selon lequel les déclarations de Kertész sont particulièrement néfastes pour le pays car elles proposent une image fausse de la direction de la capitale.

Quant à Kertész, il rejette les accusations selon lesquelles il aurait renié ses origines. Dans un entretien accordé a Duna TV, il s’est défendu en disant que le public hongrois interprètait ses critiques comme des déclarations antipatriotiques alors même qu'il souhaiterait sincèrement servir son pays, sans pour cela faire l'économie de critiques constructives. Il a affirmé qu’il considère bien sur la Hongrie comme son pays, qu’il reste citoyen hongrois, qu’il écrit en hongrois et qu’il rentre en Hongrie régulièrement. C’est précisément l’expérience de sa dernière visite avant l’entretien qui l'a conduit à faire ces déclarations. Il est vrai par ailleurs qu’il puise ses sujets de l’incompréhension de la société hongroise et que c'est son style noir et satyrique, hérité de son expérience de juif hongrois au XXe siècle, qui l'a distingué parmi les auteurs traitant de l'Holocauste. L’ambivalence de sa relation avec son pays natal vient du fait qu’il n'a sans doute jamais été réellement compris dans son propre pays. Dans Die Welt, en réaction aux divers propos tenus à son égard suite à sa première interview, Kertész a souligné que «les gardiens de l’héritage national hongrois n'ont aucun sens d’humour» et ne comprennent pas son ironie car ils ne lisent pas Thomas Mann ou Karl Kraus. S'il est vrai que l’auteur ne se censure pas et que cela n'offre certainement pas une bonne image de la Hongrie à l’étranger, ses critiques – tout comme ces livres – prêtent à réfléchir. En outre, Kertész n'est pas le seul auteur à avoir choisi Berlin comme nouvelle patrie intellectuelle. Marie Ndiaye, l’auteur de Trois femmes puissantes, pour lequel elle a reçu le prix Goncourt en novembre, vit à Berlin depuis deux ans et demi puisqu’elle trouve la France actuelle «horrible». Ces déclarations provoquent, tout comme celles de Kertész, des opinions partagées à la tête de l'Etat français et dans l’opinion publique.

Kinga Neder

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