Défier la mort

Défier la mort

Échos de la francophonie

La chronique de Dénes Baracs

Défier la mort, un rêve vieux comme l’humanité. Car s’il est vrai que la résurrection nous est promise par les différentes religions, le délai d’attente après notre disparition, tout comme les détails de l’événement sont incertains.

Si je parle ici de transcendance c’est parce que, ces dernières semaines, j’ai assisté à plusieurs défis envers la mort, anecdotiques ou historiques. Commençons par les premiers. J’ai la chance de connaître Yvon Toussaint, cet excellent collègue belge à Paris. Eh bien, je viens d’apprendre qu’il a écrit un livre fascinant sur la mort… d’Yvon Toussaint…

Rassurez-vous: quoique ce grand reporter soit évidemment à la recherche d’un vrai coup médiatique, cette ambition ne l’a pas mené jusqu’à revenir de l’au-delà. C’est en tapant son propre nom sur Google qu’il a appris qu’Yvon Toussaint était mort il y a neuf ans. La mort de cet homonyme fut d’ailleurs violente puisqu’il s’agissait d’un sénateur haïtien qui avait lutté contre le narcotrafic, ce qui lui valut une balle dans la tête. C’est donc ce qui a incité Yvon Toussaint, mon collègue, de voyager en Haïti et d’enquêter sur la mort d’Yvon Toussaint, le sénateur mort. Roman de reportage qui ne résout pas le mystère de cet assassinat mais qui nous décrit le Haïti d’avant le drame du grand tremblement de terre de ce janvier qui a tué, rappelons-le, entre 200.000 et 300.000 personnes.

La publication de cet ouvrage était envisagée pour janvier mais elle fût reportée à cause du tremblement qui a suspendu tout ce qui était mené depuis quelques années pour relever ce pays de sa misère historique – entre autres la lutte menée par Yvon Toussaint, le sénateur aujourd’hui mort et immortalisé par Yvon Toussaint, le journaliste (qui pour ses 75 ans est heureusement bien actif et vivant).

L’auteur de l’autre pied-de-nez à la mort n’est autre que l’écrivain Olivier Rolin qui vient lui aussi revenir sain et sauf – je l’ai vu radieux dans une émission littéraire – de son rendez-vous provocateur avec le grand macabre. Il y six ans, il avait déjà écrit un roman sur sa propre mort Suite à l’hôtel Crystal. Il mettait en scène le suicide de son narrateur homonyme, un jour de l’année 2009 dans une chambre de l’hôtel Apchéron, à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan. Sur la couverture de l’ouvrage: «Olivier Rolin (Boulogne-Billancourt, 1947 – Bakou, 2009)». Mais vu qu’à l’approche de la date fatidique, force était de constater qu’il était encore bien vivant, il décida de se rendre à Bakou et d’y demeurer «assez longtemps pour laisser à la fiction de ma mort sur les bords de la Caspienne une chance raisonnable de se réaliser». Voilà la force de la vocation littéraire: défier la mort pour trouver un prétexte d’écrire sur sa vie.

Alors que ces deux livres n’étaient que des défis littéraires à la mort, avec la disparition de Jean Ferrat à l’âge de 79 ans, je me dois de parler d’une vie arrachée à la mort. En effet, ce grand chanteur et poète aurait pu disparaître avec son père juif, venu de Russie et devenu Français avant d’être déporté à Auschwitz durant l’occupation nazie. Mais lui – Jean Tennenbaum de son vrai nom, 11 ans à l’époque – fût sauvé par les résistants communistes. Cet événement le marqua à jamais. Il pris ensuite le nom de Ferrat, devint l’un des chantres de la liberté, une grande figure de la création musicale et artistique, un auteur-compositeur à la voix grave et de velours.

Il a chanté sa France, qui pour lui signifiait Picasso et Éluard, les pauvres et les travailleurs, les camarades, il a chanté la montagne et la forêt, il a mis en musique les poèmes de Louis Aragon. Et, fasciné par la beauté du petit village Antraigues dans l’Ardèche, il y a vécu presque reclus depuis des décennies, évitant les grandes chaînes de télévision commerciales, mais soulevant toujours sa voix pour la défense des grandes causes. Il était l’un des derniers grands Mohicans de la chanson “engagée”, des hommes que les Français apprécient même quand ils ne partagent pas toutes leurs opinions: parmi eux Jacques Brel, dont la passion était sans limites ou Léo Ferré, le poète anarchiste. Pour son enterrement, des milliers d’admirateurs se sont rassemblés sur la place principale d’Antraigues et ont entonné l’une de ses chansons immortelles C’est beau la vie. Qui dit qu’il est mort?

Après l’immortalité, voilà les immortels. Les 40 vénérables membres de l’Académie française, fondée en 1635 pour sauvegarder la langue et la culture française, sont tous élus par leurs pairs, nul membre ne peut démissionner de cette fonction qu’il doit remplir jusqu’au bout. Selon certains, c’est pour cette raison qu’on les appelle immortels, mais en fait les académiciens doivent ce surnom à la devise «À l’immortalité», qui figure sur le sceau donné à l’Académie par son fondateur, le cardinal Richelieu. Deux explications qui prennent tout leur poids lorsqu’il s’agit de la sixième femme qui fût admise par ses pairs. Avec Simone Veil, y entra une survivante juive française du camp d’extermination nazie d’Auschwitz (d’où le père de Jean Ferrat ne revint jamais). Depuis cette “résurrection”, une carrière exemplaire. Une “femme d’état” qui – ministre de la santé pendant 5 ans – a mené au succès l’une des réformes les plus importantes de l’après-guerre, celle de l’IVG, une libération pour beaucoup de femmes. Le parcours de Simone Veil, mère de trois enfants, première présidente du Parlement européen, prouve en outre que le fait d’être la source de la vie ne prive pas nécessairement une femme de la possibilité d’être aussi une source du progrès de la société.

Personne ne peut effacer la mort naturelle qui est indissociable de la vie, mais la volonté de la défier restera toujours en nous. Finissons donc cette petite chronique “mortelle” par la fameuse devise: A l’immortalité! Quel défi!

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