Les journalistes et le président

Les journalistes et le président

Échos de la francophonie

Les chroniques de Dénes Baracs

 En suivant l’autre jour la longue interview présidentielle transmise en direct de l’Élysée, je ne pouvais m’empêcher de convoquer des souvenirs similaires. Il toujours fascinant et équivoque, cet éternel dialogue entre l’homme politique et les médias. Ils ont des intérêts communs et contradictoires à la fois. L’un a besoin de l’autre. Sans la presse, le politicien est muet, sans le politicien, la presse perd sa fonction. Pourtant, le premier veut faire passer son message dans la forme qu’il considère la plus utile pour atteindre ses buts immédiats, tandis que le journaliste digne de ce nom veut décoder le texte, révéler ses contradictions, exposer ses éventuelles inexactitudes, voire ses intentions cachées. C’est un exercice délicat pour l’un comme pour l’autre: comment rester authentique?

La première conférence de presse présidentielle à laquelle j’assistais en qualité d’envoyé spécial (débutant), fût celle tenue par le général de Gaulle en personne dans la grande salle d’apparat de l’Élysée. Je garde encore en mémoire l’impression que m’a faite ce grand théâtre de la politique et de la communication. C’était en plus une occasion historique, le général annonçait le départ de la France de l’OTAN – qui resta malgré tout membre de l’Alliance Atlantique (le traité politique dont l’OTAN est issu).

C’était une bombe politique de premier ordre et tous les membres du gouvernement assistèrent à sa mise à feu. En bons élèves, ils avaient pris place au premier rang, devant le podium présidentiel où trônait le général. Consternation, agitation et une pluie de questions. Le grand homme restait de marbre. Il attendit patiemment que mes collègues épuisent leurs dernières interrogations puis il leur répondit par un long discours minutieusement élaboré.

Nous, journalistes, n’étions que des figurants: le public international censé souligner par son attention l’importance du moment. Le général, lui, parlait directement à la caméra, donc aux téléspectateurs, sa vrai cible.

A cette époque, il n’existait qu’une seule chaîne de télévision, gérée par l’état: pas de concurrence et donc un succès garanti. Mais l’essentiel, au-delà de la forme, c’est toujours le poids, le sens du mot “présidentiel”. Et il faut utiliser avec parcimonie les possibilités que le pouvoir offre. Même si la tradition des grandes messes présidentielles subsiste jusqu’à nos jours, son effet – surtout aux yeux de la presse étrangère – s’est estompé. Le grand quotidien américain publié à Paris, le Herald Tribune, a ainsi complètement ignoré la longue et non moins grandiose conférence de presse élyséenne de l’un des successeurs du général. Toute la presse française a noté cet “oubli” – que le directeur du quotidien a justifié en affirmant qu’il n’a simplement rien trouvé dans les propos présidentiels (2 longues heures de discours) qui aurait mérité d’être publié.

De nos jours, caractérisés par la multitude des médias et des moyens de télécommunication et d’observation, mais également par la réalité de l’Internet, la relation des politiciens et des médias a bien changé. Pourtant l’Élysée a encore maintenu ses prérogatives. Peu de présidents peuvent se permettre de convoquer à leur résidence officielle, comme l’a fait Nicolas Sarkozy, les journalistes les plus connus des trois chaînes principales de son pays pour qu’ils l’interviewent et pour retransmettre l’émission en direct dans son intégralité. Mais nous étions les témoins d’une réalité médiatique bien différente de celle d’antan – une relation complexe dans une situation politique difficile.

Bien sûr, l’essentiel de la perte de popularité du président était la conséquence inévitable de la crise économique. Mais il voulut également démontrer que la partie de l’opinion publique qui se détourne de lui depuis son élection, est sommairement ou unilatéralement informée. Le public était donc convoqué à une confrontation parfois spectaculaire et 12 millions de téléspectateurs (45 % du total) étaient ainsi témoins de cet inversement des rôles. De temps en temps, c’était le président qui prenait l’initiative, en posant des questions musclées aux journalistes qui l’avaient par ailleurs incommodé et en les contraignant de lui répondre. A la fin, il a pointé le doigt vers l’un d’eux, en disant: «Nul n’est indispensable dans votre métier, pas plus que dans le mien».

Une partie de la presse française s’en indigna, alors que la majorité n’en faisait pas grand cas – même le journaliste ainsi bousculé a-t-il déclaré ultérieurement que, en fin de compte, il avait trouvé cet entretien “plaisant”. Il est vrai que lors d’une précédente interview similaire, ses confrères l’avait accusé d’avoir été trop complaisant envers le chef de l'État. Il se trouve que, de nos jours, la polémique devient elle-même un moyen de communication, un élément important du mécanisme médiatique. Pour le politicien, c’est un outil pour faire passer son message, et pour le journaliste, un moyen de défendre sa réputation. Des ingrédients qui animent un peu plus le grand spectacle commun de la politique et de l’information.

 

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