Premier Novembre : le Requiem de Jean Gilles (1704) en l’église Saint Michel de Budapest

Premier Novembre : le Requiem de Jean Gilles (1704) en l’église Saint Michel de Budapest

Requiem

En ce jour de la Toussaint, l’occasion nous est donnée d’entendre un peu partout des Requiem ou Messes des Morts. Cette année, Budapest n’était pas en reste avec la programmation de trois Requiem inédits, de Jean Gilles (église St Michel) ou encore de Michael Haydn et de Salieri (Palais des Arts), sans compter Mozart et Gabriel Fauré programmés le lendemain. Ne pouvant assister à tous, notre choix s’est porté sur la Messe des Morts que le Français Jean Gilles composa en 1704. Tout d’abord s’agissant d’un compatriote et surtout d’une œuvre, contrairement aux deux autres, jusqu’ici jamais entendue.

Les interprètes : l’ensemble de Musique baroque Savaria et la Chorale Capella Du Mont placés sous la baguette de Pál Németh avec en solistes Nóra Ducza, soprane, Eszter Balogh, mezzo-soprane, Zoltán Megyesi, ténor, Lóránt Najbauer, baryton et László Jekl, basse.

Ce que l’on sait de l’œuvre : donnée pour la première fois en février 1706 lors des funérailles du compositeur, ie Requiem fur repris en 1764 à Paris pour les funérailles de Rameau et dix ans plus tard pour ceux de Louis XV. Entre temps, jouissant d’une grande popularité, il était devenu non seulement une des œuvres les plus jouées au Concert Spirituel qui l’interprètera quinze fois jusqu’en 1770, mais il resta populaire dans toute la France jusqu’à la Révolution. Rappelons que, clerc de son état, Jean Gilles (1668-1705) œuvra essentiellement à la cathédrale Saint Etienne de Toulouse (où il est inhumé) pour laquelle il composa nombre d’œuvres religieuses, notamment onze Grands Motets. Pour en revenir au Requiem, suite à un profond désaccord avec son destinataire initial, Gilles, piqué au vif, aurait décidé qu’il ne fût joué qu’après sa mort, plaçant la partition sous scellé (légende rapportée par Michel Corette).

Requiem

Une première impression: une œuvre empreinte de sérénité, à mille lieues de tout pathos. Pour commencer, rappelons les sept parties de ce Requiem qui ne comporte ni trait, ni séquence : Introit (Requiem aeternam), Kyrie, Graduel, Offertoire, Sanctus-Benedictus, Agnus Dei, Postcommunion (Lux aeterna), le distinguant des parties et séquences qui composent habituellement un Requiem. Précédée d’une lente introduction, la messe débute sur un long solo du ténor (Requiem aeternam) repris par l’ensemble sur un ton qui se fait d’emblée plus vif. Suit un solo confié à la soprane, reprise par le chœur et l’ensemble des solistes, pour se clore sur une reprise du début (ténor, solistes, chœur). Même schéma pour le Kyrie, introduit par le soliste suivi du chœur (Christe), passage assez bref.

Pour la suite, sans nous étendre dans le détail, reprise grosso modo du même principe : introduction des parties par un soliste s’enchaînant sur une reprise par l’ensemble. S’il fallait résumer notre impression générale, je serais tenté de rapprocher, par son climat et son style, cette pièce de son aîné Marc-Antoine Charpentier (décédé un an plus tôt). Sans aller jusqu’à partager sans réserve le texte de présentation qui y voit sur la fin (« et que la lumière éternelle brille sur eux »« une musique de danse baroque (?) éclatante, pleine de vie, de joie et de solennité » (brochure de présentation). Une œuvre, qui se démarque sensiblement par son climat (Fauré mis à part) du schéma traditionnel. Une approche dédramatisée de la mort (pas de Dies irae) qui se veut plutôt optimiste.

L’interprétation ? Servie par un chœur et des solistes tous excellents, soutenus par un orchestre (jouant sur instruments anciens) aux sonorités chaudes, placé sous la direction tout en souplesse d’un chef aux gestes à la fois amples et précis. Une mention particulière pour les solistes aux voix parfaitement accordées (ils intervenaient souvent en duo soprane-mezzo, ténor-baryton). Pour résumer mon sentiment, plus que respirant la joie comme cela a été évoqué plus haut, une œuvre empreinte de religiosité invitant l’auditeur au recueillement, évitant tout effet spectaculaire. A signaler, dans les passages lents confiés à l’orchestre, un rythme lancinant et syncopé évoquant comme une marche, ce qui conférait au tout une certaine solennité, mais exempte de toute ostentation

Petite cerise sur le gâteau, le tout donné dans le cadre baroque d’une des plus belles églises de la ville (contemporaine de l’œuvre). Une soirée particulièrement bienvenue en cette célébration de la Toussaint.

Pierre Waline

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