Budapest : pour ouvrir sa saison de printemps, l’Opéra ressort un compositeur tombé dans l’oubli : Pietro Mascagni

Budapest : pour ouvrir sa saison de printemps, l’Opéra ressort un compositeur tombé dans l’oubli : Pietro Mascagni

Mascagni

Pietro Mascagni : „compositeur italien né le 7 décembre 1863 à Livourne, mort le 2 août 1945 à Rome”. Que sait-on de lui ? Pas grande chose à vrai dire, sinon qu’il nous a laissé un opéra, le seul encore joué de nos jours : „Cavalleria rusticana”. Et pourtant…. Ce fils de boulanger, élève de Ponchielli et condisciple de Puccini fut célébré en son temps. Non seulement auteur d’une quinzaine d’opéras, Mascagni nous a laissé une riche production : œuvres instrumentales, orchestrales, vocales et religieuses. Dont une messe, dite „Messa di Gloria” composée en 1887, alors que le compositeur avait 23 ans. Messe inscrite au programme du concert donné ce soir. Suivie de son opéra „Cavalliera rusticana” („Parasztbecsület”), composé trois années plus tard. Écrite pour chœur et voix d’hommes, la messe fut créée en 1888 par les élèves du conservatoire, reprise quelques années plus tard pour célébrer les 600 ans de la cathédrale d’Orvieto. Composée parallèlement à „Cavalleria rusticana”, la messe y fait de nombreuses références par sa ligne mélodique empreinte par endroits d’une tension dramatique qui n’est pas sans rappeler le climat de l’opéra.

Mascagni

Écrit sur un livret en un acte de Giovanni Targioni-Tozzetti et Guido Menasci, l’opéra est inspiré d'une nouvelle de Giovanni Verga. Son intrigue en deux mots : nous sommes au matin de Pâques dans un village de Sicile. Une jeune fille, Santuzza, est à la recherche de son amant Turridu qui l’a trahie pour renouer avec Lola son ancienne fiancée, qu’il a retrouvée mariée au riche Alfio, à son retour de l’armée. Santuzza essaie vainement de reconquérir son amant. Folle de jalousie, elle dénonce Lola et Turridu à Alfio, le mari trompé. Dès lors, le destin de Turridu est scellé. Alfio le provoque en duel. Après avoir fait ses adieux à sa mère (Lucia), Turridu se rend au rendez-vous fatal au cours duquel il est tué. Lucia et Santuzza s’effondrent dévastées par la douleur. L’honneur paysan est sauf, mais à quel prix ! Une intrigue violente sur fond de vendetta sicilienne : amour, jalousie, vengeance.

Ce qu’en dit la critique : „Mascagni a su mener une intrigue brutale, simple et efficace. Sa musique se rapproche souvent de la chanson populaire du sud de l'Italie, notamment dans les airs de Turiddu”. Mais non exempte de faiblesses par la facilité de ses airs et la simplicité de l’orchestration. „La partition témoigne du rejet des complexités symphoniques wagnériennes, ainsi que d’un retour aux sources vocales de l’opéra italien „ (R. Leibowitz). „L’œuvre est adroite, mais surchargée de lieux communs plus ou moins vulgaires” (F.R. Tranchefort). Beaucoup y ont vu, par son réalisme sans concession, une œuvre annonciatrice du mouvement vériste, ce que l’auteur a au demeurant contesté. Parmi les passages réussis on cite généralement les chœurs, qui rappellent le Nabucco de Verdi, ainsi que l’intermezzo confié à l’orchestre sur le thème de Regina coeli ou encore la fameuse sicilienne chantée par Turridu. Difficile de se faire un jugement a priori. Ce que l’on sait est que, lors de sa première audition, l’œuvre de Mascagni se tailla un vif succès, suscitant de nombreux rappels pour être rapidement reprise dans toute l’Europe. Succès à imputer en partie à la qualité du livret, mais qui ne se renouvellera pas avec les ouvrages suivants.

Lors de la soirée donnée à l’Opéra, les solistes étaient le ténor László Boldizsár et la basse-baryton Zoltán Kelemen dans la Messe et les mêmes, dans les rôles respectifs de Turridu et Alfio, avec pour partenaires les mezzo-sopranos Erika Gál (Santuzza), Zsófia Kálnay (Lola) et la soprane Mária Farkasréti (Lucia) dans l’opéra  (donné en version de concert). Le tout accompagné par l’orchestre et les chœurs de l’Opéra sous la direction de Péter Halász.

Mascagni

La Messe, tout d’abord. La surprise de la soirée. Débutant et s’achevant en douceur (Kyrie, Agnus Dei), l’œuvre offre un climat général empreint de gravité. Traitée séparément, chaque partie – à l’exception de l’intermezzo (Élévation) dévolu à l’orchestre – est confiée aux solistes, soit en solo, soit en duo, accompagnés par les chœurs, généralement soutenus non par l’orchestre au complet, mais par tel ou tel pupitre distinct (bois, cordes). Les deux chœurs (hommes et femmes), séparés de part et d’autre de la scène, se répondant comme pour se faire écho. Chœurs et orchestre excellents avec toutefois une réserve quant aux solistes, notamment le ténor dont le timbre nous a paru quelque peu étriqué, notamment dans les aigus. Une ouvre de jeunesse qui témoigne d’une certaine maturité, où l’on sent néanmoins percer l’auteur d’opéras, les interventions des solistes étant traitées comme des arias. A relever : le poignant solo de violon – acclamé par le public – qui précède le Benedictus.

Annoncé en version de concert, l’opéra était en fait joué, par des personnages en costume. Et quel jeu ! Chacune, chacun parfaitement dans son rôle. Nous mentionnerons en particulier la mezzo-soprano Erika Gál, touchante dans le rôle de Santuzza, offrant une voix puissante et claire. Mais les autre également, et ici un ténor – en Turridu - qui semblait avoir enfin retrouvé sa voix ! Effets scéniques également. Tel ce passage de la Messe de Pâques (au début de l’œuvre) où la chorale sur scène est doublée par un chœur intervenant dans notre dos pour chanter la résurrection, instant où le grand lustre se rallume dans la salle. Quant à l’opéra lui-même, que dire ? Concentrée sur un seul acte, l’action, resserrée, en a gagné en intensité (1). Au plan musical, un orchestre qui nous a paru par moments un peu lourd, Les airs confiés aux cinq personnages, par contre réussis et fort bien chantés. (de plus, des chanteurs au physique parfaitement adapté).

Un public séduit à en juger par les nombreux rappels (dans une salle comble). Cavalliera rusticana, une ouvre qui ne figure certes pas au rang des grands chefs d’œuvre du répertoire, mais une œuvre attachante que nous avons eu plaisir à réentendre ce soir.  Une programmation bienvenue en ce lundi de Pâques. (2)

Pierre Waline

(1): la réduction à un seul acte avait été imposée par le jury, l’opéra ayant été présenté à un concours, où il a d’ailleurs remporté le Premier prix.

(2): sous le titre „Pâques avec Mascagni”, les deux œuvres avaient déjà été programmées en avril 2022.

Crédit photos : Valter Berecz

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