Visite d’une colonie d’artiste au Lac Balaton
35 ans au service des arts
Cette année aussi nous avons rendu visite à la colonie d'artiste MÜSZAK à Cserszegtomaj. Müszak est l’abréviation de Művészetek szabad alkotó köre = Cercle libre de création artistique. Nous avons publié en août 2023 „La culture au village” où nos lecteurs ont pu faire connaissance avec cet événement culturel estivale près du lac Balaton. Durant une semaine des artistes se rencontrent, échangent idées et expériences. Trois soirées sont ouvertes au public.
Le premier jour a lieu l'ouverture officielle de la colonie par une exposition inaugurale sous l'égide de grandes figures de l’histoire de l’art de Hongrie : Derkovits, Egry, Mikus, Boromisza, Károly Gyula, Sándor Basilides, János Halápy, etc. Les artistes choisis sont ceux dont les œuvres sont liées au paysage, au lac Balaton. Des expositions commémoratives sont également organisées pour d'anciens membres, comme Zoltán Lichtenvaller et cette année Márta Ambrus peintre céramiste et professeur de dessin. Un hommage lui a été rendu par János Lehota, esthète qui a parlé de la vie et de l’œuvre de l'artiste et surtout de l'enseignante extraordinaire qui a découvert de nombreux talents et qui a su motiver l'intérêt de ses élèves. Les nombreux visiteurs ont pu admirer des tableaux originaux créés en céramique, en tissus ou à la peinture à l'huile.

Dans son discours d'ouverture le Dr Géza Cséby a évoqué l'engagement exceptionnelle de Ferdinánd Takács et de son épouse Lívia Takács-Szencz, il a retracé l'histoire de la colonie d'artistes sous ses diverses formes. En 1991, dans la MINI-Galerie de la coopérative agricole Ferdinánd a exposé ses tableaux qui ont tant impressionné le président Béla Bizó qu'il a proposé de soutenir une colonie d'artistes à créer. Le comté de Zala s'est joint au projet, avec notamment László Kovács, éducateur populaire, et László Kostyál, historien de l'art. En 1992, sous la direction de Ferdinánd Takács la première édition a lieu avec le soutien financier de la coopérative agricole. L'exposition finale permet aux participants de présenter leurs travaux dans le « Palais de la culture » à Cserszegtomaj. L'année suivante voit la création de nombreuses colonies d'artistes nées en suivant l'exemple donné. En 1993, la coopérative agricole est dissoute, le rôle de sponsor est repris par la commune de Cserszegtomaj qui finance la création d'une fondation « Szabad Művészet Alkotó Tábor Alapítvány » (Fondation pour la création artistique libre). Grâce à un engagement sans faille et une volonté de fer de Ferdinánd, ainsi que le soutien des autorités locales qui mettait à disposition le bâtiment de l'école communale, cette fondation a très bien fonctionné, jusqu'en 2010. Une quarantaine d'artistes participaient en laissant chaque année deux œuvres à la fondation qui les exposait et commercialisait, assurant ainsi le financement de la colonie suivante. Des expositions étaient organisées dans des lieux culturels du comté et à Györ, Pécs, Szeged et Budapest. La colonie a aussi eu un rôle d'incubateur car les artistes confirmés aidaient des jeunes à maîtriser des techniques et surtout à les motiver. Beaucoup de ces cadets sont maintenant diplômés des Beaux-Arts. Entre 1994 et 2010, 544 peintres et sculpteurs ont profité de cette possibilité. Ils venaient des pays environnants, mais aussi de plus loin, même d'autres continents. En 2010, pour des raisons indépendantes de la volonté de la direction, la fondation a été dissoute. La collection des œuvres, inventoriés pour 48 millions de forints a été remis à la commune.
C'est alors que Lívia et Ferdinánd ont mis à disposition leur maison familiale, ainsi que leur jardin magique pour créer le Müszak. Ce cercle d'artiste n'existe que par la volonté des participants, il n'a pas de forme juridique, cela fonctionne comme un immense pique-nique où chacun apporte ce qu'il peut. L'animation et le plus grand part des frais sont assumés par le couple Takács qui a eu la bonne idée d'étendre les activités artistiques aux autres domaines. Au cours de l'existence du MŰSZAK, 438 artistes ont été présentés, parmi lesquels des peintres, des sculpteurs, des graphistes, des écrivains, des cinéastes, des ferronniers d'art, des photographes, des musiciens et des céramistes. En réalité, on peut parler de rencontres entre muses sœurs.
Après ce rappel historique nous avons encore eu le plaisir d'écouter un poème de Csaba Bardócz, auteur-compositeur récité par Péter Horváth.
Dimanche nous avons assisté à une soirée animée : Krisztián Sárközi, thérapeute musicale nous a expliqué son métier puis nous a permis de prendre un « bain sonore » une expérience de relaxation immersive où les participants sont exposés à des vibrations sonores qu'il a créées avec les instruments asiatiques tels que gongs, bols musicaux et autres petites clochettes. Simultanément Melinda Horváth et Lívia Takács-Szencz ont improvisé une peinture. Il faut dire que l'usage de la colonie est de créer chaque année une œuvre collective. Dans une grande tente une vingtaine de tableaux réalisés par Lívia et ses amies peintres étaient exposés en souvenir des thèmes qui ont échelonnés la colonie. Le thème de cette année est inspiré par une phrase de József Egry : « La valeur culturelle d'une nation n'est pas mesuré en nombre de mines d'or, mais en nombre d'artistes créateurs, car la vraie richesse est là ».

Suit le programme littéraire, animé par Géza Cséby. Un poème ou un texte court de chaque auteur invité est lu par Péter Horváth. Après l'avoir entendu, le poète raconte son travail de l'an passé et ses projets puis lit lui-même un de ses œuvres. Bálint (Valentin) Géza Basilides a choisi de lire la version française de sa poésie en prose :
Un bouquet
Soit un bouquet
J'y mets tout ce qui est beau
Tout ce que nous aimons :
Bien sûr, beaucoup de fleurs
Des papillons colorés aux formes variées
Des rires d'enfants heureux
Inévitablement un double arc-en-ciel
Une multitude de chants d'oiseaux à l'aube
L'odeur du humus et des champignons sauvages
Quelques de ruines romaines ou grecs
Des arcs gothiques
Les mosaïques de l'église San Vitale de Ravenne
Les vitraux de Notre-Dame de Chartres
Des recueils de poèmes
Avec un fort battement de cœur
Je te donne le bouquet
Tu l'acceptes
Et tu souris
Je suis heureux
La rencontre se poursuit jusqu'au tombé de la nuit avec un lecsó party (ratatouille hongroise) et le pique-nique apporté par les convives. On échange, on fait (ou refait) connaissance.
Bien des visiteurs viennent voir ce qui se passe en dehors du programme officiel. On regarde travailler peintre et sculpteurs dans le jardin ou sous la tente, et si on entre dans l'appartement on peut écouter Ferdinánd Takács raconter des histoires. Son riche vécu rend son répertoire inépuisable à travers ses récits on fait la connaissance des anciens qui ont fréquenté la colonie, leurs aventures plus ou moins rocambolesques, leurs impressions et les marques qu'ils ont laissés. Ferdinánd (Ferdi pour les amis) nous apprend aussi les secrets qui se cachent sous terre car il est aussi guide spéléologue, il dit aussi les combats menés contre les « hommes bien placés » aussi bien sous le régime communiste que dans le bourbier actuel.
Et, le dernier jour vient la soirée d'adieux avec l'exposition des œuvres des participants. Le visiteur ne sait où donner de la tête, tant il y a de choses à voir. Bien sûr, des peintures et des sculptures, mais aussi les textes des poètes illustrés de main-de-maître par Lívia Takács-Szencz, des céramiques, des gobelins et des lampes artistiquement décorées. Une fois de plus Géza Cséby est sollicité, il parle comme un livre, donc à lui le discours de clôture suivi de poèmes récités par Péter Horváth et les dernières chansons de Csaba Bardócz L. Lívia (Lívi pour les amis) et Ferdi distribuent les diplômes de participation avant d'inviter tout le monde à venir goûter au jardin la traditionnelle goulache aux haricots.
C'est tard le soir, avec un petit pincement de cœur, on se dit au-revoir, à l'an prochain.
Et, un peu lâchement, tout en les remerciant, on abandonne Lívi et Ferdi qui vont durant les jours à venir ranger, nettoyer, rendre les œuvres et le matériel reçu en prêt, puis organiser les expositions dans des villes et villages de la région, avant de s'attaquer à l'organisation de la 36ème colonie en 2026.
Éva Vámos