Deuil a rebours, un livre inattendu : Rencontre littéraire avec Yvette Goldberger
Le 7 mai dernier, la Librairie Prélude proposait une présentation d'Yvette Goldberger, au sujet de son livre intitulé Deuil à rebours – Du deuil à la littérature hongroise en passant par la psychanalyse. Associant littérature hongroise, psychanalyse, deuil et humour particulier, Deuil à rebours est un livre unique en son genre. Lors de sa venue à Budapest, Yvette Goldberger nous a donné un aperçu de la genèse de son ouvrage.
Yvette Goldberger nait à Toulouse, en 1942, d'une famille hongroise ayant quitté le pays avant la Seconde Guerre mondiale, pour fuir l’antisémitisme. Psychologue clinicienne de métier, elle a travaillé dans le service d'oncopédiatrie du Centre hospitalier universitaire de Toulouse. Passionnée par la psychanalyse, elle est également fascinée par les écrivains hongrois, a organisé à Toulouse de nombreuses rencontres et conférences les concernant et échange régulièrement au sujet de leurs œuvres au sein d’un Club de lecture qu'elle anime.
Un livre imprévu
Yvette Goldberger a commencé la présentation de son livre avec une déclaration étonnante : son livre s'est avéré être une surprise. En effet, sa première intention était simplement de compiler ses écrits au sujet des auteurs hongrois qu’elle avait étudiés. Cependant, une forte intuition la pousse à y ajouter ses articles concernant sa pratique professionnelle avec les enfants malades. Vient ensuite la question de comment les relier entre eux ? Ces thèmes, disparates de premier abord, vont alors se tresser les uns aux autres et former un tout grandement cohérent.
Le Deuil
Une fois la recherche des liens entre les sujets principaux engagée, le thème du deuil apparaît assez clairement pour Yvette Goldberger. Premièrement, il se retrouve dans ses racines familiales : d'origine juive, sa famille a subi des persécutions ainsi que des pertes douloureuses durant la période sombre de la Seconde Guerre mondiale. Ensuite, le deuil est également présent dans son quotidien professionnel, à travers le suivi des enfants atteints de leucémie. Dans ces métiers médicaux, le deuil se tapit dans l'ombre tout en restant cruellement présent. Une distance avec les patients est alors primordiale et absolument nécessaire, mais malheureusement pas toujours évidente à maintenir.
Yvette Goldberger nous a rapporté qu'elle n'avait pas remarqué à quel point son histoire personnelle était traversée par le deuil. C'est en « regardant en arrière » que le thème s’est révélé être primordial. Ainsi, le titre de son ouvrage prend tout son sens : Deuil à rebours.
Un autre aspect remarquable de cette œuvre, a souligné Guillaume Métayer, auteur de la postface et présent lors de la présentation, est l'aspect omniprésent « d'introspection en direct ». En effet, même si Yvette Goldberger n'avait aucunement l'intention d'écrire sur elle-même, les réflexions et découvertes personnelles foisonnent. Ainsi, Guillaume Métayer suggère que cet ouvrage aurait pu constituer pour Yvette Goldberger, une suite de cure psychanalytique.
La Littérature hongroise
Comme mentionné précédemment, Yvette Goldberger est également passionnée par les auteurs de littérature hongroise. Dans son ouvrage, plus de 70 livres sont mentionnés pour illustrer ses propos et nouer les différents thèmes. En effet, elle explique que certaines de ces œuvres sont particulièrement révélatrices lorsqu'interprétées d'un point de vue psychanalytique. Un exemple frappant est le récit Voyage autour de mon crâne de Frigyes Karinthy. Dans cet ouvrage, Karinthy relate un horrible cauchemar post-opératoire avec une ironie déstabilisante. Cette narration est pourtant symptomatique de la psyché et des mécanismes inconscients de l'auteur. Yvette Goldberger invente même un mot pour se référer à ce type d’écriture : pleurir, condensé entre pleurer et rire. Ce terme se renvoie à une émotion forte et profonde, allant au-delà de simplement pleurer. Il traduit une certaine ambivalence d'émotion, une cohabitation entre la douleur et un « bonheur » paradoxal.

La Drôlerie
Yvette Goldberger conclut sa présentation avec un thème qui se différencie de l’humour classique ainsi que de l’humour noir et qu’elle considère comme un procédé narratif visant à déconcerter le lecteur. La drôlerie est en effet un procédé distinct puisqu’il n’arrive pas de manière impromptue dans la narration mais s’inscrit bien au contraire dans celle-ci et s’ancre au fil du développement. La drôlerie provoque par ailleurs le questionnement par son effet de déstabilisation quand l’humour, lui, produit un certain degré de satisfaction. Yvette Goldberger ajoute que cet effet de dérision est utilisé un bon nombre de fois par des auteurs hongrois, qui excellent dans ce domaine. Elle cite notamment Ádám Bodor et son œuvre Les oiseaux de Verhovina. Elle explique que lorsque cet auteur illustre des scènes effroyables il utilise davantage l’effet comique plutôt que le sentiment d’horreur afin de donner un caractère « normal » à ces situations pourtant abominables. Son écriture poétique et douce contraste avec les horreurs qu’il raconte. Cependant, Yvette Goldberger précise que la drôlerie est un humour particulier, pouvant mettre mal à l’aise, et provoquer un rire parfois « honteux ». Cet humour serait, selon certains critiques, propre aux écrivains hongrois et d’Europe de l’Est ayant connu le stalinisme et la dictature.
Yvette Goldberger nous a offert un livre étonnant et unique en son genre. Deuil à rebours éclaire d'une manière inédite les chemins méconnus de la psyché humaine et de son fonctionnement ambigu. Une œuvre nécessaire selon les mots de Guillaume Métayer, alliant avec adresse des thèmes déroutants.
Manon Guignard & Manon Wermeille
Photos: Kinga László