Favoriser les coopérations culturelles entre la France et la Hongrie
Rencontre avec SEM. Jonathan Lacôte, ambassadeur de France en Hongrie
L’actualité franco-hongroise de la rentrée dans l’agenda de l’Ambassade et de l’Institut francais est riche en événements culturels. SEM. Jonathan Lacôte a bien voulu accorder une interview au JFB à la Résidence de France pour en parler.
Jonathan Lacôte : La rentrée est dense, comme toutes les saisons de l'année sont denses dans l'actualité franco-hongroise et dans l'agenda de l'Ambassade et de l'Institut français. Pour en rester à l'actualité culturelle, elle a été particulièrement riche en septembre parce que nous avons eu à la fois du cinéma avec le marathon du film classique, auquel la France participe systématiquement, et de la littérature puisque le mois de septembre est, à Budapest, le mois du salon du livre. La France y est toujours très présente et elle était même, l'année dernière, invité d'honneur.
Nous avons aussi célébré les 250 ans de l'enseignement du français à ELTE et dans l'enseignement hongrois. De ce fait, le mois de septembre et la rentrée ont été extrêmement denses.
De manière générale, toute notre action culturelle a pour vocation de favoriser les coopérations culturelles, les contacts culturels entre la France et la Hongrie.
Par exemple, le marathon du film classique ne consiste pas seulement à diffuser des films français dans le cadre du marathon, mais permet de faire venir des professionnels du cinéma pour renforcer la coopération entre la France et la Hongrie. Ainsi Olivier Henri, le directeur général du Centre national de la cinématographie et Nicolas Seydoux, représentant de Gaumont-Pathé, étaient présents à Budapest. Un représentant de la cinématheque de Toulouse ainsi que la directrice des archives Pathé Gaumont sont également venus à Budapest. C’est une opportunité pour que de nombreux contacts se nouent entre des acteurs français et des acteurs hongrois du monde du cinéma.
Rappelons que lors de la séance inaugurale du Marathon, avant la diffusion de Csodálatos Júlia, des images d'archives de Budapest tournées en 1896, l'année du Millenium, par Pathé à l'époque, ont été diffusées. Ce qui veut dire que les plus anciennes images filmées de Budapest ont été tournées par des Français, par une société française. Et au-delà de ces images, nous avons énormément d'archives sur la Hongrie et réciproquement, il y a beaucoup d'archives hongroises intéressantes pour la France.
S'agissant du livre que nous avons célébré au salon de Budapest, la Roumanie était cette année l'invitée d'honneur, mais la France était très présente, notamment parce que nous avons annoncé le lancement d'un prix de la traduction, le prix Somlyó György. En effet, nous voulons mettre en lumière ces traducteurs et ces traductrices, qui permettent de diffuser des livres français et francophones au public hongrois. Nous avons déjà depuis de nombreuses années un plan d'aide à la publication, le plan Kosztolányi, qui nous permet chaque année de financer la traduction d'une quinzaine d'œuvres françaises, dans un contexte très porteur puisque chaque année environ 200 traductions sont réalisées au total, au-delà des traductions soutenues par l’Ambassade à travers le programme Kosztolányi.
Cette année, nous avons donc voulu également reconnaître le rôle particulier des traducteurs et des traductrices pour faire connaître les œuvres françaises au public hongrois. Ce sera le rôle du prix Somlyó György. Il permet de mettre l'accent sur une dimension importante de notre approche, qui est de toucher le public non francophone en Hongrie. Bien sûr, la priorité va toujours à ceux qui apprennent le français, mais nous n'oublions jamais que 98% de la population hongroise ne parle pas français et que bien sûr nous devons nous adresser à ce public.
JFB : Nous célébrons également le 250e anniversaire de l’enseignement du francais sur le plan universitaire…
Jonathan Lacôte : Absolument. Ce mois de septembre a été marqué par ce 250e anniversaire de l'enseignement du français, auquel nous avons voulu donner une dimension particulière ; parce que nous pensons que c'est un anniversaire très important pour la Hongrie elle-même, la Hongrie peut être fière d'enseigner le français depuis maintenant 250 ans, je pense qu'il n'y a pas beaucoup de pays dans la région qui peuvent célébrer un tel anniversaire.
Un édit de Mária Terézia, reine de Hongrie, adopté en 1775, avant la Révolution française, marque le point de départ de l'enseignement continu du français en Hongrie. À travers cet anniversaire, qui concerne plus spécifiquement ELTE, qui est l'héritière de l'université de Nagyszombat, nous célèbrons tous ceux qui en Hongrie enseignent le français, que ce soit dans les universités ou dans le secondaire. Rappelons-nous que l’enseignement du français en Hongrie, ce sont non seulement les départements de français des universités hongroises, ELTE, Pázmány, Debrecen, Szeged et Pécs, ainsi que les 10 sections bilingues à travers le pays, mais aussi les 250 établissements, les lycées qui enseignent le français et très souvent à très haut niveau à travers la Hongrie. J’ai d’ailleurs visité récemment la section bilingue de Pásztó, qui est l'une des plus anciennes du pays puisqu'elle a été fondée en 1988.
Cet anniversaire nous a semblé très important, car il témoigne de l'ancienneté et de l'importance de l'enseignement du français en Hongrie, et nous voulons toujours mettre en avant ceux qui en Hongrie portent la langue française. Nous le faisons bien sûr, Institut et Ambassade, mais dans les écoles, ce n'est pas l'Ambassade, ce sont les professeurs hongrois, ce sont les institutions culturelles hongroises qui portent la langue et la culture française, et nous sommes en soutien de toutes leurs initiatives.
JFB: Quels sont les nouveautés les plus marquantes de la rentrée ?
Jonathan Lacôte : Parmi les nouveautés de la rentrée, il y aura le retour de la musique à l'Institut français, parce que nous allons reprendre les séries de concerts. Nous commençons par trois concerts de l'Orchestre de la MÁV, très actif ici en Hongrie.
Nous continuons évidemment le cinéma, mais nous allons faire de plus en plus de ciné-débats, c'est-à-dire un film suivi d’un débat. Le premier est dédié à l'environnement, et ensuite nous aurons un cycle sur les comédies.
Nous allons également développer les activités pour le jeune public. Là aussi, dans la même logique qui consiste à s'adresser au public non francophone, notre objectif est de rechercher de nouveaux publics.
Ainsi il y aura plus d'activités à la Médiathèque : l'heure du conte, les jeux vidéo, des ateliers de création, lorsque les enfants sont disponibles et peuvent aller effectivement à l'Institut, soit le samedi, soit pendant les vacances scolaires. A partir du mois de mars de l'année prochaine, nous allons par ailleurs recréer au sein du bâtiment de l'institut des espaces d'exposition.
Au-delà des activités culturelles, notre présence à Budapest, c'est aussi le débat d'idées. Au mois d'octobre, le mois de l'environnement, du 7 au 21 octobre, a porté une quinzaine de programmes pluridisciplinaires. N’oublions pas que cette année, nous célébrons le dixième anniversaire de l'Accord de Paris sur le climat, avec un certain nombre de conférences internationales, concernant soit les océans, soit le climat, soit la biodiversité, donc nos activités sont liées à l'actualité internationale et environnementale.
Nous avons aussi organisé un colloque sur l'intelligence artificielle, autre sujet d'actualité du mois d'octobre, avec beaucoup de participants hongrois, mais aussi des représentants qui viendront de France. Ceci pour dire qu'au-delà de l'actualité culturelle, nous voulons être très présents sur le débat d'idées tel qu'ils se déroule en Europe et en Hongrie.
Plus tard dans l'année, nous organiserons la semaine contre la désinformation. L'information est devenue un enjeu. Des guerres informationnelles sont à l’œuvre partout, y compris en anglais. Le narratif des uns s’oppose au narratif des autres. Nous pensons qu'il est important que collectivement nous sachions lutter contre la désinformation, nous sachions décrypter l'information. Nous devons réapprendre collectivement à aller vers des sources d'informations fiables et non consommer de la désinformation, notamment sur les réseaux sociaux.
Une autre dimension importante de notre action est d'être présent en dehors de Budapest, dans toutes les villes de Hongrie et les villes de différentes tailles, pas seulement les grandes villes, pas seulement ces grandes villes où nous avons des alliances françaises ou des classes bilingues ou des chaires de français, que sont Miskolc, Nyíregyháza, Debrecen, Szeged, Pécs, Győr, mais aussi les plus petites villes et notamment lorsque nous fêterons le mois de la francophonie. Au mois de mars, nous veillons à ce que beaucoup d'activités soient organisées en dehors de Budapest. Certaines projections des journées du film francophone se déroulent ainsi dans 17 villes à travers le pays. Il y a aussi beaucoup d'initiatives locales, que nous soutenons, que ce soit le festival international du théâtre lycéen de Pécs, que ce soit des activités organisées par le centre universitaire francophone de Szeged qui organise d'ailleurs un colloque au mois de novembre sur Mohács et la Hongrie des Anjou. Donc sur l'ensemble de ce spectre d'activité, j'insiste sur le fait que nous ne sommes pas seuls : nous nous reposons beaucoup sur nos partenaires hongrois.
JFB: Quels sont les progrès que vous constatez dans le domaine de la coopération culturelle avec d’autres institutions en Hongrie, en France et avec les pays francophones ?
Jonathan Lacôte : L’une des caractéristiques de notre action culturelle, et ce qui fait qu'elle participe d'une coopération entre les pays, c'est la collaboration avec de grandes institutions culturelles hongroises. Le Musée des Beaux-Arts, qui accueillera au printemps prochain une exposition Paul Gauguin, et qui accueille dès le mois prochain une exposition sur Tihanyi qui a beaucoup vécu à Paris, et qui présentera énormément d'œuvres venues du Musée d'Orsay. Nous travaillons évidemment avec les grandes institutions musicales du pays ; l'Opéra, le Müpa, les grands orchestres, l'orchestre de la MÁV, que nous allons accueillir dans les murs de l'Institut, comme je l’ai mentionné. C'est très important pour nous de travailler avec les grandes institutions culturelles étatiques, les institutions municipales, mais aussi les institutions culturelles indépendantes, le Trafó, les galeries d'art privées, et puis différents musées ; vous vous souvenez qu'au mois de juillet, nous avons organisé avec la Bibliothèque nationale de France une exposition dédiée à Rogi-André, à la Mai Manó Ház.
Il y a toujours de la culture française à l'affiche en Hongrie, très souvent du fait d'initiatives d'institutions culturelles hongroises, très souvent en partenariat avec l'Institut français de Hongrie, et parfois à notre initiative, lorsque nous organisons nous-mêmes des événements, soit dans nos murs, soit auprès de partenaires Hongrois. Il y a énormément de partenaires hongrois très engagés dans la promotion de la culture française, parmi lesquels vous tenez une place éminente avec le Journal Francophone de Budapest.
Nous suivons de près les projets pour s'assurer que chaque institution fonctionne bien ; la Bibliothèque nationale de France, avec Országos Széchenyi Könyvtár, l'Opéra de Budapest et l'Opéra de Paris, les théâtres entre eux, la Comédie française est venue au Nemzeti Színház, au mois de juin, pour une représentation de Bérénice ; nous espérons qu'ils pourront venir chaque année et peut-être rester un peu plus longtemps. S'assurer que toutes les grandes institutions se connaissent entre elles, travaillent entre elles - c'est très vrai dans le domaine du cinéma, c'est vrai dans le domaine du livre, c'est vrai dans le domaine éducatif, universitaire ; nous sommes là pour entretenir et permettre à ces dynamiques de continuer.
JFB : Qu’en est-il de la francophonie ?
Jonathan Lacôte : Nous allons organiser au mois de juin les états généraux de la langue française en Hongrie. Çela signifie que nous allons réunir autour d'une même table tous ceux qui en Hongrie travaillent avec le français : les professeurs, mais aussi les éditeurs, les traducteurs, les interprètes, peut-être les guides des musées, tous ceux pour qui le français est une langue de travail et qui nous aident à diffuser la langue et la culture française. Pourquoi ? Tout d'abord pour les écouter, pour savoir quels sont leurs projets, mais peut-être aussi leurs difficultés, quelles sont leurs attentes vis-à-vis de la France, mais aussi des autres pays francophones. Et puis on associera à ces états généraux des représentants du gouvernement hongrois pour que le gouvernement hongrois se rende compte du dynamisme de la francophonie et des acteurs de la francophonie en Hongrie. Ces états généraux que nous espérons tenir au mois de juin, donc après les élections, nous les ferons précéder d'états généraux locaux dans les grandes villes, sans doute à Debrecen, à Szeged, à Pécs, peut-être dans d'autres villes, et ensuite nous inviterons tout le monde à Budapest : les responsables des classes bilingues, des alliances, les chefs de départements au sein des différentes universités, mais aussi les francophones de Hongrie. Il y a des recteurs, des directeurs de théâtre, des musiciens, des libraires, des directeurs de maisons d'édition qui sont francophones dans ce pays : nous avons besoin de les écouter pour savoir comment les soutenir.
Nous voulons aussi donner du français une image moderne. Le français est une langue contemporaine, une langue d'avenir, c'est l'espace linguistique du monde qui connaîtra le plus fort développement démographique au cours du XXIe siècle, grâce notamment à l'Afrique. Le français peut ouvrir beaucoup de portes, que ce soit en France, mais évidemment aussi ailleurs dans le monde francophone. Pour nous, c'est un argument puissant pour défendre l'enseignement du français. Il nous faut faire attention à maintenir cette position particulière dans le système éducatif hongrois. Il est normal que les jeunes apprennent l'anglais, au même titre que les mathématiques ou les sciences naturelles. Il est évidemment normal que les jeunes hongrois continuent d'apprendre l'allemand. Mais nous tenons à cette troisième place qui est la nôtre et que l'on peut sans doute développer. Quand je vais dans les écoles je vois des élèves qui apprennent le français parce que c'est un atout dans leur vie universitaire, et parce que c'est un atout, j'espère, dans leur vie personnelle, intellectuelle, culturelle...
Je pense que pour un jeune hongrois, apprendre le français, c'est une manière de regarder le monde sous un autre angle, que ne permet pas nécessairement l'anglais. L'anglais est la première langue sur internet, le français est la deuxième langue sur internet, et l'internet francophone n'est pas du tout l'internet anglophone. Donc regarder le monde à travers la langue française, c'est un nouveau prisme, c'est un nouveau point de vue, et évidemment c'est un enrichissement, quand on parle déjà le hongrois, déjà l'anglais, peut-être déjà d'autres langues.
Dans ce monde globalisé et dans un contexte où la Hongrie elle-même a de plus en plus de contact avec le reste du monde, avec l'Asie, avec l'Afrique, il est intéressant de faire en sorte que le français conserve sa place et participe de cette logique d’ouverture. Les hongrois comprennent bien que dans cette ouverture sur le monde, le français est un instrument, un vecteur important pour s'adresser au reste du monde et avoir accès. Apprendre l'anglais est indispensable, mais ça n'est pas suffisant pour parcourir les cinq continents.
JFB: C'est un vaste programme. En présence d’un ambassadeur qui prononce sans accent les noms hongrois et qui a étudié le hongrois, on ne peut que vous interroger sur votre vision de l'enseignement du français en Hongrie et du hongrois en France et au-dela, sur l’apprentissage des langues en général…
Jonathan Lacôte : Une relation bilatérale doit être une relation réciproque. Pour vraiment renforcer les relations entre la France et la Hongrie, il faut non seulement promouvoir la France en Hongrie, il faut aussi que la Hongrie soit mieux connue en France. Ce n'est pas un sens unique. Les Français ont longtemps brillé par leur ignorance de la Hongrie et de l'Europe centrale en général, pour toutes sortes de raisons, des raisons historiques, des raisons culturelles. Pendant très longtemps, les Français ont cru qu'il existait une Europe de l'Est et ils ne voyaient plus depuis 100 ans l'Europe centrale, qui est une réalité culturelle et historique extrêmement forte. Je pense que les choses ont beaucoup changé : la perception de la Hongrie a considérablement évolué.
Les Français apprennent à mieux connaître la Hongrie, y compris parce qu'ils viennent en Hongrie. Chaque année, un demi-million de touristes, 450 000 exactement. Ces gens qui viennent à Budapest tombent sous le charme de la Hongrie et des Hongrois, et vont nécessairement s'intéresser à la culture hongroise, et puis un jour prendre un livre de Sándor Márai, ou de Kertész Imre dans une librairie et découvrir davantage la Hongrie. Vous savez que Viktor Orbán a offert non pas du vin mais des livres au président Macron quand il est venu à Budapest l'année dernière à l'occasion du sommet de la communauté politique européenne ; il a offert une caisse de livres dans laquelle il y avait Sándor Márai, Magda Szabó, Miklós Bánffy, John Lukacs. Le lien entre la France et la Hongrie passe beaucoup par la culture et par le livre.
Nous avons fait des progrès considérables, notamment au cours des 30 dernières années, depuis le rendszerváltás. Nous avons ouvert ce grand institut culturel à Budapest - nous avons maintenant ce grand vaisseau au bord du Danube. Cependant, l’Institut hongrois est malheureusement fermé, un très bel institut culturel à Paris et dont on ne peut qu'espérer qu'il rouvre, parce qu'il fait partie de la relation bilatérale.
Pour autant, symétriquement, la littérature hongroise, le cinéma hongrois, la musique hongroise sont beaucoup mieux connues en France. 32 livres de Márai ont été traduits en français ; Szabó Magda a quasiment été entièrement traduite. Kertész Imre, László Krasznahorkai, quasiment tout a été traduit. Les grands classiques de la littérature hongroise ont été traduits ou retraduits, parce que parfois ils avaient été mal traduits, traduits à partir de l'allemand. On trouve Kosztolányi, Karinthy, Zsigmond Móricz et les autres dans des éditions fidèles. Il y a eu des progrès dans les deux sens et pourquoi je dis cela ? Parce que pour moi, connaître la Hongrie et connaître la culture hongroise est indispensable pour pouvoir diffuser la culture française ; connaître la littérature hongroise permet d'entrer dans l'âme hongroise et donc de savoir exactement quelles sont les attentes des Hongrois vis-à-vis de la France. La France est présente à des titres divers dans la littérature hongroise, dans la culture hongroise elle-même, il y a eu de très fortes interactions culturelles entre les Hongrois et la France au 19e et 20e siècle, quasiment tous les grands artistes hongrois ont eu une période française, Liszt a vécu à Paris, tous les grands écrivains ont un emléktábla à Paris : József Attila, Ady Endre, la liste est longue. Vous avez d’aileurs remarqué que sur la page Facebook de l'Ambassade nous célébrons régulièrement des grands Hongrois à travers leurs liens avec la France.
JFB: Bravo pour la qualité de cette page Facebook !
Jonathan Lacôte: Merci beaucoup. Il y a beaucoup de travail derrière, d’identification des personnalités qui ont ce lien avec la France et de documentation de ce lien. Moi-même je redécouvre des liens entre des artistes hongrois et la France à travers la page Facebook et ça montre que nos échanges culturels remontent loin dans le passé et qu'il faut avoir le même niveau d'ambition aujourd'hui.
C’est pourquoi je ne peux qu’encourager tous les collègues de l'ambassade à se lancer dans l'apprentissage du hongrois, quitte à se rendre compte que le hongrois n'est pas aussi difficile qu'on le prétend. Notamment la prononciation, parce que vous y avez fait allusion, ce n'est pas la plus grande difficulté du hongrois. Je pense que c'est pire dans l'autre sens pour un Hongrois de parler français, et les Hongrois sont toujours très généreux quand ils veulent complimenter les Français qui ont fait un peu de hongrois, mais nous, nous sommes admiratifs des Hongrois qui parlent français. Parce qu'apprendre le hongrois c'est apprendre une langue logique, c'est une langue différente du français, mais logique, avec une prononciation assez facile, une fois qu'on a appris les lettres doubles, et les a, á, e, é, etc. C'est une langue qui s'écrit comme elle se prononce et qui se prononce comme elle s'écrit, ce qui n'est absolument pas le cas du français. Je trouve que les Hongrois qui apprennent le français ont beaucoup plus de mérite que les Français qui ont essayé d'apprendre le hongrois. Et de fait, il y a énormément d'excellents francophones en Hongrie. Nous sommes heureux d'en retrouver absolument partout dans le monde politique, beaucoup évidemment dans le monde culturel, ou chez les journalistes. Ces francophones ont justement bénéficié de ce réseau qui existe en Hongrie, notamment avec les classes bilangues. Beaucoup de gens viennent du lycée Kölcsey, mais pas seulement. Beaucoup de gens sont passés par ELTE, mais pas seulement. C'est pour cela qu'il est très important de conserver ces structures, ce réseau d'enseignement du français ; parce qu'encore une fois, il profite à la Hongrie. C'est dans l'intérêt de la Hongrie d'avoir ce réseau d'enseignement qui permet, au bout du compte, d'avoir une partie de la population, une partie de l'élite qui parle et qui maîtrise le français, ce qui est un atout pour la Hongrie, et évidemment un atout dans la relation bilatérale.
JFB: L’enseignement des langues, y compris évidemment le français, fait partie intégrante du système scolaire hongrois. Récemment, l’Association Hongroise des Enseignants du Francais a été récompensée au 16e congrès mondial des professeurs de français à Besançon. Que pensez-vous de l’enseignement du français en Hongrie, et de l’avenir de cet enseignement ?
Jonathan Lacôte : Je disais que notre objectif est de maintenir notre place au sein de cet enseignement des langues en Hongrie, et notamment de consolider cette fameuse troisième place, sans être en concurrence vis-à-vis des autres langues. Mon impression, c'est que le français est très bien enseigné en Hongrie grâce justement à ce réseau de professeurs de français ; et c'est très important pour nous que ces professeurs de français, à travers la Hongrie, forment une association. Ce sont des gens qui se connaissent, avec qui nous sommes en contact, notamment l'Institut français. Nous pouvons donc beaucoup échanger avec les professeurs sur les méthodes pédagogiques pour que l'enseignement du français reste moderne ; parce que la pédagogie évolue. Quand une langue est enseignée de manière rébarbative, c'est totalement dissuasif pour les élèves. L'enseignement du français doit refléter les réalités du monde francophone contemporain. Il ne faut pas entretenir des images d'Épinal, mais permettre que le français ouvre sur le monde francophone et la France tels qu'ils sont aujourd'hui.
Tous les ans, au mois de novembre, nous organisons une journée internationale des professeurs de français. Je ne suis pas sûr que tous les pays fassent cela, mais nous, nous le faisons.
Ce qui est important pour nous aujourd'hui en Hongrie, et ce n'est pas de notre responsabilité, mais de la responsabilité des autorités hongroises, c'est qu'il y ait des recrutements de nouveaux professeurs pour remplacer ceux qui partent à la retraite. Parce qu'une réalité assez tangible, c'est que beaucoup de professeurs vont partir à la retraite dans les dix ans qui viennent. Il est très important que ces professeurs soient remplacés. Nous regardons donc de très près les effectifs dans les tanszék de français dans les différentes universités. Il paraît que cette année à ELTE, le chiffre est très élevé, tant mieux, mais il y aura beaucoup, beaucoup de professeurs à remplacer. Les états généraux que nous tiendrons au mois de juin permettront justement de poser cette question, de regarder avec les différents lycées quels sont ceux où les remplacements de professeurs de français sont urgents pour éviter que le français ne disparaisse de ces différents lycées. Si les universités nous disent qu’elles ne pourront pas remplacer tous les professeurs, il faudra se tourner vers le gouvernement pour voir quelles sont les solutions que l'on peut trouver pour que le français continue d'être enseigné.
Nous nous faisons un effort à travers la Fondation franco-hongroise pour la jeunesse qui déploie environ vingt-cinq lecteurs à travers le pays et ces vingt-cinq lecteurs enseignent dans une cinquantaine d'établissements à travers le pays. Mais s'il le faut, pourquoi ne pas envisager de recruter des professeurs francophones en dehors de la Hongrie qui viendraient enseigner en Hongrie. Il y a un professeur originaire du Bénin à Pásztó ; dans le passé des professeurs venant du Maroc ont enseigné au lycée Kölcsey Ferenc. Ce serait justement une ouverture sur le monde francophone au-delà de la France stricto sensu.
Nous savons que c'est un problème général ; beaucoup de systèmes éducatifs en Europe, et pas seulement en Hongrie, ont des difficultés de recrutement et, en particulier, des difficultés de recrutement de professeurs de langues. Il faut aussi regarder quelle sera l'évolution de l'usage des langues dans l'avenir. Quel rôle va jouer l'intelligence artificielle ? Quel sera l'avenir du métier de traducteur ? Du métier d'interprète ? Est-ce que nous allons continuer à apprendre les langues de la même manière ? À nous aussi de voir collectivement, et ce sera l'objectif des états généraux, comment rendre l'enseignement des langues - en particulier l'enseignement du français - adapté aux besoins qui seront ceux de l'avenir.
Propos recuellis par Éva Vámos et Csanád Cserháti