Corentin du Courrier d’Europe Centrale - Les Français de Budapest
Il est 16h32 ce samedi lorsque Guillaume Carré, l’animateur de Mauvaises ondes sur Tilos Radio, prend l’antenne accompagné de ses compagnons d’armes habituels. Parmi eux se trouve Corentin Léotard, correspondant pour le Figaro, La Croix, la Libre Belgique et Médiapart en Hongrie, mais surtout rédacteur en chef du Courrier d’Europe Centrale. La voix de Corentin résonne tranquillement au micro pour évoquer ce jour-là les dix ans de la crise des migrants de 2015, un sujet qu’il a couvert à l’époque pour de nombreux médias français. Le JFB a eu la chance de le rencontrer quelques minutes avant l’émission, chez Manyi, un ruine bar à la décoration alternative situé en face de la station.
Bien assis et vêtu comme à son habitude d’une casquette, ce natif du Loiret nous apprend qu'il a grandi près de Pithiviers, commune française de 9 000 habitants, loin de la capitale hongroise. Adolescent, il n’avait aucune vocation journalistique ; il se rêvait comme beaucoup d’ado en musicien célèbre, ou plus étonnement, en chauffeur routier ou moniteur d’auto-école, trouvant ces métiers intéressants sans être trop fatigants, ce qu’il imaginait parfaitement lui correspondre. Après le bac, Corentin s’oriente sans but précis vers des études de géographie à Orléans, se laissant guider par des petits choix de vie. Alors étudiant, un professeur lui suggère de tenter sa chance pour faire un Erasmus à Pécs, dans le sud de la Hongrie. Corentin accepte, porté par son intérêt marqué pour l’Europe centrale et l’ ex-Yougoslavie, qui ont rythmé l’actualité de son enfance. Sans qu’il le sache, cette succession de choix désintéressés va considérablement orienter sa carrière et plus largement sa vie vers ce coin du monde.
Dès la fin de son master de géopolitique en 2006, Corentin Léotard cherche à retourner en Hongrie, pays auquel il s’est attaché durant ses études et où il croit percevoir de nombreuses opportunités. En 2007, il décroche un stage au Petit Journal de Budapest, un site d’information destiné aux expatriés français. Il arrive dans la capitale hongroise peu après les émeutes qui ont secoué le pays, au moment où la société hongroise semble basculer. Ces nombreux mouvements dans le pays le stimulent et ne font que renforcer son intérêt pour ce dernier.
Par la suite, il part à Kiev pour travailler comme rédacteur web dans une start-up. En 2009, il rentre en Hongrie pour lancer, avec trois amis, un site d’information francophone sur l’actualité hongroise. Ce média s'appellera Hulala et débutera son activité au moment où Viktor Orbán s’apprête à revenir au pouvoir et où, la France commence à réellement s’intéresser à l’actualité hongroise. Hulala connaît alors un réel succès et deviendra au fil du temps, une référence en matière d’actualité politique hongroise pour les médias français.
Pendant quatre ans, Corentin mène une double vie : salarié dans une start-up d’un côté, rédacteur en chef d’Hulala de l’autre. À partir de 2012, il enchaîne également les piges, pour Ouest-France, La Libre, puis le monde Diplomatique et Mediapart. Mais le format court le frustre, il lui manque quelque chose et a besoin de plus. Il décide alors, avec plusieurs amis correspondant, de s’atteler à la rédaction d’un ouvrage nommé « La Hongrie sous Orbán ». « J’étais très fier du Courrier d’Europe centrale, mais ce n’était pas physique », confie-t-il. Ce livre collectif raconte une décennie passée au plus près des évolutions politiques du pays, douze années à documenter le virage autoritaire hongrois sous le commandement de Viktor Orbán.
Pour lui, Orbán est guidé par un revanchisme flou, une hostilité tenace envers les élites intellectuelles de Budapest, accusées de mépriser la province. « Orbán a besoin d’un adversaire », résume-t-il. Au début du Fidesz, se souvient-il, les militants voulaient convaincre, persuader que l’Europe finirait par comprendre leur combat et leur méthode, mais les réformes autoritaires du parti n’ont fait que freiner les rapprochements. Pour autant, Corentin n’a jamais perdu son attachement à la Hongrie. Il aimait Budapest avant le Fidesz et aime toujours la vie ici. Il admet cependant garder la nostalgie d’une époque qu’il décrit comme « l’apogée culturelle » de la vie Budapestoise. « La nostalgie rend la Hongrie sexy », glisse-t-il, un sourire en coin.
Corentin est aujourd’hui rédacteur en chef adjoint du Courrier des Balkans, un média qu’il considère depuis longtemps comme un modèle. Mais sa plus grande fierté professionnelle reste bien-sûr son expérience du Courrier d’Europe centrale, dans ses archives d’articles, au sein de cette aventure collective. Cette aventure humaine, réalisée avec peu de budget, lui a laissé des souvenirs marquants.
De Pithiviers à Budapest, de la géographie à l’écriture, Corentin Léotard s’est inventé un parcours à son image : discret, opiniâtre, ancré dans l’observation patiente d’une partie de l’Europe souvent mal comprise. Une vie guidée par la curiosité et la découverte d’une région qui l’a vu évoluer au fil des années.
Paul Rabeisen