Personne ne conteste la place de l’homme dans la révolution
De l’ordre de 200 œuvres féminines - tant historiques que contemporaines - se trouvent au sein de la Galerie de Budapest du 17 juillet au 5 octobre. L’exposition, intitulée « Personne ne conteste la place de l’homme dans la révolution », s’articule autour de l’art des femmes tout au long de l’histoire moderne, dévoilant ainsi des adversités (particulièrement la méconnaissance et la marginalisation), auxquelles fait face la valeur prégnante (autant culturelle que politique) exprimée par ces œuvres.
Le titre fait allusion au statut singulier de l’homme ; en dépit des fluctuations socioculturelles façonnant les expériences individuelles et collectives, la place masculine demeure normative, gravée dans le marbre - à laquelle la position féminine est souvent secondaire. En révélant ce phénomène, l’exposition met les femmes et leurs histoires (notamment la création d’un tapis) au centre.
Un tapis révolutionnaire
La construction de l’Académie hongroise des sciences (MTA) - haut lieu de la culture et de la science - a été jalonnée de défis profonds; à peine le bâtiment était-il érigé, il est apparu clairement que les investissements n’étaient guère convenables - laissant l’intérieur vide. Antónia Szőgyén Jánosné Bohus, activiste, a pris connaissance de ces nouvelles ; dans le but d'enjoliver l’Académie, elle a initié un appel à la communauté afin d’y tisser un tapis fleuri. Au final, plus de 160 femmes - issues de classes, religions et âges divers - se sont réunies et la pièce décorative gigantesque a été réalisée, puis installée dans l’Académie en 1867.

La création du tapis - symbole tangible de l’autorité de l’Académie à travers les régimes - porte un message politique majeur ; en apparaissant dans l’acropole culturelle et scientifique, les femmes se sont présentées devant le grand public et ont exprimé leur volonté de rejoindre la communauté internationale. Outre la signification symbolique, une déclaration politique vigoureuse s’y trouve également: puisque la plupart des tisseuses étaient les veuves et orphelines des révolutionnaires de 1848/49, le tapis incarne la résistance contre la tyrannie et la détermination pour la pensée libre.
Aujourd’hui, la valeur symbolique de la pièce demeure éminemment significative. À une époque où la culture et la science sont mêlées, voire perturbées par le pouvoir en place, tandis que l'indépendance de ces domaines - à cause de la privatisation ou de l’insoutenabilité - reste floue, les œuvres démontrant l’unité et l’égalité sont cruciales.
« Pour une patrie libre et indépendante »
Ainsi s’exprime un drapeau de la révolution hongroise de 1848, présenté au sein de la galerie ; l’exposition met en exergue l’engagement féminin dans le combat sanglant pour la liberté - vu que personne ne conteste la place de l’homme dans la révolution. Une multitude de pièces historiques du patrimoine - y compris les banderoles confectionnées par ces militantes et une réimpression du premier journal hongrois - sont visibles, illustrant le travail aussi révolutionnaire qu’invisible des femmes à l’époque.
Au-delà des œuvres nationales, des pièces articulant les problèmes épineux du XXe siècle sont également présentées. L’exposition donne à voir une série de Malgorzata Mirga-Tas, artiste et activiste polonaise, intitulée « Romani Kali Daj » (Madonna Rom), témoignant de l’évolution de l’identité Rom après la transition démocratique. Quoique la plupart des groupes ethniques soient parvenus à établir librement leur identité à cette époque, la position culturelle et identitaire des Roms est restée intensément marquée par les tabous imposés par la majorité. En un sens, les images de Mirga-Tas pourraient être considérées comme des corrections biographiques ; l’artiste démasque l’image trompeuse véhiculée par la majorité à propos des Roms, révélant ainsi la vraie identité du groupe.
L’exposition n’hésite pas à aborder les difficultés contemporaines, dévoilant des compositions qui tournent autour du féminicide et du SIDA ; dans un temps de graves secousses politiques, la portée d’une présentation aussi approfondie est énorme.
La Galerie de Budapest (1036 Budapest, Lajos utca 158) accueille « Personne ne conteste la place de l’homme dans la révolution » jusqu’au 5 octobre, offrant une occasion rare de s’immerger tant dans les problèmes politiques que culturels, historiques comme contemporains.
Csanád Cserháti