Vuvuzela

Vuvuzela

Échos de la francophonie

La chronique de Dénes Baracs

“La star de cette coupe du monde n’est pas l’équipe de France, rassurez-vous, mais la vuvuzela” – avait écrit, avant la défaite des Bleus, un commentateur prophétique. Il avait raison, parlons donc de la fameuse vuvuzela.

En lisant la première description de cette désormais célèbre trompette synthétique, j’étais incapable d’imaginer le son caractéristique et fort qu’elle produisait et qui a trouvé depuis un écho peu enthousiaste parmi les 4 milliards de téléspectateurs du monde entier (à l’exception des Sud-Africains, inventeurs et fans de cet instrument).

A l’instar d’un virus informatique, la vuvuzela est un produit caractéristique de notre époque: un outil qui nous empêche de savourer les plaisirs du monde moderne et qui arrive à l’aide de la technologie la plus pointue. De plus, elle représente la couleur locale, un zumzum continu et fort, difficile à filtrer sur nos téléviseurs. Et pour sûr, nous recevrons l’une de ces trompettes vuvuzela en cadeau de la part de ceux qui se sont rendus à l’autre bout du monde pour… respirer le même air que les magiciens du ballon rond. Je songeait à écrire “pour voir de près ces prestidigitateurs”. Erreur: il est plutôt conseillé de rester chez nous, collé à nos fauteuils parce que l’électronique de notre temps nous rapproche des joueurs beaucoup plus qu’un éventuel accès à la tribune. Qui d’autre pourra voir avec une telle précision l’expression du buteur, en premier plan, en train de se concentrer sur un tir, qu’une caméra automatique? C’est tellement vrai que, de nos jours, les stades sont, eux aussi, dotés d’écrans géants. Si les fans sur place ratent l’instant du but, ils pourront le ré-admirer ultérieurement tout comme nous, chez nous.

Malheureusement les dieux des stades ne nous ont pas offert beaucoup de ces buts durant les premiers jours de la compétition à l’heure où j’écris cette chronique. Et si ces instants de gloire (pour les uns) et de défaite (pour les autres) sont encore rares, nous pouvons déjà arriver à certaines conclusions. On ne peut pas surestimer le fait que, pour la première fois, c’est le continent noir qui accueille ces rencontres – l’Afrique qui, dans le passé récent, a déjà donné beaucoup de joueurs aux équipes européennes. Pour le chroniqueur, la présence de plusieurs équipes africaines francophones est un motif de satisfaction supplémentaire. En plus, nous pouvons admirer les fantastiques stades de ce pays libéré du système de l’apartheid et apprécier sa modernisation galopante.

Mais sous les feux des projecteurs braqués sur l’Afrique du Sud, nous constatons aussi que les problèmes hérités du passé, les énormes différences sociales, ne peuvent pas disparaître d’un jour à l’autre, elles ont même tendance à s’accroître, les grèves pendant le Mondial en témoignent - tout comme les problèmes de sécurité. Et au-delà des frontières du pays hôte, l’Afrique ne peut pas savourer pleinement la grande finale sur son sol car les billets sont trop chers pour l’écrasante majorité de ses habitants.

Mais ceux qui peuvent être présents sur les tribunes des stades du Mondial ne sont qu’une infime minorité. La majorité, c’est nous, qui suivons les jeux sur nos écrans. C’est une affaire en or pour les grandes chaînes de télévision, pour Internet qui nous fournit des milliers de détails en continu sur les rencontres, pour les fabricants de télévisions, pour les annonceurs, pour l’industrie des souvenirs. La compétition devient ainsi une espèce de Viagra temporaire pour toute l’économie mondiale, affaiblie par les différentes bulles financières, crises immobilières et autres.

En plus, nous pouvons vivre ensemble tous les rencontres du Mondial. Trois fois par jour (au moins dans la phase éliminatoire) nous regardons aux mêmes moments les mêmes rencontres. Nous avons suivi les instants de délire collectif en Suisse et de désolation nationale en Espagne après la victoire de la première sur la seconde – même si les Espagnols étaient nettement supérieurs. Le foot est une leçon pour tous: la force de l’équipe et la maîtrise du terrain n’est pas tout, on a aussi besoin de la chance, la balle est ronde sur notre Terre. Oui, mais notre sens d’équité serait malmené en cas d’une victoire finale non méritée.

Là aussi, tout est relatif. Finalement, l’équipe gagnante existe(ra)-t-elle? Oui, pour le temps de ce championnat - mais le foot professionnel est un business à part et international, les vraies équipes sont celles des grands clubs riches qui achètent leurs joueurs pour des millions d’euros et dollars et dans tous les coins du globe. Et dans les clubs, les adversaires qui se confrontent au Mondial jouent souvent côte à côte, guidés par le même entraîneur et par le même intérêt. Après la longue sélection, la phase finale du Mondial ne dure que quelques semaines. Une fois la compétition passée, le rêve des nations glorieuses se dissoudra dans la réalité multinationale des clubs et des championnats nationaux.

Mais pendant tout ce long mois d’été, nous ne cesserons d’écouter la vuvuzela.

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