Quand il est midi à Budapest, quelle heure est-il à... Moscou?

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Le gaz russe arrive de partout ...et tout le monde en veut

Il y a mille et une manières d'allumer l'Europe, dans tous les sens du terme. Un concept que le gouvernement russe, à travers le géant gazier Gazprom, semble avoir bien compris. 

Avec les projets North Stream et South Stream, lancés dans la “noble ambition” d'assurer à l'Europe un approvisionnement énergétique fiable et continu, le Kremlin accumule les victoires diplomatiques et n'en finit plus de diviser les Européens. Le 12 février dernier, les autorités finlandaises ont délivré le dernier permis requis pour la construction du gazoduc Nord Stream, qui devrait être mis en service d'ici à la fin 2011, malgré la furie des Etats baltes et de la Pologne. En Ukraine, pays de transit crucial, la récente victoire du candidat pro-russe Viktor Ianoukovitch a virtuellement éliminé toute menace d'une nouvelle «guerre du gaz» dans les années à venir. Plus au sud, c'est un véritable triomphe que rencontre le projet de gazoduc South Stream.

Bien plus qu'un gazoduc

Le projet est simple: d'ici à 2015, 900 kilomètres de tubes devraient relier le Caucase russe à Baumgarten, un échangeur majeur situé en Autriche. La première partie du trajet se ferait sous la mer Noire, par endroits à plus de 2000 m de profondeur. L'évitement de la Turquie et de l'Ukraine comme pays de transit fait l'objet d'un large consensus. Mais quand le gazoduc arrive sur les côtes européennes, les marchandages politiques commencent. Après avoir été l’un des premiers pays à rejoindre le consortium South Stream, la Bulgarie semble sur le point d'être éjectée du projet, accusée d'avoir voulu jouer double jeu avec Nabucco, le projet concurrent soutenu par les Etats-Unis et l'Union Européenne (UE). De son côté, le gouvernement roumain a annoncé fin février son intention de participer pleinement au projet, tandis qu'Alexander Medvedev, directeur exécutif de Gazprom pour les exportations, vantait la «situation stratégique parfaite» du pays et l'envisageait comme «point de départ de la section européenne du gazoduc».

Cet épisode révèle le pouvoir d'influence de Gazprom, qui ne cesse de rallier des partenaires à son projet. Ce sont maintenant neuf pays qui se préparent au passage du gazoduc sur leur territoire. Dernière recrue: la Croatie, dont le Premier Ministre a signé un accord de coopération en présence de son homologue Vladimir Poutine le 2 mars dernier. Une signature qui pourrait menacer la Hongrie, partie prenante à la fois de South Stream et de Nabucco, du même traitement que la Bulgarie. Beaucoup va dépendre de l'attitude du prochain Premier Ministre. Le favori des élections, Viktor Orbán, a ainsi promis à ses électeurs une indépendance énergétique d'ici vingt ans. Une idée qui s'accommoderait mal d'une incertitude sur la question des gazoducs.

Et le consortium a les moyens de faire durer le suspense. Fort du soutien politique du Kremlin, il est piloté par trois géants européens de l'énergie: Gazprom bien sûr, mais aussi l'italien ENI et le français GDF Suez, qui vient d'acquérir, le 1er mars, 9% des parts du groupe, avec la bénédiction du président Sarkozy. Malgré la crise, les 25 milliards d'euro nécessaires à la réalisation du projet ne devraient donc pas être difficiles à trouver.

Vous avez dit diversification des sources?

Dans le même temps, l'idée d'une diversification des sources d'approvisionnement, portée par les promoteurs de Nabucco, semble de plus en plus irréalisable. Même la Commission européenne, traditionnellement une vive opposante à South Stream, a évoqué le 2 mars la possibilité de son soutien au projet, à condition qu'il «remplisse les exigences techniques de sécurité». Et Paolo Scaroni, représentant d'ENI, de surenchérir, le 11 mars, en suggérant que les deux gazoducs «fusionnent» sur certains tronçons de leurs routes, afin de réduire les coûts de construction. Autrement dit, de permettre à South Stream d'accéder aux robinets de Nabucco. C’est donc la question des relations UE-Russie, incontournable, qu’il faudra définir dans un futur proche.

Sébastien Gobert

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