Paris sous le nuage du volcan

Paris sous le nuage du volcan

Échos de la francophonie:

La chronique de Dénes Baracs

Jamais Paris ne me sembla aussi belle que lorsqu’elle était survolée par ce fameux nuage de cendre émis par le volcan islandais au nom imprononçable. Air de printemps, soleil doux, des lumières chaudes, toutes les nuances du vert dans les jardins publics et du bleu sur les vagues de la Seine, ciel impeccable et sourire incrédule sur le visage des touristes.

Cette dame avec l’accent anglais: «Pardon, Monsieur, le cathédrale blanc au sommet de la colline, serait-ce peut-être le Sacré-Coeur? - Mais bien sûr, Madame!». Visage ébloui: «Oh Mon Dieu!». Le plan de la ville en main, elle se tourne vers cette découverte irréelle qui apparaît tel un ange au-dessus de la ville.

Munis de nos billets retour, nous étions encore en train de savourer tous les plaisirs des retrouvailles avec la ville-lumière quand, loin de nous, le volcan commençait déjà à cracher ses vapeurs et ses laves immondes et noirâtres, perçant la glace islandaise blanche et immaculée. L’annonce de l’éruption – un membre de la famille qui devait nous rejoindre nous a téléphoné pour se désister à cause de la fermeture de l’espace aérien – nous a laissés perplexes. J’ai fait remarquer à mon interlocuteur que je trouvais un peu exagéré de mobiliser de telles forces naturelles juste pour empêcher une petite réunion familiale, ce qui l’avait fait rire malgré tout. Mais nous avions encore une belle semaine devant nous pour renouer avec nos souvenirs et avec nos amis de Paris et revoir les grands musées et théâtres – donc pas de souci, pensais-je.

Et Paris nous accueillit comme si, depuis notre dernier séjour, ne s’étaient pas écoulé plus de mille jours et, depuis la fin de mon mandat de correspondant, n’étaient pas passées presque trois décennies. Du second étage de la Tour Eiffel, le panorama grandiose éclairé par les rayons du soleil nous a ébloui une fois de plus – les infimes et méchantes particules du volcan étant invisibles et n’ont donc rien ôté de cette splendeur urbaine. Paris est devenu encore plus riche, de nouveaux édifices de choc tel le musée du Quai Branly complètent l’ensemble classique et, à l’horizon, des tours jusqu’ici inconnues nous saluent. Descendus de ces hauteurs, nous avons retrouvé une ville encore plus multicolore, pleine de vie, de mouvement, de luxe, de culture – et de contradictions.

Décontraction de la multitude internationale mais aussi des militaires armés et vigilants sur la pelouse autour de la Tour Eiffel – le terrorisme a changé quelque peu la donne. Des boulevards remplis de visiteurs venus de tous les coins du globe, des gens heureux qui consomment leur café ou déjeunent sur les terrasses chauffées des brasseries. Et à quelques mètres d’eux, des SDF – on m’explique que cette expression désigne les personnes Sans Domicile Fixe. Autrefois c’était plutôt la couleur locale, les clochards parisiens – maintenant on parle de phénomène de société.

La lutte des classes n’a pas disparu non plus, les cheminots étaient en grève comme au bon vieux temps et, sur le parvis de l’Hôtel de Ville, nous avons croisé une foule militante avec des drapeaux rouges et un orateur flamboyant qui a fustigé l’exclusion. C’était une action syndicale pour la régularisation des sans-papiers, ils étaient nombreux, surtout des gens de couleur qui se sont dispersés parmi les touristes curieux à la fin de la manifestation. C’est ainsi que nous avons croisé les nouvelles réalités de la ville. Tension devant l’Opéra, on attend la délégation d’un pays au coeur des conflits internationaux: cordons, voitures de police partout, des gendarmes qui arborent une expression énigmatique quand vous leur posez une question sur la nature de l’événement qui se prépare avec un tel renfort.

Au même moment, le nuage de l’Eyafjöll restait toujours invisible au-dessus la ville tout en devenant de plus en plus menaçant et angoissant sur les écrans de télévision, dans les journaux. De retour de nos heureuses promenades, nous nous sentions de plus en plus transformés en naufragés virtuels de l’éruption. Nos billets de retour en poche ne nous rassuraient plus: on nous ont expliquait sur les ondes que la réouverture du ciel restait plus qu’incertaine.

C’est ainsi que nous avons appris, à Paris, la capitale peut-être la plus raffinée et sophistiquée de la civilisation occidentale, qu’il faut relativiser les acquis de notre globe mondialisé, informatisé et “réseautisé”. L’académicien Jean d’Ormesson a conclu dans le Figaro que le nuage volcanique qui traverse l’Europe “ramène les hommes à leur modeste condition”.

En suivant sur le petit écran de notre chambre d’hôtel l’immense feu d’artifice sur le glacier islandais, nous devions comprendre l’effroi de nos ancêtres impuissants. Personne ne peut dompter ces forces réveillées de leur sommeil souterrain, ni prédire avec exactitude leur comportement. Le plus célèbre des volcanologue islandais est lui-même resté coincé à Paris durant les jours les plus critiques car ni lui ni ses collègues n’avaient réussi à prévoir l’imminence de l’éruption.

Nous avons donc passé nos deux derniers jours à Paris à chercher un moyen de retour terrestre au cas où le trafic aérien resterait bloqué. Tâche compliquées alors que des dizaines de milliers de voyageurs étaient à la recherche de la même chose. Issue heureuse: pendant que nos amis hongrois nous proposaient une voiture en cas de prolongement de la paralysie aérienne, les autorités rouvraient le ciel et finalement nous sommes rentrés le jour prévu à Budapest.

D’autres n’ont pas eu cette chance, ils sont encore bloqués aux différents coins du monde à l’heure où j’écris ces lignes. Nous vivons tous sur un volcan qui peut nous surprendre à n’importe quel moment et n’importe où. Ce qui n’était jusqu’ici qu’une image littéraire est désormais une réalité.

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