Opéra: une heureuse (re)découverte, Armida de Haydn sur la scène de Budapest (studio Eiffel)
Rentrant de la représentation d’un opéra de Haydn à la cour des princes Esterházy, Marie-Thérèse déclara un jour. „Pour assister à un bel opéra, c’est à Esterháza qu’il faut se rendre”. Car, s’il est célèbre pour ses quatuors, symphonies, œuvres chorales et instrumentales, Haydn l’est moins pour ses opéras. Et pourtant, d’après un catalogue qu’il en a dressé lui-même, il nous en a laissé près d’une vingtaine, pratiquement tous écrits pour la cour des princes hongrois (1). Certes, de valeur inégale, mais tous charmants, n’atteignant pas néanmoins, ce qu’il concédait volontiers, la perfection des opéras de Mozart.

Pour cette saison, les programmateurs de l’Opéra de Budapest, ont choisi de représenter Armida dans une co-production avec l’Opéra de San Diego. Les interprètes: Emily Helenbrook (Armida), Botond Pál (Rinaldo), Katherine Malone (Zelmira), Norbert Balázs (Idreni) et Tyrese Byrd (Ubaldo). Accompagnés par l’orchestre de l’Opéra placé sous la baguette de Péter Kozma. Dans une mise-en-scène d’András Almásy-Tóth.
Créé à Esterháza en 1784, Armide était, dit-on, l'opéra préféré du compositeur, souvent joué de son vivant, pour disparaître de la scène au XIXe siècle et ne réapparaître qu'au milieu du XXe siècle.
Le livret (divisé en trois actes) est inspiré du poème épique de l'italien Torquato Tasso "La libération de Jérusalem", publié en 1581, qui nous conte une histoire d'amour entre une sorcière païenne et un chevalier chrétien.

En deux mots: Rinaldo est un valeureux guerrier. Armida est envoyée pour stopper les chrétiens dans leur mission, et s'apprête à tuer le chevalier alors qu'il est endormi, mais elle tombe amoureuse de lui. Elle crée alors un jardin enchanté pour le garder auprès d'elle. Il ne résiste pas aux charmes d'Armida, mais deux de ses compagnons de croisade le rappellent à son devoir de chrétien, l’incitant à délaisser sa compagne. A la fin du poème, les chrétiens gagnent la bataille sur les païens, et Armida se convertit au christianisme pour suivre Rinaldo. Dans la version de Haydn, Armida ne se convertit pas mais jure de le poursuivre partout. Nombre de peintres et compositeurs se sont inspirés du poème de Tasso: Haydn, mais aussi Monteverdi, Lully, Haendel, Vivaldi, Gluck, Rossini, voire Dvorak.
Ce qu’en dit la critique: „Dans cette œuvre (où les duos alternent avec bonheur), Haydn s’affirme une fois de plus comme un grand peintre (scène de la forêt enchantée). Relativement brève, d’un niveau d’inspiration remarquable, l’œuvre mérite qu’on lui accorde plus fréquemment sa chance.” (P. Kamisnki) Voilà qui est chose faite… Alors?

Un premier constat: pas de scène, ni de gradins, mais une salle de plain-pied, l’orchestre étant pratiquement intégré au public, un public placé entre trois podiums, disposés au centre et sur les côtés, entre lesquels évoluaient les acteurs. Un choix à premier abord surprenant, le metteur-en-scène ayant ainsi voulu recentrer l’action sur les seuls personnages et y intégrer le public. Ni accessoire, ni décor, sinon un grand écran représentant la forêt enchantée. Une représentation à mille lieues des représentations traditionnelles auxquelles nous sommes habitués, a fortiori s’agissant de Haydn. En compensation bien servie par des acteurs impliqués. En tête desquels la soprane américaine Emily Helenbrook dans le rôle-titre et le jeune ténor hongrois Botond Pál en Rinaldo, Décrite par un magazine américain comme „offrant une voix cristalline et d'une beauté envoûtante" Emily Helenbrook se produit régulièrement sur les scènes d’Amérique, notamment à l’Opéra Neo de San Diego dont elle a rejoint la troupe. Ce soir, bien dans son rôle, tantôt tendre, tantôt farouche. Pour lui donner la réplique, le jeune ténor hongrois, s’il possède une voix peut-être encore un peu jeune, nous a servi un jeu remarquable, infatigable, quoique que pratiquement sollicité de bout en bout. Pour le reste, je n’aurai rien à ajouter, les autres rôles étant tout aussi bien tenus. Un mot au passage sur l’orchestre qui sonnait bien - je me trouvais assis entre les trompettes et le timbalier… - mené par un chef aux gestes précis, offrant une direction énergique.
Ce qu’il faut savoir, est que les deux formations représentées ce soir, l’Opéra Neo de San Diego et l’Opéra Studio de Budapest, se sont toutes deux données pour mission d’encourager de jeunes chanteurs et de les lancer dans des rôles les mettant en valeur auprès du public. Ce qui explique probablement le parti pris par le metteur-en-scène (lui-même directeur artistique de l’Opéra Studio). Sur ce plan, ce fut une réussite - largement saluée par le public -, mais pour l’amateur de Haydn que je suis, j’avoue être un peu resté sur ma faim (2).
Pierre Waline
Crédit photos: Attila Nagy
(1): pour les plus importants, Antal Dorati nous en a laissé des enregistrements que je ne saurais que recommander. Pour „Armida”, signalons encore un enregistrement réalisé par N. Harnouncourt avec en solistes C.Bartoli, P.Petibon et Ch.Prégardien.
(2): le même spectacle sera produit sur deux représentations en juillet prochain aux États-Unis.