Gyula, François, Paul et les autres…

Gyula, François, Paul et les autres…

La fête de la francophonie nous donne l’occasion de dresser un panorama de la littérature francophone en langue hongroise. De Jules Verne à Amélie Nothomb en passant par Robert Merle, la littérature francophone se porte bien en Hongrie. Des arbres qui cachent toutefois une forêt d’auteurs incontournables dans leur pays et qui restent méconnus des Hongrois.

 Anna Gavalda ou Amélie Nothomb font partie des auteurs à la mode dont les œuvres ont toutes été traduites en hongrois. Un succès en librairie que renforce voire précède la sortie en salle de films adaptés de certains romans, comme Ensemble, c'est tout, adapté au cinéma par Claude Berri en 2007, ou encore Stupeur et tremblements par Alain Corneau en 2002.

A l’occasion d’un colloque organisé en novembre dernier par le CIEF (Centre interuniversitaire d'études françaises) de Budapest, et consacré notamment aux traductions littéraires entre 1989 et 2009, Thierry Fouilleul a dressé une liste exhaustive des œuvres littéraires francophones traduites en hongrois depuis 20 ans.

Deux grandes tendances se dégagent à la lecture de cette étude: il existe d’une part des auteurs phares, dont les traductions sont publiées et republiées d’année en année, et d’autre part des auteurs considérés comme incontournables dans leur pays, mais qui n’ont jamais été publié en Hongrie au cours des 20 dernières années.

Les auteurs phares

Dans la première catégorie, Jules Verne (connu sous son nom magyarisé: Verne Gyula) tient le haut du pavé, et de loin, avec 145 parutions en 20 ans! Avec 94 parutions, Robert Merle est quant à lui célèbre pour ses romans réalistes, comme Week-end à Zuydcoote (prix Goncourt en 1949), mais surtout pour ses romans historiques, en particulier à travers la série Fortune de France, vaste fresque historique s'étendant de 1547 à 1661 et déclinée en 13 volumes. Parmi les auteurs classiques citons Voltaire, dont le Candide est réédité d’année en année, aidé en cela par le fait qu’il s’agisse, depuis plus de 20 ans, d’une lecture scolaire obligatoire.

Candide reste toutefois la seule œuvre de Voltaire qui connaisse un tel succès d’édition, puisque ses Lettres philosophiques n’ont quant à elles été publiées qu’une seule fois au cours de la même période.

Autre auteur français incontournable: François Villon, dont on peut sans doute affirmer sans se tromper qu’il est mieux connu en Hongrie qu’en France à l’heure actuelle. Également au programme des lectures scolaires obligatoires, Villon a eu le privilège d’être traduit par de nombreux et grands poètes hongrois, parmi lesquels Attila József, Szabó Lőrinc, Sándor Weöres, Árpád Tóth, Dezső Kosztolányi ou encore György Faludi. Il ne s’agit pas forcément de traductions fidèles, mais elles ont eu le mérite de populariser cet auteur: «Les Hongrois connaissent “un” Villon, qui n’est pas forcément le même que l’on connaît en France et qui dit peut-être aussi autre chose…», précise Thierry Fouilleul.

Autres grands succès de librairie: Alexandre Dumas, avec 46 publication en 20 ans, St Exupéry et son Petit Prince, réédité d’année en année avec toujours autant de succès, mais aussi l’écrivain belge francophone Georges Simenon, auteur de la série des Maigret. Sans oublier un autre écrivain belge, Gilbert Delahaye, auteur des Martine, célèbre série de livres illustrés publiée depuis 1954 (Martine va à la mer, à la montagne, à la ferme, fait la cuisine, de la voile, de l'équitation, etc.). Depuis sa création, cette série de littérature enfantine, qui compte 59 titres au total, a connu un tirage total d'environ 85 millions d'exemplaires dans un grand nombre de pays, parmi lesquels la Hongrie où sont même réédités des titres datant des années 1950 (et qui ne reflètent pourtant pas l’image d’une société des plus modernes…).

Pour parfaire cet aperçu des auteurs francophones à succès, nous ne pouvons manquer de mentionner également le théâtre du XVIIe, et Molière tout particulièrement, mais surtout les auteurs en prose des XIXe et XXe siècle, de Guy de Maupassant à Boris Vian en passant par Anatole France.

Les auteurs plus confidentiels

De cette liste sont toutefois absents un certain nombre d’auteurs, comme Henri de Montherlant, l’Abbé Prévost, Jules Renard, Nathalie Sarraute, Jean Anouilh, Marcel Aymé, Alphonse Daudet, Jean Giono ou encore Jean Giraudoux. «Cela ne signifie pas qu’ils n’ont jamais été traduit, mais qu’en 20 ans ils n’ont pas été réédités. Il est certes possible de se les procurer dans les librairies d’occasion, mais – et cette question fut l’objet d’un débat lors du colloque en novembre dernier – est-ce sain, pour avoir accès à la littérature française et francophone, de n’avoir d’autre choix que de chercher ces auteurs dans une librairie d’occasion? D’un point de vue éditorial en tous cas, cet argument n’est pas viable», souligne Thierry Fouilleul.

Si les traductions, et donc les commandes d’éditeurs hongrois, dépendent de critères marketing et de perspectives de ventes, certaines maisons d’édition prennent pourtant le risque de traduire et de publier des auteurs quasiment inconnus en Hongrie. C’est le cas de la petite maison d’éditions Bozóthegyi Kiadó qui a publié en 2009 son premier livre: Ailleurs de Henri Michaux. «C’est un miracle!» s’exclame d’emblée Péter Márton, le directeur de cette petite et jeune structure. «Katalin Juhász avait traduit plusieurs auteurs français auparavant, comme Francis Ponge, Eugène Ionesco ou Emil Michel Cioran. La plupart d’entre eux étaient publié par la maison d’éditions Orpheus Kiadó mais ils ont depuis rencontré des difficultés et nous avons décidé de lancer notre propre société». Dans les années 1970 il existait déjà une anthologie de Henri Michaux en hongrois, puis rien jusqu’en 2002 avec la traduction de La nuit remue suivie de Poteau d’angle.

Cet ouvrage, Ailleurs, publié dans le cadre du Programme d’aide à la publication Kosztolányi, a bénéficié du soutien du ministère français des Affaires étrangères, de l’Ambassade de France en Hongrie et de l’Institut français de Budapest. Sa publication a en outre été encouragée par une subvention accordée par la communauté française de Belgique et du ministère de la culture belge. Editer Michaux est un choix de cœur de la part de Péter Márton et Katalin Juhász, qui rencontrent les plus grandes difficultés à distribuer l’ouvrage auprès des libraires hongrois. Ils ne semblent pourtant pas découragés par cet accueil plus que timide: «Nous allons tenter de continuer… toujours avec Michaux».

Frédérique Lemerre

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