Échos de la francophonie: Champions d’hiver

Échos de la francophonie: Champions d’hiver

La chronique de Dénes Baracs

 Si la Hongrie n’est pas exactement le plat pays “avec des cathédrales pour uniques montagnes” évoqué par Jacques Brel (notre Mont Blanc, le Kékes, dépasse à peine les 1000m), du point de vue des sports d’hiver nous ne sommes pas loin de cette définition. J’ai donc suivi avec intérêt la performance des quelques braves athlètes rouge-blanc-verts qui ont fait le long voyage vers Vancouver pour défendre nos modestes chances. Avec intérêt mais en sachant que dans la multitude des habitués des sports d'hiver et de la montagne, ce serait déjà un exploit que d’arracher une place parmi les 10, 20 ou 50 premiers. Un palmarès plus nourri passe pour un rêve dont je ne peux connaître l’issue au moment d’écrire ces lignes.

Pourtant, depuis l’antiquité, les héros de tous les jeux olympiques furent des CHAMPIONS. Leurs noms étaient immortalisés sur les stèles et ils avaient droit à une statue dans leur ville natale, à une rente à vie, etc. Et quand le baron Pierre de Coubertin a ressuscité, à la fin du XIXe siècle, cette noble tradition, il a eu beau dire que ce n’est pas la victoire qui est importante mais la participation, je ne peux que constater que le culte du vainqueur domine les Jeux quadriannuels, qu’ils soient d’été ou d’hiver.

Pourtant, la participation elle-même devient un honneur, un rang, résultat de tant de concours et d’une si longue et rigoureuse sélection. Sans participants, ces champions n’existeraient pas non plus. L’excitation planétaire des Jeux nait justement du simple fait que, en théorie, tous ceux qui y arrivent peuvent devenir des champions. Mais avouons tout de même que, pour nous, l’important c’est de voir ces derniers, soutenir leur accession au titre suprême et partager la joie de leur triomphe ou le drame de leur défaite. Qui fut le second en slalom géant aux JO de Grenoble? Il faut être un historien du sport pour se le rappeler, mais nous savons tous que le vainqueur fût un certain Jean-Claude Killy, légende nationale dans l'hexagone et dans le monde entier.

Rubrique oblige, dans ma quête de l’or (des autres) j’ai donc surtout suivi les athlètes francophones dans le Babel multicolore des finalistes des différentes épreuves. Déjà, le troisième jour m’offrit deux jeunes et beaux champions français en me montrant toute la splendeur et toutes les incertitudes de leurs disciplines. Je parle de Vincent Gay, médaille d’or en triathlon, et de Jason Lady-Chappuis, vainqueur à Vancouver en combiné nordique. L’un devait remercier la nature pour sa victoire quand l'autre devait combler le retard que le changement météo lui imposa.

C’est bien là la magie de ces jeux d’hiver: cette étroite relation (de dépendance) avec la nature toute puissante. Dans le cas du premier, son parcours a commencé par un temps idéal, il a tiré sans faute et a bien skié. Pourtant les adversaires les plus redoutables qui devaient courir après Gay auraient pu lui ravir le titre si le vent n'avait pas changé entretemps et que les flocons ne lui avaient pas assurer une victoire surprise. Cadeau du ciel, mais aussi récompense d’une carrière tenace.

L’histoire de Lady-Chappuis est au contraire celle d’un favori qui, avant les jeux, avait ramassé tous les titres possibles dans sa discipline mais qui devait subir les aléas de la météo. Le combiné nordique consiste en un saut sur un petit tremplin et d'un parcours de 10 kilomètres en ski de fond. Je dis «petit tremplin» mais, bien sûr, j’ai le vertige rien qu'en regardant cette construction qui s’ouvre sur le vide pour y lâcher ces cinglés de skieurs volants quelques 90 à 100 mètres plus bas. Des images éblouissantes que celles de ces hommes-oiseaux qui dirigent leur vol par de minuscules mouvements de la main ou de l’épaule, tous vêtus de combinaisons riches en couleurs et se concentrant sur le grand blanc qui les attend en bas. Pourtant, la voix incontournable des reporters nous annonce, après le saut de Lady-Chappuis de plus de 100 mètres, que sa performance est malheureusement en deçà des attentes, ses concurrents ayant déjà atteint plus de 105 mètres, ce qui veut dire que ses chances de décrocher l'or sont désormais compromises.

Mais quand je le revois, 1h plus tard, sur la piste de ski de fond, il a déjà dévoré la différence de temps imposée par sa performance de saut moins brillante et – bruyamment encouragé par les Français au bord de la piste – il tente de rattraper l'américain en tête. Et ce qui semblait improbable devient soudain possible. En escaladant une colline, il réduit significativement la distance qui le sépare du leader et, dans les derniers mètres – où les commentateurs perdent leur voix d'émotion – il le devance pour de bon, franchit le premier la ligne d’arrivée et s’écroule de bonheur sur la neige. Comment ne pas partager ce moment de délire? Comment ne pas sentir ce serrement de la gorge en voyant ce jeune homme de 23 ans, entre larmes et rires, si près sur l’écran. Un homme qui a vaincu ses concurrents et s'est surpassé dans un dernier effort.

Je dois remercier ici les caméramans, les gens de télévision, les ingénieurs et les techniciens qui nous ont montré non seulement les performances sportives mais aussi les émotions des protagonistes. Car si leurs performances les distinguent, leurs joies, leurs larmes et leurs regards nous les rendent plus proches. ils sont faits de la même étoffe que le commun des mortels. Et nous nous rappellerons pour longtemps encore ces deux semaines de rêve...

Je lis que des manifestants ont protesté contre la tenue des Jeux d’hiver au Canada. Selon eux, on aurait pu dépenser cet argent pour des buts sociaux “plus utiles”. Mais que peut être plus “utile” qu’un tel rêve, fait de ce qu'il y a de meilleur en nous?

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