Bibliothèque Pascal

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Rencontre avec Szabolcs Hajdu

Bibliothèque Pascal, le dernier film de Szabolcs Hajdu, est enfin sur les écrans hongrois. Couronné du Prix du Meilleur Film lors de la dernière Semaine du Film Hongrois, c’est à cette occasion que nous avons eu le plaisir de rencontrer l’un des réalisateurs hongrois les plus doués de sa génération.

Interrogée par un fonctionnaire bienveillant des services sociaux qui ont recueilli sa fille, Mona Paparu doit justifier son absence et l’objet de son séjour en Angleterre. Ce film raconte son histoire ou, plus exactement, sa version de l’histoire… D’une sordide affaire de prostitution, Szabolcs Hajdú créée une œuvre audacieuse et paradoxale. A la fois lumineux, surréaliste, voire même parfois burlesque, ce film explore tour à tour les plus sombres penchants de l’âme humaine et les plus poétiques.

JFB: D’où vient cette histoire et l’envie d’en faire un film?

Szabolcs Hajdu: Dans les années 1990, on a entendu de nombreuses histoires de filles d’Europe de l’Est qui partaient se prostituer en Europe de l’Ouest. A cette époque, j’habitais en Roumanie et j’étudiais l’art dramatique. C’est là que j’ai rencontré une femme de retour en Roumanie et qui m’a raconté son histoire. C’était il y a exactement 10 ans. J’ai alors écrit une nouvelle qui se basait sur les discussions que j’avais avec cette femme. Ça a été le cadre de mon histoire pour le film. Puis je l’ai mise de côté et, entre temps, j’ai réalisé quatre films avant que ce sujet ne redevienne actuel. Entretemps, de nombreux films avaient été faits sur ce sujet, en Roumanie, en Allemagne, en Russie… mais ils ne me plaisaient pas. Ce qui m’énervait c’était précisemment leur style documentariste, qui est redevenu très à la mode, probablement à cause de la vague des reality show à la télévision. Or ce style, qui semble à première vue très réaliste, créée de fausses situations puisque les réalisateurs et les acteurs n’ont jamais vécu dans ce milieu et n’ont pas réellement connu ces situations. Ils ont pourtant choisi un système à la fois très efficace et très affectif pour les décrire. J’avais l’impression que la raison d’être de ces films était de créer un effet. De notre côté, nous avons choisi de commencer par faire une recherche sociologique approfondie sur ce sujet avec pour toile de fond la notion de «nouvelle Europe». Il y a la mer noire d’un côté et la Manche de l’autre, deux pôles qui sont reliés par cette route de la prostitution puisque ce sont souvent les filles roumaines qui sont envoyées en Angleterre pour s’y prostituer. C’est ce fond sociologique qui me semble le plus important. A partir de là, peu importe l’histoire que l’on va raconter. Il s’agit de décrire la force qui aide le personnage principal à survivre à cette situation: son pouvoir d’imaginer, sa force de création intérieure. Une force qui l’aide à se battre contre la violence et la monotonie du monde extérieur et qui lui procure une sorte de protection. Ce qu’on a pu voir dans beaucoup de films faits précédemment sur ce sujet c’est comment elles étaient battues, violentées, violées, etc. Or elles continuent à vivre et elles sont parmi nous! Il y a forcément quelque chose qui les a aidé à survivre. C’est ce que j’ai voulu raconter à travers ce film.

JFB: Mais le fait d’introduire un univers onirique, magique et poétique dans une histoire aussi sordide ne renforce-t-elle pas l’horreur de l’histoire? N’est-ce pas un effet aussi que de chercher à renforcer une dimension que le réalisme peut certes décrire mais que l’imagination va décupler? Car on en vient à se demander quelle est la vision la plus dérangeante: la réalité ou l’imagination?

Sz.H.: C’est la question centrale du film. Pour vous donner un exemple: ma femme, qui joue le rôle principal dans le film, a été emprisonnée pour une histoire quelconque et elle a partagé une cellule avec d’autres femmes, en particulier des prostituées. Elles ont commencé à lui raconter leur vie et toutes sortes d’histoires dont il était évident qu’elles n’avaient rien à voir avec la réalité. C’était souvent des histoires très étranges, qui faisaient en fait partie de leur stratégie pour survivre à ce qu’elles avaient vécu.

JFB: J’ai lu, notamment à propos de la réalisation de Fehér tenyér (Paumes Blanches), que vous aimiez laisser les choses ouvertes au tournage. Or ici, tout semble très maîtrisé, très écrit. Quelles sont les parties du film où vous avez travaillé plus spontanément?

Sz.H.: En fait, nous avons adopté la même stratégie: nous n’avions pas de story-board sur le tournage. Chaque plan avait la fonction de créer une sorte de métaphore. Dans le cas de Fehér tenyér, il s’agit plutôt de suivre le déroulement des événements, tandis qu’ici il s’agissait plutôt des vers d’un poème…

JFB: Vous utilisez la musique à l’opposé des dramaturgies conventionnelles, où elle renforce souvent la tension de l’histoire. Pouvez-vous nous parler de ce travail: montage son/image?

Sz.H.: J’admirais le travail de Flanger depuis longtemps et j’ai été ravi lorsqu’il a accepté de travailler avec moi. Il a compris que si j’utilisais une musique ayant pour fonction de renforcer l’effet de l’image, le montage deviendrait trop didactique et je voulais surtout éviter cela. J’ai donc préféré utiliser une ambiance musicale plus calme et paisible et, au début du film, lors de la mort de Viorel, j’utilise la musique comme un contrepoint. Je met l’accent sur l’univers imaginaire, comme si tout cela s’était déroulé dans un passé lointain, voire même pas du tout dans la réalité. La musique renforce ainsi l’idée de quelque chose de flottant, qui reste dans l’air, à distance, comme si on se souvenait seulement de tous ces événements.

JFB: Il n’y a pas du tout de dimension psychologique dans le traitement des personnages qui permettrait de les comprendre un tant soit peu, mais il n’y a pas non plus de lecture manichéenne des choses, tout est un peu mélangé. Le personnage de Pascal est à la fois un clown et un monstre…

Sz.H.: C’était en effet mon intention que de montrer des personnages que l’on peut haïr et aimer à la fois. Et il ne faut jamais oublier que c’est une histoire imaginée. Ce n’est qu’à la fin que l’on entend une autre version de l’histoire, qui est à mon avis beaucoup plus déprimante que celle que l’on vient de voir.

Frédérique Lemerre

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