Budapest : une somnambule de rêve...

Budapest : une somnambule de rêve...

„La Somnambule” de Bellini au Palais des Arts (Müpa)

Il faut croire qu´à l´époque, le thème du somnambulisme était particulièrement prisé des auteurs d´opéras (compositeurs et librettistes). Car, dès avant Bellini, on le retrouve déjà chez Ferdinand Paër et un certain Michele Carafa, ainsi que dans un ballet de Hérold.

Il sera également repris par Verdi dans Macbeth. Bien pratique, il est vrai, pour faciliter les dénouements. Sans compter qu´à l´instar de la folie (également à la mode), il constitue une occasion idéale pour dresser les contours psychologiques d´un personnage. Egalement largement traité, le thème des „malheurs de la belle”, de Mozart (La Finta giardiniera) à Rossini (La Pie voleuse) en passant par mille autres (Piccini, Paisiello, Haydn). Ce qui est le cas de notre opéra. En deux mots : dans un village retiré au fin fond de la Suisse, la belle Amina est promise à son Elvino. Ils s´aiment, bref, tout baigne. Jusqu´au moment où débarque, déguisé en officier, Rodolfo, le châtelain du coin, qui s´empressera de faire la cour à la belle, mais sera éconduit. Jusque-là, rien de grave. Sauf qu´il se trouve que la belle Amina est somnambule, ce que tous ignorent. Manque de chance, elle ne trouve rien de mieux que de pénétrer dans son sommeil dans la chambre de Rodolfo où on la retrouve le matin au fond du lit. Scandale ! En vain Rodolfo tente-t’il de la défendre, nul ne croit à son innocence. Mais, coup de chance, alors qu´Elvino s´apprête à rompre les fiançailles pour se jeter dans les bras de sa rivale, la belle apparaît devant le village entier, en pleine crise de somnambulisme, pour traverser un pont dangereux qui - pour corser le tout… - s´effondrera après son passage. La voilà disculpée, et retrouvant son cher Elvino qui lui passe la bague au doigt (1). Que dire de plus ? Que Bellini, alors à peine âgé de trente ans, composa son opéra en seulement deux mois. Opéra qui obtint d´emblée un vif succès.

Un rôle idéal pour servir les talents d´une cantatrice. A commencer par la fameuse Pasta qui le créa à Milan en 1831, suivie de la Maligran (Londres) et, plus près de nous, de la Callas. Rôle confié ce soir à la soprane tchèque Zuzana Marková, accompagnée par la Philhamonie de Pannonie et le Chœur Kodály de Debrecen sous la direction de Riccardo Frizza. Avec comme partenaires le ténor coréen Konu Kim dans le rôle d´Elvino et le baryton italien Mirco Palazzi dans celui de Rodolfo. Le tout mis en scène par Csaba Némedy. Réputée entre autres pour sa prestation dans la Traviata, Zuzana Marková se produit régulièrement sur les scènes internationales, comme à Marseille où on a pu l´entendre dans le rôle de Lucia (Lucia di Lammermore, 2014). Un chef italien pour animer le tout, ce qui devrait a priori être plutôt bon signe (2). Une production donnée, non sur une scène d´opéra, mais dans un auditorium, néanmoins avec costumes, mise-en-scène et décors succincts. Peut-être un atout également dans la mesure où cela devrait permettre d´alléger l´ensemble.

Le décor : une scène disposée en gradins flanqués de deux alcôves, avec pour tout mobilier un lit et un canapé.  Les costumes : simples, tout en blanc (hormis Rodolfo et Elvino, en costumes de ville), les femmes en jupes de tulle légèrement bouffantes. Le tout dans une mise-en-scène plaisante, non dépourvue d´une légère touche d´humour et, surtout, de charme. Sachant bien rendre le côté naïf, mais aussi un peu rude, de ce monde villageois perdu au fond des montagnes. Mais sans tomber pour autant dans la tentation trop facile du folklore-couleur locale. Non : simplicité. Une trouvaille : cette danseuse qui, par moments, accompagne les airs, mais toujours avec grâce, et sans que cela gêne l´action. Un petit clin d´œil du metteur-en-scène pour rappeler qu´à l´origine, la Somnambule avait été écrite pour un ballet.

Mais c´est surtout aux interprètes que s´adressent nos louanges. A commencer par le couple Amina-Elvino. De la soprano-coloratura Zuzana Marková, nous avions déjà entendu le plus grand bien. Mais pour le coup, sa prestation a dépassé nos attentes. Non seulement à l´aise dans les aigües les plus exigeants, mais par ailleurs actrice accomplie, parfaitement convaincante dans son rôle. Admirable et particulièrement émouvante dans la scène finale du somnambulisme. A ses côtés, le ténor Konu Kim fut pour nous une révélation. Un ténor léger apparemment né pour ce type de répertoire, au timbre agréable et, comme sa partenaire, tout aussi à l´aise dans les aigües. Tous deux excellant notamment dans les duos, les timbres de leurs voix s´accordant de façon idéale. Également irréprochable, la soprane hongroise Eszter Zemélnyi dans le rôle de la tenancière Lisa, rivale d´Amina : un timbre léger, d´une grande finesse. Fort bien tenu, également, le rôle de Rodolfo par le baryton Mirco Palazzi, mais paradoxalement peu présent, le personnage servant plutôt de prétexte au déroulement de l´action. Nous avons parlé des chanteurs, mais, une fois n´est pas coutume, c´est peut-être encore au chœur que reviendrait ce soir la palme. Constamment sollicité et très présent. Probablement l´acoustique y est-elle pour beaucoup. Car un autre avantage de cette production par rapport à une scène d´opéra est de nous rendre les intervenants plus proches, presque à portée de main (et d´oreille), ce qui fut notamment le cas pour le chœur. Un ensemble de province que nous n´avions jamais entendu et qui, ici au moins, nous aura convaincu. Le mérite en revient sans aucun doute au chef italien qui a su transmettre à tout ce petit monde, orchestre compris, ce souffle qui fait le succès d´une soirée. Un orchestre qui était parfaitement à sa place. Ni trop présent, ni trop discret, tout simplement concentré sur l´action pour soutenir au mieux chanteurs et choristes. Menés par un chef visiblement chez lui dans ce type de répertoire.

A Bellini, certains reprochent une orchestration peu fouillée et des mélodies par trop simples. Si cela vaut peut-être pour d´autres opéras (La Norma), nous n´en avons rien ressenti ce soir avec cette Somnambule. Bien au contraire, nous avons redécouvert ici une œuvre extrêmement travaillée, aboutie, où le caractère des personnages est parfaitement décrit. Il est vrai que, par sa simplicité (censure oblige…), le livret ne se prête guère à cette tension dramatique que l´on trouve par exemple chez son ami (et rival) Donizetti (3). Mais La Somnambule n´est pas un drame, pas plus qu´elle ne présente le caractère d´un opéra-comique. Il s´agit tout simplement de la reprise de ce qui était au départ un vaudeville sans prétention, sinon celle de nous charmer.

Ce soir, nous avons effectivement été sous le charme.

Pierre Waline

(1): livret de Romani d´après un vaudeville d´Eugène Scribe. Au départ avait été envisagé un tout autre sujet : Hernani, mais repoussé par la censure.

(2): spécialisé dans le répertoire italien, Riccardo Frizza (1971) a débuté dans le Stabat Mater de Rossini au festival de Pesaro. Il a notamment dirigé à la Scala, à la Fenice de Venise, au Met de New York, au Liceu de Barcelonne et à la Bastille (La Cenerentola, 2012).

(3): de quatre ans son aîné, Donizetti se montra toujours bienveillant à l'égard de Bellini, qui ne lui en sut pas forcément gré…

Photo : Henry Fair

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