Bernard-Henri Lévy : « Le populisme est l’ennemi des peuples »

Bernard-Henri Lévy : « Le populisme est l’ennemi des peuples »

Bernard-Henri Lévy : « Le populisme est l’ennemi des peuples »

Traversant le Vieux Continent avec sa pièce-manifeste Looking For Europe, le célèbre philosophe et essayiste français s’est entretenu avec le JFB lors de son passage à Budapest où il se produit le 10 avril.

JFB : Vous avez parcouru le monde à la recherche de causes justes en dénonçant les manipulations et les mensonges d’État. Comment pensez-vous pouvoir aider celle de l’Europe et celle de la Hongrie ?

B-H. L. : En expliquant à quel point le populisme est l’ennemi des peuples. C’est ma conviction profonde. Le populisme est l’ennemi des peuples et je vais répéter cela de capitale en capitale.

JFB : Vous avez rencontré de jeunes chercheurs le lundi 8 avril juste après votre arrivée à Budapest. Que leur avez-vous dit ?

B-H. L. : Qu’ils gardent l’espoir et la flamme. Si la démocratie finit par triompher en Hongrie, ce sera grâce à eux. Je pense qu’elle triomphera et que les chercheurs seront les acteurs de la deuxième révolution hongroise. Il y a eu une première en 1989 contre le soviétisme et il y en aura une autre contre l’illibéralisme. Elle sera faite par des personnes de la qualité de celles avec lesquelles j’ai échangé.

JFB : Vous avez eu beaucoup de difficultés pour trouver une salle budapestoise accueillant votre spectacle…

B-H. L. : La plupart des théâtres approchés ont eu peur, tout simplement. Ils invoquaient des excuses bidon qui n’avaient pas de sens : les conditions de sécurité ne sont pas réunies, notre agenda est plein, nous avons des engagements, et cætera… Mon équipe savait que c’était faux. La réalité, c’est qu’il existe dans ce pays un sentiment diffus et terrible qui est le vrai ciment des autocraties est qui s’appelle la peur. La peur et l’autocensure. C’est un ciment à la fois particulièrement solide et extrêmement triste.

JFB : En quoi les différences entre le Viktor Orbán de 1989 rencontré à l’ambassade de France et celui avec lequel vous avez discuté près de deux heures lundi 8 avril sont-elles révélatrices de l’évolution négative d’une certaine partie de l’Europe que vous dénoncez dans votre spectacle et vos écrits ?

B-H. L. : Il existe une nouvelle Europe qui ne croit plus à l’Europe et pense que celle-ci est une coquille vide, une maison vide à l’intérieur de laquelle on peut mettre ce que l’on veut. La liberté ou son contraire. La démocratie ou la tyrannie. Les droits de l’Homme ou le cynisme. Cette Europe-là vide l’Europe de sa substance et de son sens. Je souhaite que les électeurs disent non à cette tentation en mai prochain.

JFB : Certes, mais vous n’êtes pas sans savoir que les indicateurs de popularité d’Orbán sont au plus haut et que l’opposition n’arrive pas à se structurer. Quelle alternative apporter à la « contre-révolution politico-culturelle » défendue par Orbán, Salvini et les autres politiciens y souscrivant ?

B-H. L. : Il existe une volonté de faire taire les esprits libres en Hongrie. D’empêcher les universités les plus performantes de travailler. D’interdire des types d’études qui semblent potentiellement dangereuses comme celles sur le genre. L’Université d’Europe Centrale est obligée de faire valider une partie de ses diplômes à Vienne afin de conserver son excellence académique. Cette contre-révolution dont vous parlez est aussi vraie en Hongrie qu’en Italie et commence à l’être à Vienne. Cela n’est pas acceptable.

JFB : Pourquoi avoir choisi une pièce de théâtre pour exprimer votre propos sur l’Europe ?

B-H. L. : Le théâtre est un avaleur de genres comme le cinéma et cette aventure sera d’ailleurs documentée à travers un film. Dans « Looking For Europe », vous avez de la philosophie, de la littérature, peut-être même un peu de poésie, des mémoires personnelles, des fragments de mémoire. Le théâtre est un genre très libre qui permet ce mélange et j’aime cela. Le monologue qu’on pourrait également appeler flux de conscience est un genre magnifique. Thomas Bernhard est l’un de mes maîtres en la matière.

JFB : Quels espoirs avez-vous en dépit du contexte actuel ?

B-H. L. : Premièrement, j’espère qu’Orbán renoncera à s’allier avec Marine Le Pen et Matteo Salvini. Deuxièmement, j’espère qu’il comprendra que sa seule protection c’est l’Europe. Troisièmement, j’espère que les européens feront entendre assez clairement aux Hongrois le message suivant : si vous votez pour la « démocratie illibérale », vous risquez un jour de ne plus avoir votre place en Europe. C’est votre choix, mais vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre.

Propos recueillis par Éva Vámos & Joël Le Pavous

Photos : Joël Le Pavous

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